7 - Léon Darsonval (Pilote Aéronaute)

EN BALLON de BULLY-GRENAY à la MER BALTIQUE

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Sur le terrain nous retrouvons les engagés : Dollfus, Ravaine, Dupont, Liénard et Legay qui procèdent à l'arrimage de leur matériel.

Vers 14 heures, les six ballons sont en cours de gonflement et le gaz sur-pressé siffle dans les conduites quand l'orage se déchaîne brutalement.

Le vent arrache les feuilles des arbres, fait claquer les drapeaux et donne des gifles magistrales aux grosses bulles de gaz qui se balancent et tendent leurs amarres à l'extrême. Nous chargeons en lest pour maintenir solidement à terre, mais l'ouragan augmente vite d'intensité ; un, puis deux ballons, se libérant de leurs entraves se retournent, arrachant les filets dont ils sont prisonniers et s'échappent déchiquetés par la tempête. Le moment est critique !

Ce sont les aérostats de Dollfus et de Legay qui viennent de subir ce triste sort, nous présentons à nos camarades malchanceux nos regrets de les voir éliminés de la compétition d'une façon aussi peu sportive.

Bientôt après, et aussi rapidement qu'elle est venue, la tempête se calme, ce qui permet de poursuivre le gonflement sans autre alerte.

Après avoir arrimé la nacelle et les divers appareils de bord, nous sommes parés ; à 19 h. 30, l'Aube s'élève majestueusement, conduit par son vaillant et valeureux pilote ; j'ai cité, vous l'avez deviné : Léon Darsonval, que j'ai la bonne fortune d'accompagner et d'aider, si possible, dans sa tâche. Où irons-nous ? Quel temps fera-t-il ? Quelle sera la durée de l'ascension ? Quelle place prendrons-nous dans le classement ? Le point d'interrogation est de mode. Rapidement l'altitude de 300 mètres est atteinte, l'inventaire du lest, près de 300 kilos, nous laisse augurer un long voyage si toutefois les conditions atmosphériques nous y autorisent et si nous ne sommes pas entraînés vers la mer. Nous verrons bien !

Un bon vent de dix mètres secondes pousse l'Aube dans la direction Nord, puis franchement Nord-Est ; cette direction est meilleure. A vingt heures, nous sommes à hauteur de La Bassée, le sol à perte de vue est couvert de maisons, d'usines, de routes, de voies ferrées ; des cimetières militaires disent combien sur ce morceau de France la lutte de 1914 à 1918 a été rude.

Lille est proche à l'Est, Haubourdin, Lomme, Canteleu et Lambersart défilent sous la nacelle : ce sont des noms biens familiers aux bonnetiers troyens.

L'agglomération lilloise apparaît dans toute sa puissance avec sa forêt innombrable de cheminées d'usines de filatures de coton et de laine.

A 21 heures, nous pénétrons en Belgique entre Halluin et Tourcoing, la nuit étend son voile et les villes, que nous fuyons, s'allument de mille feux qui scintillent dans le crépuscule. Courtrai est à la verticale ; à 21 h. 30 l'atmosphère paraît favorable à un voyage de nuit, quoique la direction devra être attentivement surveillée car la mer est proche et la moindre saute de vent dans cette direction nous y conduirait rapidement.

L'installation électrique du bord est montée, ce qui permettra de suivre nos appareils et notre route sur la carte.

La nuit sans lune est d'un noir d'encre ; comment, me direz-vous, reconnaître le pays ? La boussole, les phares aériens et marins, les cours d'eau, les trains en marche, les lumières des agglomérations et jusqu'aux phares des autos qui sillonnent les routes nous y aideront concurremment avec la carte.

Il est 21 h. 45, un phare aérien se trouve sur notre alignement et lance ses éclats blancs à intervalles réguliers, c'est Gand. Nous en situons d'autres à l'Est, ceux de Bruxelles et de Malines dont nous apercevons les lueurs dans le lointain. Un autre au Nord-Est, Anvers ; ces phares balisent la ligne aérienne Bruxelles-Amsterdam.

Nous survolons les faubourgs Est de Gand à 22 h. 35, le spectacle est féerique, dans l'obscurité totale, des taches claires se remarquent sur le sol et donnent l'impression que, par place, celui-ci est phosphorescent.

Étant à la verticale, la source de lumière est cachée à nos yeux par les réflecteurs et cette remarque nous amène à penser que ce doit être au cours d'un voyage de nuit en ballon, que l'ingénieur Jacopozi a eu l'idée d'illuminer les monuments parisiens par réflexion .

La mer du Nord est proche à l'Ouest et nous voyons les éclats des phares situés aux embouchures de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, notre altitude est de 1.100 mètres. Nous approchons d'Anvers et sommes à sa hauteur à minuit quinze.

