28 - L'Aéronautique dans le département de l'Aube (1936)

LE VOL A VOILE OU VOL SANS MOTEUR

ET L'AVIATION LEGERE

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JE me suis intéressé plus spécialement au vol sans moteur, quand la fameuse quinzaine, consacrée au développement de ce sport, eut lieu, à Sens, en septembre 1930.

A cette occasion, j'écrivis dans la presse mes impressions sur ce que je venais de voir à la ferme d'Heurey. Les voici :

A Sens, la quinzaine nationale de vol à voile qui vient de se terminer aura été certainement, pour les personnes qui s'intéressent aux choses de l'air, d'un passionnant attrait. Jusqu'alors, ce mode de locomotion est à peu près inconnu et son mouvement tout à fait embryonnaire. Quand, il y a trois semaines, je me rendis à la ferme d'Heurey et que je vis un planeur s'envoler, je fus toute suite gagné à la cause du vol à voile. Je me rendis immédiatement compte qu'un bon pilote de vol à voile deviendrait un excellent pilote d'avion, UN AS DE LA NAVIGATION AERIENNE. Qu'est-ce donc le vol sans moteur ? C'est un planeur qui, lancé à la manière d'une flèche, cherche à utiliser des courants ascendants de façon à se tenir le plus longtemps possible dans l'espace. Evidemment ce planeur doit, au point de vue aérodynamique, être construit de telle façon que les chutes soient en quelque sorte annihilées. Ainsi, lorsqu'on compare les planeurs-école de performance, l'homme le moins averti en remarquera la différence de construction qui est très sensible. Les uns sont construits pour la formation des jeunes élèves, et ne tiennent l'air que quelques minutes, alors que ceux de performance, dans les mains expertes, comme celles du pilote Auger ou d'autres bons pilotes, navigueront dans les airs pendant des heures entières.

Un bon pilote de planeur arrivera ainsi à conquérir une connaissance approfondie de l'air. Que les courants dits ascendants viennent à frapper une colline, ou bien qu'ils soient occasionnés par le déplacement de masse de nuages, un véritable pilote de vol à voile saura en tirer parti. Le vol sans moteur permet donc d'utiliser les différents courants et par suite donne la latitude, au planeur, de se maintenir très longtemps dans l'espace. Evidemment cette navigation présente au début quelques difficultés. Le jeune pilote fera d'abord du point fixe; placé sur le siège à l'avant de sa cellule, celle-ci orientée dans le vent et sur le sol, il essaiera de maintenir d'aplomb son appareil au moyen du " manche à balais " et cette manœuvre indiquera si l'élève a de bons reflexes. Puis on entrera dans l'ordre des glissades, l'appareil ne quittant pas le sol, et ensuite, du décollage. C'est ici que commencent les difficultés bien vite surmontées par le sujet aux réflexes convenables. J'en donnerai un exemple frappant. Mon jeune fils (Hubert Darsonval), âgé de 17 ans, engagé dans la quinzaine de Sens, fit quelques heures de point fixe et commença presqu'aussitôt sa première glissade sur planeur du C.A.U. Actuellement, il se maintient à quelques mètres au-dessus du sol et cela pendant un quart de minute. Le brevet A était de 30 secondes. Voilà un résultat acquis en quelques jours, ce qui prouve que le vol à voile est presque sans danger et d'un intérêt tout à fait passionnant et agréable. C'est aussi un sport des plus actifs qui oblige les jeune gens à profiter, pendant de longues heures d'une belle campagne à l'air pur et vivifiant.

Pour la formation des jeunes pilotes, 'appareil école est lancé, au moyen d'un " sandow ", à flanc de côteau et orienté dans le vent. L'air, qui vient frapper cette coltine donne de l'ascendance favorable à la bonne tenue de l'appareil; mais dès que ce dernier se trouve en perte de vitesse, à ce moment précis, un manœuvre est à observer. En terme de métier, le pilote " rend la main ". L'appareil pique du nez vers le sol, gagne de vitesse et se rétablit s'il est encore assez haut; dans le cas contraire, il atterrit.

