Souvent je me prends pour...

Consigne des Impromptus littéraires : commencer un texte, en prose ou en vers, par : « Souvent, je me prends pour… »

Souvent je me prends pour Archimède. En fait, cela doit vous semblez archi-fou. A cet état de chose, y a-t-il un remède ? Faut-il envisager de consulter un psy ? Jusqu'à présent, je n'ai pas tranché, pensant que ce serait autrement plus embêtant, si je me prenais pour Dieu ou pire encore, pour Satan ! Dans tel cas, aucune hésitation. Le psy s'imposerait, et de plus...en urgence !

Maintenant, avant de vous mettre au parfum, je vous prierais, avec instance, de ne pas en déduire que je me prends pour un génie, que j'excelle en géométrie, que je déclare avec aplomb qu'avec un point d'appui, je pourrais soulever le monde, ou encore que je cours dans les rues, habillée de ma seule nudité.

Venons-en au fait. Alors que je barbotais gaiement au sein de bulles pétillantes et d'une mousse rafraîchissante, dont j'avais pris soin d'habiller ma baignoire, je lâchais soudainement un Eurêka retentissant. Une sorte de cri primal ! En effet, je venais de situer mon précieux et indispensable trousseau de clés que j'avais malencontreusement égaré. Je le voyais très nettement installé à une place pour le moins inusitée. Je me levais d'un bond, car il me fallait vérifier sur-le-champ. Tellement interloquée par cet éclat, non de génie mais de lumière, j'émergeais de la mousse aussi rapidement qu'une innocente souris s'enfuit devant le regard de convoitise d'un matou. Par malheur, pas la moindre serviette n'avait eu la bonne idée de se trouver à portée de la main. C'est donc en tenue d'Êve, que je courus jusqu'au sous-sol, ouvris le congélateur et l'aperçu juste à côté d'une boite de crème glacée au café (ma préférée). Il gisait là, en piteux état, tout givré, mais semblait cependant me sourire, se voyant enfin délivré. À moins, pensé-je, que cela ne soit de me voir en cet état d'injure à la décence. J'avais devant moi la preuve inéluctable de ma légendaire distraction. Voulant mettre le plus vite possible la crème glacée que je venais d'acheter à l'abri de méchants microbes, qui paraît-il peuvent s'y glisser en deux temps, trois mouvements, j'y avais laissé, par mégarde, mon précieux trousseau de clés. «Fais plus attention à ce que tu fais. Un jour cela te jouera un mauvais tour», me répétait inlassablement ma mère durant mon âge tendre. Bien d'autres bonnes âmes ont cru utile de surenchérir et moi-même je me le répète fréquemment. Je crois cependant que mon cas est désespéré, qu'il convient d'accepter l'inéluctable, donc, me dis-je, distraite un jour, distraite toujours.

Ce premier Eurêka, fut suivi de beaucoup d'autres, mais, je précise, toujours clamés alors que j'étais en tenue décente et présentable. Afin de ne pas abuser de votre temps et de votre bonté, je me contenterai de vous faire part du tout dernier.

Voici qu'il y a peu, je me trouvais chez Renaud-Bray, une librairie renommée de mon quartier. Je venais d'y acheter «Améliorer votre mémoire Pour les Nuls», (Intéressante collection que je vous conseille) que pourtant que je possédais, mais qui malgré d'intenses recherches (y compris cagibi, congélateur, armoire à balais, etc.) persistait à demeurer introuvable. Alors que la caissière, me dit d'un ton plutôt gentil : «cela fait 32$95, Madame», poursuivant par un : «je vous l'emballe ?», en lieu et place d'un aimable : «oui, merci beaucoup», je m'entends lui lancer un retentissant Eurêka dont l'écho la fit sursauter et trembler les murs du Renaud-Bray. De plus, il eut pour effet de voir se tourner vers moi une marée de regards épouvantés qui semblaient dire : «mais qu'est-ce qui lui prend ? Faut-il faire appel au 911 ?». C'est que je venais de trouver la réponse à ce problème d'absence livresque : en effet, je venais de me souvenir que je l'avais prêté. Mais à qui ? Vraisemblablement une personne qui n'avait pas honte de se prendre pour... une nulle. Mais là, pas d'Eurêka à claironner, juste un profond et désolant trou noir au sein de ma mémoire.

Maintes fois, j'ai eu la preuve que cette distraction (qui me colle à la peau comme des grains de sable sur un visage enduit d'une coûteuse crème antirides et antisolaire), me joue de méchants tours. (OK, Maman chérie, je te l'accorde,tu avais raison). Par contre, ce que j'ai appris (mais n'apprend-t-on pas à tout âge?...donc même à mon âge vénérable) que ce qu'il convient de définir comme étant une belle qualité pouvait à l'occasion la singer. Dorénavant, par stricte et élémentaire prudence, ainsi que par bon sens, je vais mettre mon lot de générosité au panier et lui imposer le devoir d'y rester Ad Vitam Aeternam.

Marybé - juin 2011