Et si les mots n'existaient pas...

Fermons les yeux, une fraction de seconde et imaginons...

Imaginons un monde duquel les mots seraient absents; pas le moindre petit mot à se mettre sur les lèvres, pas le moindre petit mot à tracer sur la neige d'une page. Aucun écho, aucune vibration, aucune chaleur de voix humaine résonnant à l'oreille. Rien que le langage gestuel pour établir et maintenir une communication. Bien sûr, muni de ses pinceaux, le peintre pourrait toujours habiller sa toile, de ses mains puissantes le potier pourrait façonner la terre informe, le musicien faire jaillir de son instrument des sons harmonieux. Mais que feraient le poète sans le langage des mots?

Il y a fort à parier que, telles des semences nourricières, des mots auraient germé sur le terrain fertile de son imaginaire. Tout comme la vie a besoin d'air et d'eau, pour vivre le poète a besoin du rythme, de la couleur des mots. Un besoin viscéral, car ils sont sa respiration, son souffle de vie, la substance dont il se nourrit. C'est en se les appropriant, en les faisant siens, qu'il se permet et ose faire jaillir le trop plein de ses émotions. Car le poète est homme ou femme d'émotion. Sensible à tout ce qui est. Sensible aux sensations vagues ou précises qui surgissent n'importe quand, n'importe où. Réceptif au hasard d'un mot dit ou entendu, aux images, aux regards, aux gestes qui parfois le heurtent, parfois le séduisent. Attentif aux sentiments éprouvés, aux souvenirs mémorisés. Et parce qu'au plus profond de lui il ressent un impérieux besoin de dire, de s'exprimer, il va jongler avec les mots. Il va les apprivoiser, prendre plaisir à les choisir, les marier; il va écrire. Que ses préférences le portent vers le toucher lisse d'un papier ou encore la luminosité d'un écran peu importe où il posera son écriture. Il va jouer avec les mots, parce qu'il en est amoureux. Il les choisira avec soin en tenant compte de leurs couleurs, de leurs lumières, de leurs sons. Car les mots sont comme des fleurs, ils ont des couleurs, des ombres, des lumières, des musiques. Et si la grâce d'un bouquet tient dans l'heureux mariage des diverses fleurs qui le composent, à son image, le poème révèle sa beauté et offre le rythme de sa musique par le choix judicieux des mots qui l'habitent.

Au cœur d'une solitude qui n'est pas fardeau mais présence amie, le poète va s'atteler à son travail de création. Il en retira souvent des sentiments contradictoires; parfois des vagues de bonheur intense, parfois il bénéficiera du vent doux du réconfort, parfois aussi il se sentira envahi par un profond découragement devant la difficulté de la tâche. Cependant ce dont il a la complète assurance, c'est qu'il répond à un irrépressible et impétueux élan.

Généreux, il nous offre en cadeau des reflets d'émotions, de ses émotions. Sans tricher, ses poèmes, ses phrases imagées viennent du cœur et s'adressent au cœur. Il se livre et s'expose au regard des autres et en accepte les risques.

Et peu importe qu'il soit poète de renom ou modeste artisan, qu'il maîtrise l'écrit avec grand talent ou qu'il marie les mots avec naïveté et maladresse, il est artiste, jongleur de mots. Et si le public apprécie et surtout le lui dit, alors il se sent riche de cet échange, du lien établi. Il prend conscience qu'il contribue, à sa façon, à la beauté du monde, qu'il fait corps avec lui et avec tous ceux qui le peuplent. Son esprit, son cœur, son âme, ses tripes, chaque fibre de son corps confirment ce qu'inconsciemment il savait : la saveur de son bonheur, le fanal de ses jours, son fil d'équilibre, l'essence même de sa vie passent par les sentiers sinueux de l'écriture.

Note : ce texte parle du poète, mais s'applique bien sûr à tous ceux qui ont la passion dévorante des mots, l'écrivain, l'auteur, tous ces créateurs qui n'ont de cesse de donner vie à l'incroyable richesse de leur imaginaire.

Marybé