Dans ces conditions, un pilote formé à cette école devient tout à fait expert dans la connaissance des courants. Les glissades sur l'aile ou la perte de vitesse lui sont familières. Elles ne sont plus pour lui qu'un jeu d'enfant et quant on adaptera un moteur à sa cellule, il sera bien préparé pour devenir un excellent pilote.

Comme performance, on peut citer des planeurs qui ont tenu l'air plus de 10 heures, atteignant plusieurs milliers de mètres d'altitude, après avoir parcouru environ 150 kilomètres.

Voilà les enseignements que j'ai tirés de mon séjour à Sens, et j'engage vivement les jeunes gens désireux de devenir pilotes à débuter par le vol à voile qui leur procurera, avec le sang-froid et l'esprit de décision, la science de l'air et la connaissance de ses courants, qualités qui ne sauraient diminuer la valeur d'un pilote d'avion. L. Darsonval.


Quelle est donc l'origine du vol à voile ?

Il faut d'abord la chercher dans l'antiquité où les hommes, étudiant le vol des oiseaux, construisirent des appareils susceptibles de les maintenir dans l'espace.

On pourrait citer de nombreux exemples de ces essais à travers les âges, mais j'en arriverai immédiatement à une période très active, celle d'après guerre (1918), alors que les Allemands, privés d'aviation par le traité de paix, consacrèrent tous leurs efforts au développement du vol sans moteur.

Le premier meeting, qui eut lieu en Allemagne à la Rhoen, en 1920, remporta un succès assez important, car on y effectua avec planeur un vol de deux minutes et demie, sur une distance de près de deux kilomètres.

Le meeting de la Rhoen réunit, en 1922, plus de 40 appareils de vol à voile; et le " Wampyr ", piloté par Heuzen, accomplit une performance sensationnelle en volant pendant plus d'une heure.

Cette même année, nous verrons le Français Maneyrol tenir l'air, an Angleterre, pendant plus de trois heures, sur un planeur.

Mais bientôt le vol à voile prendra assez rapidement de l'extension, et il ne se passera pas d'année sans que l'in ait à enregistrer quelques remarquables exploits.

Le 20 juillet 1929, le pilote allemand Kronfeld (1) parcourt 140 km., et le 25 juillet, Groehoff établit le record du monde, par un vol de 222 Km.

Quant au record de la durée, il est l'apanage du pilote allemand Schmidt, qui tient l'air pendant 36 heures. Il convient de signaler aussi Dittmann qui, à Rio-de-Janeiro, le 18 février 1934, s'élève à plus de 4.000 m., parcourant 265 km., en ligne droite.

Depuis cette date, Hoffmann accomplit 495 km., de la Rhoen en Tchécoslovaquie, et le même jour, Olzechner réussit un vol de 360 km. en partant également de la Rhoen.

Mais un explot appelé à avoir une certaine répercussion aurait été accompli, les 29 et 30 août 1935, par l'aviateur Dünnbeil, de Francfort. A bord d'un appareil qui a beaucoup d'analogie avec les planeurs utilisés pour le vol à voile dans la Rhoen, Dünnbeil, par la seule force musculaire, se serait élevé à un mètre de hauteur, volant sur une distance de 235 mètres.

Ce nouvel engin serait muni d'une hélice actionnée par le pilote lui-même, au moyen d'un système mécanique approprié.

On peut objecter que Dünnbeil fut lancé par sandow, à la manière des planeurs, ce qui nous amène à supputer dans quelle mesure est intervenue la force de son poignet qui actionnait l'hélice, pour lui permettre de se maintenir en vol.

Pouvons-nous espérer assister, dans un laps de temps plus ou moins éloigné, à des expériences plus concluantes ? Souhaitons-le.

En France, à la Banne d'Ordanche, dans le Massif Central, le pilote Lumière se fait remarquer, en 1933, par un vol d'une durée supérieure à une heure. En 1934, d'autres pilotes parcourent des distances de 40 à 50 kilomètres. Fin juillet 1935, le pilote Nessler, chef pilote de " l'Avia ", vole toute une nuit, de 16 h. 24 à 8 h. 20, au-dessus de la région des Roches-Tuilière et Sanadoire.

