Et si vieillir m'était conté...

Il était une fois une femme qui répondait au prénom de Karina. Il était une fois une époque de sa vie, qu’elle avait vu se pointer avec étonnement. Imperceptiblement, l’une laissant courtoisement la place à l’autre, les années s’étaient additionnées. Et voilà, qu’en ce jour, la somme totalisait soixante. Soixante années s’étaient écoulées et il lui semblait, comme le dit la chanson, qu’hier encore elle avait 20 ans. L’âge de la retraite s’était pointé le nez. Elle n’osait y croire et pourtant pas question de fuir une évidence. Ce ne serait pas digne, encore moins respectable lorsqu’on devient membre du cercle des retraités.

Ainsi, se disait-elle, mieux vaut accepter, avec le sourire, avec philosophie, ce qu’indique le calendrier. S’il est bien une chose sur laquelle se fier, qui jamais ne se trompe, c’est bien cet outil qui se nomme grégorien. N’a-t-il pas lui aussi, un âge vénérable, puisque à ce qu’il paraît, il date des Romains?

Retraitée, voici donc le titre qui, désormais, me coiffe. Ceci étant dit, peut-être serait-il utile de faire le bilan. Voyons ce qu’en pense mon miroir, si dit Karina, sachant, qu’un tel objet offre toujours une vérité irréfutable. Un conte de son enfance en avait fait la preuve. Et puis, en tant que femme, ne lui est-il pas un précieux accessoire? C’est ainsi que, dressant l’oreille, l’attention aux aguets, prête à entendre, de son miroir les confidences, une voix doucement est venue nourrir le silence. Cette voix étrangement lui semble familière. Mais à qui donc peut-elle bien être? Il n’y a personne d’autre, qu’elle-même, à ce moment précis. Et soudain, elle comprit. C’était sa voix, ses mots, ses réflexions qui venaient de surgir, spontanément, remplissant le vide du silence. Comment cela est-il possible? Par quel tour de magie? Tiens donc ! Voici qu’à l’énoncé de cette référence, vous semblez sourire? Joli votre sourire, il vous va bien. Tenez, pour vous en remercier, je vais laisser Karina partager avec vous, ses quelques réflexions surgies du constat de son âge.

Vieillir, un mot tout simple qui, au sein de notre monde, se fait si peu entendre,. Pourquoi donc ce silence, se disait Karina? Pourquoi ne pas oser affronter et parler librement d’une simple réalité? Pourquoi cette réticence, se demandait-elle? De plus, pourquoi célébrer la jeunesse comme s’il fallait qu’elle fusse une immortelle richesse? Pourtant, chacun le sait, tout passe en ce bas monde. Vraiment, il me semble étrange de ne pas accepter ce qu’on ne peut changer. Je vieillis, c’est ainsi, d’ailleurs à mon oreille, tout comme à mon esprit «vieillesse» est un mot tendre. Il parle d’expériences, d’un chemin parcouru. Il dit tous les rêves accomplis et ceux qui restent à naître, souvenirs des joies mais, bien sûr, également des peines. Il sait, qu’il lui reste à apprendre de tous ces mystères qu’il n’est pas encore parvenu à comprendre. Il veut encore pouvoir chanter toute la beauté du monde. Vieillesse, c’est étrange mais mon cœur bat pour toi sans pointe de tristesse car j’aime te voir danser au rythme de la sagesse. Et, qu’est-ce donc que la sagesse, sinon ce regard qui nous porte à l’essentiel de la vie et des choses?

Vieillir, oui grimper les échelons de l’âge, nous le faisons tous, pensait Karina et cela dès le premier instant où nous vîmes la lumière. Il est rare, cependant, qu’on en prenne réellement conscience avant que le cadre familier, soudain, se vide de son agitation et tombe dans un profond silence. Du lieu où s’écoule le passage des jours, la jeunesse fougueuse et bruyante, part vers d’autres horizons afin d’entreprendre, à son tour, de sa vie, le voyage. Et c’est très bien ainsi, c’est l’ordre naturel des choses. Bien sûr, heureux sommes-nous de la savoir devenue adulte et responsable. Heureux, pour elle, qu’elle se dirige vers maintes expériences et notre désir est profond qu’elles leur soient passionnantes. À chacun son tour, nous avons eu le nôtre. Alors, il nous faut nous rendre à l’évidence : le temps, qui trop souvent a paru nous manquer, s’offre à nous gracieusement, en pleine propriété. Du temps de véritable liberté, du temps pour nous gâter et cela est formidable, digne d’être célébré. Qu’est-ce donc que vieillir, sinon accueillir, dans la sérénité, un rythme différent des heures du présent. C’est voir venir la saison de sortir des placards nos projets oubliés, de leur insuffler vie, de les dépoussiérer. Prendre plaisir à mettre en chantier tous nos intérêts, nos passions qui sont restés en friche. Oser s’aventurer en terrains inconnus afin de nourrir autant l’âme que l’esprit? Est-on vieux quand on garde une curiosité d’enfant, lorsqu’on a soif d’apprendre, que l’on a faim de connaissances? Et puis, pourquoi de pas choisir de mettre à profit cette saison de l’âge pour offrir un coup de main à la jeunesse débordée par mille activités, prise entre la vie de famille et les impératifs du métier? Vouloir être encore de quelque utilité pour la collectivité, cela a du bon sens, car il se trouve bien des causes à défendre qui demandent des voix, des mains et des présences. Tant que le cœur conserve sa chaleur, le besoin de donner, la vieillesse est un leurre. À bien y penser, peut-être devient-on vieux quand l’esprit, le cœur et l’âme ont replié leurs ailes, qu’ils ne savent plus voler, qu’ils ne savent plus aimer?

