11 - L'Aéronautique dans le département de l'Aube (1936)

SPHERIQUES AU-DESSUS DE LA LUNE !!

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JE faillirais à mon rôle de mémorialiste si j'omettais de célébrer comme il convient les les voyages " ultra-stratosphériques ! des aérostats, le Quand-Même et l'Aube, par delà le royaume de la blonde Phœbé. Aussi m'est-il permis d'évoquer à cette heure les mânes du célèbre Cyrano de Bergerac, " ce fou de génie " comme l'appelait Nodier, à l'âme si française, lui qui, par ses récits imaginaires et combien suggestifs, nous transporte au séjour du soleil et de la lune !

Avec quel souci de détails pittoresques et sous quelles couleurs attrayantes, après un copieux repas abondamment arrosé de vins capiteux dont les fumées donnent de la hardiesse et un regain d'esprit, ne dépeint-il pas le monde lunaire qu'il conquiert au moyen d'appareils dont la description qu'il fait est des plus originales, je dirai même ingénieusement imprévue ?

Et si M. de Bergerac fut un ferrailleur d'une témérité légendaire qu'Edmond Rostand immortalisa dans son héroïque comédie, notre spadassin ne se révèle-t-il pas aussi un ardent chevalier, non seulement des airs, mais de ces immenses empires, mystérieux séjours des chimères ailées qu'il parcourt porté par de joyeux lutins, et qu'il décrit avec une fantaisie sans égale ?

Que souventes fois, pendant les belles et douces nuits d'été, n'avons-nous pas porté les regards vers notre satellite qui, bien rond, au sein du firmament étoilé, inonde les humains de sa pâle lumière et imprègne leur âme d'une tendre langueur ! Aussi, je m'imagine facilement l'attrait que dut exercer sur l'esprit de Cyrano cet astre mystérieux dont il fut tant amoureux, un soir.

Ainsi donc, deux sphériques de notre cité troyenne auraient vogué au-dessus de ce pays de rêve. Même, ne dit-on pas que les équipages regagnèrent l'humble séjour des mortels, escarcelle toute gonflée de beaux jaunets (ils sont actuellement si rares sur notre planète) ? Je n'en suis pas autrement surpris, car j'ai lu quelque part cette fameuse sentence, à la légende d'une estampe en 1784, ( au bel âge des montgolfières) :

Si par son vol il peut escalader la lune

Il fera comme un autre, en volant, sa fortune !

Quoi qu'il en soit, cette histoire bien captivante nous est contée, avec sa verve toute champenoise, par Gabriel Grosley, dans l'almanach de la Tribune de l'Aube en l'an de grâce 1931.

" Où l'on voit, dit-il, apparaître un cratère lunaire et un monticule ignorés aux portes de la cité troyenne. "

Lisons d'abord la relation du carnet de bord du ballon Quand-Même dont l'ascension, à la date du 27 mai 1923, coïncidait avec la célébration du centenaire de l'éminent savant Pasteur.

" . . . . . 11 h. 25. 1200 m. Température 16°. Nous traversons la route d'Arcis-sur-Aube à Feuges. Nous faisons deux découvertes au point de vue archéologique qui je crois n'ont jamais été signalées, nous repérons les points, le plus exactement possible... "

Il n'en fallait pas moins pour allumer la mèche, car Gabriel Grosley, en fervent amateur des choses anciennes, se lança, dès qu'il connut cet événement, sur une piste qui lui semblait intéressante. Un beau jour, il interroge l'équipage du Quand-Même. D'après le pilote, il s'agit d'un cercle qui se dessine dans la campagne et d'un tertre qui émerge au-dessus des bois, les recherches devant être orientées aux environs de Voué et de Montsuzain. Aussi, est-ce nanti de ces renseignements que notre explorateur partit à la recherche du cercle et du tumulus !

Après avoir erré quelque temps, parmi les sapins et les terres crayeuses de notre Champagne, il ne rencontra pas la moindre trace archéologique !

Avisant un memrod qui passait en ces lieux, il lui conta son histoire.

" Vous trouverez ce que vous cherchez, lui dit-il, entre Feuges et Massonville, tout en haut des Voies-Blanches sur le plateau. Mais à Feuges, personne n'ignore cet endroit. On l'appelle " La Lune ", précisément parce qu'elle est ronde. Vous ne pouvez pas vous tromper, la route passe juste au milieu ! Quant à la butte, je ne sais pas ".