Si nous comparons les résultats obtenus de part et d'autre, nous avons le regret de constater qu'ils ne sont malheureusement pas à notre avantage; il est vrai qu'on en est encore, en France, à discuter de l'intérêt du vol sans moteur.

Et cependant, la pratique de ce sport n'est-elle pas une excellente école pour inculquer le sens de l'air aux jeunes, aux aspirants pilotes, en stimulant leurs réflexes et en leur donnant une belle maîtrise d'eux-mêmes.

Ce sont là, je pense, des raisons suffisantes pour que l'on attache une plus grande importance au développement du vol sans moteur, dans notre Pays.

Depuis quelques temps déjà s'est constituée, à Paris, la société " Avia " qui a pour progranne la vulgarisation du vol à voile en France.

En 1931, son président, M. Massenet, vient faire dans notre ville une conférence, sous les auspices de l'Aéro-Club de l'Aube.

Le principe de la création d'une section de vol sans moteur est alors envisagé à l'Aéro-Club de l'Aube, et c'est en 1932 que cette section est définitivement constituée.

A l'Aérodrome de Troyes

Un " Pou du Ciel " Mignet, construit par M. Parent

Toutefois, en raison du peu d'ascendance des vents que l'on rencontre dans la région où est installé l'aérodrome, ce qui ne saurait favoriser les évolutions des appareils-école de vol à voile pour les brevets B. et C., cette Section décide, en 1934, de vendre ses planeurs et de s'orienter vers les avions légers tels que le Pou du Ciel de Mignet (2).

Quelques-uns de ses membres, MM. Béné, Juchat et Meunier, construisirent, e, 1935, un appareil de ce genre. Après l'avoir exposé à Troyes, il est conduit sur le terrain de Barberey pour y effectuer ses premiers essais. N'oublions pas le Pou du Ciel construit par M. Parent, de Saint-Julien-les-Villas, et notons que cet appareil a pris son essor, à différentes reprises, sur notre aérodrome.

Antérieurement à la création de cette Section de vol à voile, notre camarade, l'aviateur Dumont, avait déjà expérimenté une avionnette Mignet H.M. 8, de sa construction, dont les premières évolutions, au-dessus de l'aérodrome de Barberey, furent très remarqués (3). Dans la matinée du 18 août 1935, Dumont, à bord de son H.M. 8, se rend à la fête d'aviation d'Estissac, organisée par la Section d'aviation légère de cette localité, et rentre, avant la nuit, à l'aérodrome de Barberey.

On peut constater que l'aviation légère gagne du terrain dans notre département. C'est ainsi qu'à Romilly, M. Gilbert Picard crée le Club d'Aviation légère de l'Aube, avec la collaboration de MM. Bergossi, Rouire, Roy Comte, Flusin, Clément, Chambrillon et Henny. Le Pou du Ciel , que cette section vient de construire, a été récemment exposé à l'admiration du public, à Romilly.

A Bar-sur-Aube, les frères Guibourg et M. Arnulphy viennent de sortir deux " Poux du Ciel " qui se recommandent par un fini irréprochable; de même, à Brienne, MM. Consigny, Malbecque et Saget ont-ils envisagé la construction d'appareils identiques. Aussi pouvons-nous affirmer, avec une quasi certitude, que ce mouvement ne saurait désormais se ralentir.


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Avant la guerre, en mars 1911, une Société était fondée à Troyes, sous la dénomination de " Drago-Club de l'Aube ". Ce nouveau groupement, sous la présidence de M. Lenhof, avait installé son siège social au Café de la Poste, route de Sens, à Sainte-Savine.

Déjà, à cette époque, certains de nos compatriotes ne se montrèrent pas indifférents pour l'une des formes du vol à voile, mais " captif " pour ainsi dire, en utilisant le cerf-volant et ses dérivés.

Cependant, le " Drago-Club " envisagea même, quelque jour, la construction d'un véritable planeur biplan qui devait être lancé au moyen d'une voiture automobile.