Vieillir bien sûr, il serait malhonnête de nier, loin de Karina cette idée, c’est aussi le corps, cette enveloppe qui change qu’il faut apprivoiser et apprendre à aimer tel qu’il se présente. C’est, peut-être, laisser la chevelure revêtir une robe d’ange. Ce peut être des petits riens, des détails, des désirs ou encore des besoins qui, soudain, peuvent prendre plus d’importance. Personne n’est à l’abri et s’il arrive parfois de vivre quelques malaises, que la santé devienne plus chancelante, il faudra courageusement faire tout ce qui est nécessaire pour lui conserver un haut taux de confiance. Ce sont des signes de fatigue qui, peut-être, viennent plus souvent faire acte de présence auxquels il faut s’acclimater. Accepter, sereinement ces sillons qui marquent le visage, les regarder avec un brin d’humour et même, pourquoi pas, avec une touche d’amour, car si on y pense bien, ne sont-ils pas des témoins qui racontent notre histoire? Une certitude devrait nous habiter : peu importe les rides, les fils blancs, peu importe le poids des ans, l’inévitable vieillissement, envers et contre tout ce qui nous arrive, il convient d’essayer d’en sourire.

Oui, vieillir, se disait Karina, ce n’est pas autre chose que de savoir s’adapter à notre vie qui change. Bien sûr, il arrive parfois, qu’il survienne, comme par inadvertance, quelques brins de regrets d’un passé qui n’est plus. Une touche de nostalgie d’une lointaine jeunesse, où l’on croyait alors que tout était possible, que tout était permis, que tout nous était dû. Où nos frasques, nos folies étaient choses courantes. Parfois même, il nous arrivait de faire preuve d’une sorte d’arrogance envers tous ceux, que nous décrétions être vieux, tous ceux qui prônaient la vertu de prudence. Et se rappelant ce temps ancien où nous prenions plaisir à bâtir des plans, à ébaucher des rêves, où nous nous drapions d’un voile d’insouciance, soudain à l’orée des paupières se pose, en transparence, une perle d’eau salée. N’ayez crainte, ce n’est rien, demain, elle se sera évaporée.

Mais, vieillir c’est aussi, pour ceux qui en ont la chance, le bonheur de savourer la joie d’une famille qui grandit. C’est le cœur qui n’a rien perdu de sa fougue première qui s’ouvre à des nouveaux venus. D’abord à ceux que les enfants ont choisi, leurs compagnes, compagnons de voyage. Et puis, peut-être, sera-t-on invité à partager, avec fébrilité, la venue d’une ou de plusieurs naissances. Alors, devant ce nouveau-né, merveille d’innocence et de fragilité, devant ce miracle de la vie qui refleurit, on reste sans voix, interdit, submergé par une vague d’émotion d’un bonheur intense. Spontanément, nous revient la tendresse des gestes. On n’a rien oublié des mots doux chuchotés, de la saveur des caresses, des parfums des baisers. Ce trésor de douceur, ce bébé qui repose en nos bras, confiant, abandonné, c’est un souffle de pureté, un élan de jeunesse qui berce d’intense bonheur notre âme et notre cœur.

Vieillir, vieillesse, vieux, vieille, vieillard, vieillisement des mots tout simples qui se font peu entendre. Et pourtant, étrangement chacun, débute par ce cadeau reçu, voilà bien des années, qui nous est si précieux. Tous ces mots maintenus en silence, comme si, beaucoup d’entre nous éprouvaient, envers eux, une sorte de méfiance. Comme s’ils semaient la peur ! Et pourtant, se disait Karina, si vieillir, tout au contraire, était un privilège? Vous souriez? Cela vous semble étrange? Laissez-moi expliquer comment elle voit la chose…

Voyez-vous, c’est qu’elle pense à tous ces enfants, ces adolescents, ces jeunes dans la force de l’âge que la dame en noir est venue surprendre afin de les emmener. Elle souhaiterait comprendre. Pourquoi n’ont-ils pas eu la chance d’arriver à son âge? Pourquoi, n’ont-ils pas eu le bonheur de poursuivre leur voyage? À cette interrogation, comme vous et moi, elle ne peut y répondre. Sans doute auraient-ils aimé parvenir à ce temps de la vie ? Alors, oui elle le croit, elle en a l’assurance, du passage des années, il faut veiller à en prendre avantage.

Karina a compris que d’avoir des regrets d’une jeunesse qui a fui, que d’avoir son regard tourné vers le passé, c’est du temps gaspillé, rien que du temps perdu. La vie n’est pas hier, ni demain, la vie, c’est aujourd’hui. C’est aujourd’hui qu’il faut chanter les heures et vouloir les peindre de mille et une couleurs.

Chaque période de la vie, chaque saison de l’âge ne possède-t-elle pas leurs musiques, leurs parfums, leurs charmes à découvrir?

Vous qui lisez ces mots, dites-moi qu’en pensez-vous ?