Mais Gabriel Grosley nous dira que le tumulus est celui de Vailly, puis qu'il se rendit incontinent au-dessus des " Voies-Blanches ", et voici le récit qu'il nous fait de cette équipée :

" Après des marches et des contremarches, sans aboutissement, désespéré, je m'assis sur un tas de cailloux au bord de la route. Ouf !... Vaguement, je regardais autour de moi !

Tout à coup, l'éclair de la révélation jaillit devant mes yeux. J'était au centre d'un genre d'anciennes carrières dont les parois étaient cicatrisées par le temps et envahies par la végétations des friches.

Par le diable, elle était ronde ! La route la coupait juste en son milieu.

Voilà la lune ! m'écriai-je, alors que l'astre des nuits ne rayonnait nullement dans la nue.

Plus de doute, c'était bien le fameux cirque de Feuges, le cercle enchanté. La belle désillusion ! Entre les lieudits de Montorgé et des Femmes-Mortes s'ouvrait une banale excavation mesurant 56 mètres de diamètre dans le sens de la route et 60 mètres dans le sens opposé, ce qui ne l'empêche pas de paraître parfaitement ronde, à l'œil le moins conciliant. La chimère s'évanouissait ! Adieu le mythe solaire ! Adieu le camp d'Attila !

Il est vraisemblable que le rond-point appelé " La Lune " a été tracé à l'époque de construction de la route. Dans quel but ? C'est une autre question et il est très possible que nous y revenions un jour ! L'idée d'une carrière doit être abandonnée en raison de la régularité. Ce serait tout bonnement " une plaque tournante " de la route. Les habitants l'ont toujours vue en cet état et les traditions orales, qui concernent l'origine et le but, sont contradictoires.

Il n'y a donc rien de nouveau sous le soleil... pas même la lune qui, du reste, est inscrite sur la carte d'Etat-Major, comme elle figure au cadastre de Feuges.

Quand on me dira avec finesse : As-tu vu la lune ? Je répondrai : Ah oui ! la lune de Feuges. Mais on me l'a déjà fait une fois, je ne marche plus !

Le 3 juillet 1912, l'Aube atterrissait à Feuges; il passa au-dessus de " la lune " sans s'en apercevoir.

Mais le 14 juin 1931, lors de son voyage de Troyes à Poivres, notre ballon surplombait le cratère de Feuges dont le cirque nous apparut en effet, très nettement.

Nous le remarquâmes et je ne puis mieux faire que de le signaler de nouveau laissant aux archéologues le soin de déterminer son rôle dans le passé.

MORT DE M. JOANNETON

le 14 février 1935

Obsèques le 16 février 1935

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UNE mort ! Une peine immense ! Un grand deuil pour l'Aéro-Club tout entier ! Celui qui consacra toute son existence à une même et grandiose idée l' " Aéronautique ", celui que nous avions pris plaisir à coudoyer depuis de longues années et qui, en un mot, nous avait donné et son âme et son cœur, vient de mourir !

M. Joanneton fit dans notre pays aubois de très grandes choses. Homme de science, il l'était d'autant mieux que rayonnait autour de lui la plus exquise simplicité.

Ce fut un savant ! un précurseur ! L'Histoire appréciera !

Mes lecteurs connaissent, par cet ouvrage, tout le passé aéronautique de notre bon Président, passé que je proclamais sur sa tombe, au nom de l'Aéro-Club de l'Aube et avec la plus indicible émotion. Il n'y a pas lieu que je donne ici ce discours (1), mais je tiens à publier la superbe oraison que prononça, avec non moins d'émotion, M. Gabriel Grosley. Elle montrera que si M. Joanneton était un savant, un mathématicien remarquable, il fut aussi un lettré, s'abandonnant parfois à cet humour naturel qui faisait le fond de son caractère.

Et avant que se referme la lourde dalle du tombeau où notre Président allait reposer, son ami M. Gabriel Groley s'exprima en ces termes :

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M. Joanneton était un homme bon, un ami délicat, un dilettante souriant.

Il aimais d'un même amour les lettres et les sciences et s'exerçait à ses heures aux unes comme aux autres avec la même facilité.

D'autres diront sans doute avec quelle passion il tournait son regard d'Icare vers les cieux, et combien, en ce domaine, il a fait œuvre utile et féconde.

