3 - Le statuaire Edme Auguste Suchetet



La deuxième année, Suchetet obtenait une deuxième médaille d’Académie et une troisième médaille de Composition, puis, en fin d’année, un second prix d’Académie.

Je ne saurais laisser passer sous silence l’appréciation que porta, un jour, le Maître Mr Cavelier, sur le jeune Suchetet.

“ Mon ami, lui dit-il, vous avez de très belles et très sérieuses qualités, aussi vous faudra-t-il obtenir le Prix de Rome, dans trois ans au plus tard, parce qu’un trop long séjour à l’Ecole vous ferait perdre toutes ces heureuses dispositions et ce serait dommage “.

Nous verrons que Suchetet après sa deuxième tentative de montée en loge, se souvint des paroles du Maître et se manifesta par un coup d’éclat qui étonna tout le monde des Arts.

La troisième année, Suchetet remporte une deuxième médaille de Composition et se classa premier à l’épreuve de Composition pour la montée en loge, avec le premier prix de la tête d’expression. C’était la première fois qu’il concourrait pour le prix de Rome.

“ Je n’étais pas familiarisé “, m’avoua-t-il, “ avec les procédés employés par les anciens, pour se ménager des latitudes de Composition, au cours de l’exécution du concours, de sorte qu’ayant trop arrêté son modelage, je me suis trouvé dans l’obligation de n’y rien changer, ce qui a nui au résultat. Le sujet était le suivant : Caton d’Utique se donne la mort après avoir relu l’immortalité de l’âme de Platon “.

Suchetet fut classé troisième, c’est à dire qu’on lui décernait le deuxième second Grand Prix de Rome, (année 1878).

Ayant échoué, l’année suivante au concours de montée en loge, Suchetet se souvint des paroles que lui avait adressées Mr Cavelier, c’est à dire de n’avoir pas à s’éterniser à l’école, aussi décida-t-il, avant le prochain concours de montée en loge, de travailler à une composition qui lui plaisait beaucoup.

Il alla soumettre son idée à son compatriote, le statuaire Paul Dubois qui prêtait volontiers l’un de ses Ateliers à certains élèves de l’Ecole.

Paul Dubois l’approuva et lui donna toutes facilités pour l’exécution de son travail. Quelques semaines plus tard, en rentrant de vacances, le Grand-Maître trouva l’œuvre de Suchetet assez avancée ;

“ votre idée n’est pas mauvaise “, lui dit-il, “ vous pourrez certainement faire une très belle chose, je vais même donner des ordres pour que l’on chauffe, dès maintenant, votre atelier, de façon que votre modèle ne prenne pas froid et puisse poser convenablement “.

Les mois d’hiver s’écoulaient. Un jour, un homme de courte taille, à la barbe hirsute, se présenta à l’atelier. Après avoir considéré avec intérêt et aussi avec une certaine curiosité, le modelage auquel travaillait Suchetet, il pénétra dans l’Atelier du Maître. C’était Vincenzo Gemito, le célèbre statuaire napolitain qui venait faire le buste en bronze, à cire perdue, de Paul Dubois.

De temps à autre, Vincenzo Gemito s’en allait trouver le jeune Suchetet qu’il encourageait dans son travail. Il ne cachait pas son admiration pour cette œuvre et il fit même cette réflexion à Paul Dubois ;

“ Maître, vous avez là un bon élève !. Quelles belles qualités de forme possède cette figure, comme le modelé est chaud “. Paul Dubois acquiesça et frappant, amicalement, sur l’épaule de son jeune compatriote, il lui dit : “ça va bien, mon ami, continuez”.

Dans ces conditions, Suchetet pouvait être assuré qu’il serait admis d’emblée au Salon et remporterait peut-être une mention honorable, c’est à cela que se bornaient toutes ces espérances, car, les récompenses décernées au Salon ne sont pas des prix d’Ecole, elles sont la consécration de la valeur artistique des œuvres de statuaires déjà éprouvés, comme étant beaucoup plu en possession de leur art, au point de vue métier.

Alors que le modelage de Biblis changée en source, c’est ainsi qu’il dénommera son œuvre était livré aux mouleurs, Suchetet, atteint de la fièvre muqueuse, entrait à l’hôpital ; c’est donc en son absence que son œuvre fut transportée au Salon.

