Cloé et le ballet des citrouilles

Ce jour-là, le ciel s’était vêtu de deuil et le vent laissait libre cours à sa mauvaise humeur. Des ombres aux allures faméliques se profilaient sur le muret de pierres moussues entourant le terrain d’une charmante maisonnette. Quant à la porte d’entrée, tel un bouclier voulant la protéger, s’amoncelait un énorme tas de citrouilles. Il y en avait de toutes les formes et même de diverses couleurs. Certaines avaient une taille étrangement démesurée. Visiblement, ces citrouilles n’appartenaient à aucune sorte connues et vendues dans des usuels marchés.

Il était environ 20 h 30, quand, après une longue et plutôt pénible journée, Cloé atteignit ce qu’elle aimait nommer son refuge-paradis. Non pas qu’elle se prît pour un ange, mais parce qu’après un nombre incalculable d’infructueuses recherches, l’ayant finalement déniché, cette précieuse trouvaille lui avait permis de quitter l’enfer que représentait la vie avec sa colocataire, une certaine Marie-Ange. Cette dernière portait un prénom qui lui allait aussi mal qu’une paire de gants à un manchot.

Merdezouk ! Que tous les diables de tous les enfers réunis m’emportent, grogna d’une voix ferme Cloé ! En effet, c’est qu’elle venait de découvrir cette montagne colorée, placée juste devant sa porte d’entrée.

Comme si la journée n’avait pas été suffisamment pénible, qu’il faille que je me retrouve, une fois encore, devant un problème à régler. Pourquoi a-t-il fallu qu’un mauvais plaisant me joue un tel tour ? Bien sûr, c’est l’Halloween, et pour certains malins commettre de petits forfaits cela fait partie de la célébration de la fête, se dit-elle.

Mais, en cette soirée, ce dont j’ai besoin et ce que j’ai mérité, c’est de pouvoir placer ma clé dans l’endroit adéquat, la faire tourner, ensuite saisir la poignée et enfin avoir le plaisir de pousser un magistral Ouf ! Pouvoir bénéficier de mon décor familier et aimé. Pourquoi faut-il que je me retrouve plantée devant un tas de citrouilles incongrues à déplacer ? Je ne suis quand même pas maraîcher de métier ? Il y a là quelque chose qu’inaccoutumé et dont je me serais sans peine passée. Mais bon, devant l’adversité, il faut savoir relativiser, se dit notre amie avec son bon sens coutumier. Ma fille, si tu veux entrer dans ton paradis, il n’y a rien d’autre à faire que de te mettre à la tâche et de déblayer tout cet encombrement coloré.

Donc, sans attendre, notre amie entreprit avec force et courage l’opération dégagement. Mais, il se passa alors, un phénomène étrange. Car, même si ces citrouilles étaient de grandeur impressionnante, elles étaient légères, comme si elles étaient gonflées d’air, tels des ballons de fête.

C’était même amusant, car d’un petit coup de main, Cloé les envoyait se promener ici et là. Les citrouilles dansaient autour d’elle dans une sorte de gracieux ballet coloré. Très agréablement surprise, l’ébauche d’un sourire était venue habiter ses lèvres qui spontanément, s’étaient mises à chantonner :

Volez, volez, légères citrouilles,

Bravo pour votre jolie bouille

Allez, allez où vous voulez

Je vous en prie

Sachez-vous montrer gentilles

Libérez ma porte d’entrée.

Il sembla soudain à Cloé qu’une petite sonnerie familière s’était glissée en catimini aux notes de sa chansonnette. Elle ne s’était pas trompée et cela eut pour effet de faire soupirer d’aise la nuée de plumes d’un oreiller…