C'était d'autre part un exquis fantaisiste, un esprit assoiffé de curiosité et, pour en parler à son aise, il faut remonter à ce temps tranquille qu'on nomme l'avant-guerre où l'homme d'élite pouvait se détendre dans les récréations intellectuelles qui lui plaisaient.

Ce qu'on ne sait pas assez, parce qu'il était infiniment modeste, c'est que M. Joanneton réunissait les meilleures qualités d'un conteur exquis, alliant la verve malicieuse à la bonhomie champenoise.

Il ne s'est pas embarrassé de gloses ni de systèmes. Il a écrit quand bon lui a semblé, pour le plaisir d'écrire et ce plaisir, tous ceux qui l'ont lu, l'ont compris et partagé.

Aussi bien, on peut prétendre que l'art n'est point utilitaire. La fantaisie légère et souriante ne s'accommode guère des règles de l'utilisation précise.

Il faut relire de temps en temps, surtout quand la vie est dure, les agréables brochures de M. Joanneton pour faire provision de bonne humeur, pour mettre la mélancolie en déroute et trouver le meilleur spécifique de toute la pharmacopée.

Le bon papa qu'il était, nous le retrouvons dans ce journal, sans prétention. Un mois au bord de la mer, qui rayonne de son affection familiale.

Il est bon pour tous les petits êtres dans La vie et la mort de Philippe, le frêle oiseau qui avait peut-être une âme sensible.

Ce n'est pas ici que nous pouvons citer tous ces petits chefs-d'œuvre, même cette plaquette à titre latin ou argotique... qualifiée, par l'auteur, d'œuvre exhume.

Sans l'essayer, il a atteint à la philosophie dans ce bel ouvrage appelé Gargouilles qui constitue aujourd'hui une troyennerie sans pareille et un monument de rareté.

Riche collection que ces œuvres agréables, décorées de photos inattendues, prises par l'objectif de leur signataire, qui les soignait d'une présentation minutieuse et les abandonnait ensuite à l'amitié, sans les faire figurer aux devantures.

Il avait horreur des lieux communs. C'est la force des forts. Sa fantaisie était une personne de bonnes manières qui tirait un excellent parti des contrastes. Il ne se haussa jamais plus haut qu'il ne pouvait atteindre. C'était un sage. Sa conversation bourrée d'anecdotes était un régal de choix.

Aimant l'esprit de nos pères, familier de l'avocat Grosley, se délectant des farces d'autrefois, il inventa une réplique joviale de l'Académie de Troyes dont n'ont jamais entendu parler les rares initiés, car l'Académie de Sainte-Savine n'avait point de réclame à se faire sur les toits.

Notre vieil ami était devenu le doctor Dr. Johnton. Il faut bien sacrifier parfois à l'Anglomanie. Mais il le faisait pour se moquer des manières pédantes et il avait raison d'en rire.

Chacun comprendra que pour nourrir cette gaieté, il fallait être avant tout un brave homme, aimant la vie, une conscience tranquille et franche, avoir une flamme au cœur, ne jamais succomber à l'envie et nourrir l'ambition sereine de ne jamais rien être.

Tel était M. Joanneton.

Il rendait service avec empressement. Il sortait volontiers du cercle étroit réservé à l'amateur. Ne l'a-t-on pas vu, aux heures douloureuses de la guerre, examiner toutes les inventions les plus extraordinaires à grand renfort d'équations mathématiques et se faire inventeur lui-même ? C'était, pour lui, servir à sa manière.

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Pauvre ami. La route est finie. Il ne nous reste plus qu'à redire sans vous la toute petite phrase que vous nous laissez et qui vous contient entièrement, la petite devise du groupe intime qui vous plaisait :

Pulchra semper dilexi


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(1) Voir " Aube-Sports " Février-Mars 1935 (Bibliothèque).

BULLETINS ET REVUES PERIODIQUES

RECOMPENSES

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L' AERO-CLUB de l'Aube, toujours soucieux de développer dans notre Département les choses de l'air et désireux, d'autre part, de maintenir une liaison étroite entre ses membres, édite des revues ou des bulletins périodiques; puis il décide la création de plaquettes et diplômes destinés à récompenser les plus méritants parmi les membres des Sociétés aéronautiques du département de l'Aube.

En ce qui concerne les revues périodiques, signalons que le premier bulletin annuel du Club Aéronautique de l'Aube parut, pour la première fois, en 1904 jusqu'en l'année 1913 inclusivement. Ces dix bulletins ont été rassemblés et reliés par les soins de M. Joanneton. On en trouvera un exemplaire à la Bibliothèque municipale et un autre aux archives de l'Aéro-Club de l'Aube, sous le titre de " Dix ans de la vie d'un Club ".