Dès sa sortie de l’hôpital, notre jeune Artiste se rendit au Palais de l’Industrie où se trouvait alors le Salon des Beaux-Arts, il fut tout surpris de voir que sa Biblis, placée au milieu du jardin, près de la porte d’entrée et à droite du fameux lion de Belfort, occupât une place d’honneur.

Nous sommes au matin du vernissage, une foule nombreuse encadre le Prix du Salon, car Biblis est le Prix du Salon, cette foule discute avec passion, au moment précis où arrive Suchetet encore ignorant de son succès. Laissons lui le soin de nous conter cet instant pathétique où, pour la première fois, un jeune artiste de 25 ans se classe, sans coup férir, parmi les maîtres de la statuaire.

“ M’étant approché de mon Biblis “, me dit l’éminent Statuaire “ avec les larmes dans les yeux, je fus reconnu par des camarades d’atelier de l’Ecole ; on prétend, objecte l’un d’entre eux, que tu es l’auteur de cette figure, tu as donc oublié d’y apposer ton nom ? Eh oui, répondis-je, c’est d’ailleurs une mission facile à réparer, et, au crayon, je signai sur le plâtre. A partir de ce moment, je ne pouvais plus circuler, j’étais pressé par la foule qui voulait me voir, m’entendre et me complimenter. J’étais gagné par l’émotion la plus vive et je marchais comme dans un rêve. Ce fut là, le plus beau jour de ma vie .

“ Ah, combien je laissais loin derrière moi, souffrances physiques et privations multiples qui m’avaient, bien jeune encore, tant accablé. J’étais heureux, heureux, aussi avais-je hâte d’aller annoncer la bonne nouvelle à ma chère petite compagne, comme moi, avait enduré toutes privations, pour arriver à payer le modèle et assurer cette réussite qui dépassait tout ce que l’on peut espérer.

" Qu’il me soit permis de faire une petite digression afin d’exposer que cette personne dont parle Suchetet fut le grand Amour de sa vie, aussi m’engagea-t-il de ne pas l’oublier si, un jour, j’étais appelé à écrire sa biographie.”.

Suchetet pensait épouser cette amie dès qu’il aurait accompli ses voyages à l’Etranger, car le Prix du Salon, accordait à son titulaire, une bourse de voyages, pour trois ans, en Italie, d’abord, et ensuite, au grès du lauréat. Notre jeune statuaire avait emmené sa chère petite compagne, comme il se plaisait à l’appeler, en Italie, espérant que le soleil vivificateur de ces régions la guérirait, car elle était gravement atteinte de la poitrine. Mais il n’en fut rien et c’est mourante qu’il la ramena à Paris, une année seulement après son départ.

A partir de ce moment, un long voile de deuil s’étendit sur son âme, et ce deuil, il le porta désespérément dans le cœur pendant toute son existence. N’ayant pas le désir de trahir cette grande affection, il demeure célibataire, vivant alors dans une trop grande liberté, génératrice bien souvent, d’un certain désordre matériel et moral.

L’âme sœur que la Providence avait placée sur la route, au moment de son triomphe au Salon, n’était plus là, pour lui donner les encouragements dont il avait le plus impérieux besoin, car Suchetet était un sensitif, un rêveur.

A cet état de choses, vint s’ajouter son inexpérience des affaires commerciales qui lui créa les pires difficultés avec les administrations, les Comités ou les Villes qui sollicitèrent le concours de son talent. Aussi, toutes ces raisons contribuèrent-elles, dans une grande mesure, à paralyser la production de ce Maître.

Dans tous les cas, que l’on sache que c’est en souvenir de ce grand amour que Suchetet conçut son Nid d’Amour, œuvre qui répondait le mieux à ses aspirations et à laquelle il attacha son âme toute entière.

J’en reviendrai au Salon de 1880, en affirmant que notre compatriote y remporta un succès sans précédent et je me permettrai d’engager les lecteurs de cette biographie de vouloir bien consulter la copie des appréciations de la Presse et des Critiques d’Art que je me propose un jour de déposer aux Archives de la Société Académiques de l’Aube ainsi qu’à la Bibliothèque municipale de Troyes.