Des essais furent tentés, mais ils ne donnèrent pas les résultats qu'on en attendait, et cette Société persévéra plutôt, pour ses expériences, dans l'utilisation des voiliers cellulaires.

Relativement aux voiliers cellulaires, je parlerai, incidemment de ceux utilisés par l'armée, il a quelque vingt-cinq ans.

Les aérostiers militaires qui servirent avant la guerre de 1914, ont, je pense, encore présent à la mémoire le train de cerfs-volants du capitaine Saconney.

Ces engins, que manœuvrait à Versailles une équipe spéciale, étaient amarrés à un câble d'acier qui, lui-même relié à un treuil, soutenait une nacelle que l'on employait pour l'observation et la photographie aériennes.

Cette nacelle s'élevait donc, avec son observateur, à des altitudes qui variaient avec la vitesse du vent; j'ai souvenance, l'avoir vue à 135 mètres de hauteur.

A début de la guerre de 1914, on utilisa des trains de cerfs-volants pendant quelques mois, mais ce moyen d'observation fut bientôt abandonné, les résultats devenant sans intérêt, en présence de l'aviation qui prenait de jour en jour, une sérieuse extension.

Pour en revenir aux expériences tentées par le " Drago-Club ", signalons que, lors de la première journée du meeting de Saint-Lyé (10 septembre 1911), aucun cerf-volant ne pût être lancé, tant le vent était faible. Mais le lendemain, Eole étant favorable, cette active Société réussit à captiver les spectateurs, par des démonstrations vraiment suggestives et fort concluantes.

Fin 1912, le Drago-Club de l'Aube possédait 25 appareils, tous construits par ses adhérents.

Le 21 avril de la même année, cette Société organisait un concours d'appareils sur le terrain de Pont-Hubert. Bon nombre de nos concitoyens vinrent assister à ces expériences. Douze planeurs prirent part à toutes les épreuves qui consistaient à étudier la construction, la stabilité et le rendement de ces appareils.

Il y en avait de toutes les formes, des cellulaires (système Madiot); des planeurs à aileron (genre capitaine Saconney); des hargraves; d'autres encore, de forme hexagonale ou trapézoïdale.

On remarqua surtout une superbe flottille de cerfs-volants qui permettait d'enlever un passager et que l'un des membres du Drago-Club, M. Schwetzer, avait construite.

En 1913, cette Association continua de présenter quelques exhibitions de ces appareils, mais elle ne tarda pas à péricliter, le public portant plutôt toute son attention sur l'aviation.

Quel sera dans le département de l'Aube, l'avenir des jeunes Sections d'aviation légère, je l'ignore; mais je souhaite, de tout cœur, qu'elles réussissent pleinement dans la voie où elles s'engagent avec une belle hardiesse ! Car enfin, ils sont l'œuvre de chacune d'elles, ces Poux du Ciel, que demain, nous verrons s'élancer dans l'azur !

A vaillants cœurs, rien d'impossible !

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(1) Le 28 juillet 1933, Kronfeld, venant de Vienne sur son planeur remorqué par l'avion de Neukelmann, atterrit sur l'Aérodrome de Troyes (Barberey).

(2) M. Mignet, inventeur et constructeur du " Pou du Ciel " donne toute licence aux amateurs désireux de construire eux-mêmes un appareil de ce genre, d'après les plans qu'il a établis.

A noter que, le 13 Août 1935, pour la première fois, Mignet traverse la Manche sur son " Pou du Ciel ". " Décollant " de Saint-Inglevert à 19 h. 05, il passe au-dessus de Douvres à 19 h. 40, et atterrit à Lympne, à 19 h. 55.

(3) M. Charles Dumont, engagé volontaire pendant la guerre, dans l'Artillerie lourde, est affecté dans l'aviation, en octobre 1917. Breveté pilote le 5 février 1918, M. Dumont est versé à l'escadrille Salm. 50, jusqu'au 17 janvier 1919; puis il est attaché comme convoyeur d'avions, à la maison Salmson, au R.O.P. à Saint-Dizier et à Dijon. Le maréchal-des-logis Dumont est titulaire d'une citation à l'Aéronautique.