La Société Troyenne d'Aérostation, publia aussi pendant quelques années un bulletin annuel qui relatait les différentes manifestations aériennes qui se déroulèrent au cours de l'existence de cette Association.

En 1929, réapparut le premier bulletin d'après la guerre, du Club Aéronautique de l'Aube. Il était également annuel et sa publication eut lieu au début des années 1929 à 1932 inclusivement.

Mais une entente étant intervenue entre l'Aéro-Club de l'Aube, l'Union Motocycliste de l'Aube et l'Association Sportive de Troyes et de Sainte-Savine, Aube-Sports fut créé. Cette revue qui devenait mensuelle fut éditée, pour la première fois, en juillet 1932.

Au cours de l'année 1935, l'Association Sportive de Troyes et de Sainte-Savine décidait de ne plus collaborer avec le dernier mois de l'année 1935.

Immédiatement elle fut remplacée par Aube Aéronautique créée avec les seuls deniers de l'Aéro-Club de l'Aube.

Aube Aéronautique parut donc pour la première fois en janvier 1936, et, pour ce nouveau bulletin de propagande aéronautique, ne formulerons-nous qu'un seul souhait :

Ad multos annos !


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RECOMPENSES

L'Aéro-Club de l'Aube, lors de son Assemblée générale en 1932 créa une grande Médaille d'honneur (plaquette en or) gravée aux armes de Champagne avec son immortelle devise : " Passavant le meillor ".Elle est destinée à récompenser les services tout à fait exceptionnels et remarquables accomplis par les membres des Sociétés aéronautiques du département de l'Aube sur lequel s'exerce l'influence de l'Aé.C.A.

Auparavant, l'Aé.C.A. avait institué les Médailles de 1 re classe (argent), de 2e classe (bronze) et des Diplômes d'honneur (3e classe).

Les médailles de 1er et de 2e classes sont de la même facture que la Médaille d'honneur sauf que les armes de Champagne n'y figurent pas.

La Médaille de 1re classe de l'Aé.C.A.

La Médaille d'honneur a été décernée, pour la prelière fois, à M. Joanneton, le 13 avril 1932, en même temps qu'il recevait la Croix de la Légion d'Honneur.

La Médaille de première classe fut accordée pour la première fois et remise solennellement, le 13 février 1932, par M. Couhé, Inspecteur général de l'Aviation civile au ministère de l'Air, à l'équipage du ballon l'Aube qui accomplit le voyage de France à la mer Baltique (15-16 août 1931).

Cette même récompense fut également attribuée, pour la deuxième fois, au docteur Dupêchez, pilote-aviateur à Sens, à la suite de son voyage comme passager, à bord de l'Aube, gagnant la Coupe des Mines de Béthune (15 août 1933).

LE MERITE AERIEN


M. Gentin, Député et Vice-Président de l'Aéro-Club de l'Aube ayant posé au Ministre de l'Air une question touchant l'institution en France, de la Croix du Mérite aérien, reçut la réponse suivante :



MINISTERE DE L'AIR

____ Paris, 1er avril 1935.


CABINET DU MINISTRE

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N° 10299/B.C.I.


Monsieur le Député,

En réponse à votre lettre du 16 mars 1935. J'ai l'honneur de vous faire connaître que dans l'état actuel du projet de loi instituant un ordre du Mérite Aérien, cette distinction, suivant le désir exprimé par la Commission Aéronautique de la Chambre des Députés dans son rapport n° 4617, serait strictement réservée aux personnes exposées aux risques de l'air.

Si ce texte est adopté par le Parlement, les pilotes de dirigeables et de sphériques appartenant au personnel navigant seront susceptibles de recevoir un grade dans l'Ordre du Mérite Aérien.

Veuillez agréer, Monsieur le Député, l'assurance de ma haute considération.

Signé : DENAIN



Espérons voir bientôt le " Mérite Aérien " institué, pour récompenser dignement ceux qui ont contribué, d'une façon effective, eu développement de l'aéronautique dans notre Pays. Souhaitons surtout que cette distinction ne soit pas décernée pour des fins qui sembleraient peu en rapport avec l'idée qui doit présider à cette création.

C'est là, je pense, le vœu le plus ardent des équipages de l'Aéronautique française, toute entière.