Nous sommes émerveillés ! Le ciel est sous nos pieds ! Nous ne distinguons rien de précis sur terre, mais seulement des milliers d'étoiles groupées en constellations dont nous remplaçons les appellations mythologiques par des noms de ville. Est-ce la boucle de l'Escaut cette rivière de diamants ? Mais non ! c'est la voie lactée avec des étoiles qui ont été placées par un géomètre. En regardant attentivement les points brillants on les compte par paires, la lumière est réfractée dans l'eau du fleuve, ce qui donne naissance, pour nos rétines seulement, à une nouvelle étoile.

Un vaste quadrilatère lumineux rouge est au centre de ce groupe et sera, pendant près de deux heures, un point de repère qui aidera à déterminer notre angle de route, celui-ci demeure constant à toute les altitudes où nous nous sommes trouvés jusqu'ici et cette constatation est de bon augure.

Occupés par cette féerie lumineuse, nous avons oublié notre besogne ; des éclairs fulgurants viennent nous rappeler à la réalité et zèbrent l'horizon au Sud et au Sud-Ouest. Le temps se gâterait-il ?

L'atmosphère étant absente de nuages dangereux, le bruit du tonnerre ne parvenant pas jusqu'à nous, l'orage se fait donc très loin.

La frontière hollandaise est franchie ; vers 2 h. 15, Bois-le-Duc est à l'aplomb, peu après cette ville, ayant les pupilles bien dilatées par l'obscurité et n'étant qu'à 600 mètres, nous devinons les méandres de la Meuse et parvenons à situer notre point exact. A trois heures, à leur tour, les bras du Rhin sont survolés en vue de Nimègue qui est environ à quinze kilomètres à l'Est ; mais l'intensité lumineuse de ces dernières villes est de troisième grandeur par rapport à celle de Gand et d'Anvers.

Le froid de la nuit fait descendre l'Aube ; Darsonval s'y attendait et surveille attentivement l'altimètre. Un jet de lest effectué dès que la descente s'amorce et l'équilibre est rétabli.

Sous la nacelle maintenant c'est l'infini noir. Aurions-nous commis 80 une erreur aussi importante ou bien notre direction se serait-elle soudainement modifiée et serions-nous engagés au-dessus du Zuider-Zée ?

La carte nous renseigne, nous traversons une bande immense, sans habitation, sans lumière, seule la lampe électrique du bord est notre compagnie vivante.

Nous avons bien la sensation d'être isolés du monde dans toutes les dimensions, personne ne nous voit, personne ne sait où nous nous trouvons à cette heure, pas un bruit, pas même le sifflement du vent, pas même un cri d'animal sauvage : rien ! Les ténèbres et le silence absolu qui impressionnent et laisse rêveur. Les minutes s'écoulent mélancoliques, j'invite Darsonval à entonner un air de circonstance : " Au temps des cerises ", que je reprends à la ritournelle et que nous chantons tous deux aux échos.

Jusqu'ici notre carte était à bonne échelle, celle que nous possédons pour continuer le voyage est digne de figurer sur l'atlas d'un écolier, peu importe ! Dans une heure le jour viendra, la direction est soigneusement relevée, nous passerons au Sud-Est du Zuider-Zée, d'après nos pointages la vitesse est bonne et régulière, depuis minuit un bon 40 à l'heure a été maintenu, notre départ de Bully est vieux de huit heures et 300 kilomètres nous en séparent ; le lest a été économisé et Darsonval, fin pilote, ne le jette qu'avec parcimonie et à bon escient ; il reste encore une provision de 200 kilos de sable, nous pouvons tenir l'air encore longtemps.

4 heures. - Le bruit d'un train en marche monte du sol, le foyer de la locomotive ouvert par instants, nous fait repérer le tracé de la voie, celle-ci aboutit à un groupe de lumières dans le lointain. Peu après le jour commence à poindre, ayant pris un croquis, nous saurons par la suite que nous nous trouvions à 400 mètres au-dessus de Deventer, dans la province d'Over-Yssel, en Hollande.

Le paysage qui s'éclaire lentement est immensément plat, le sol est divisé en parcelles géométriques bordées de canaux ou de rigoles, pas de bourg, seuls des fermes isolées et des moulins à vent dont les ailes semblent nous faire des signaux. A cette heure matinale nul mouvement ne paraît, l'Aube est stable à 300 mètres et avance bon train ; bien que nous soyons en Hollande, un chant bien français retentit, les coqs ont aperçu le soleil qui se lève dans une mer de nuages colorés de l'indigo au rouge feu en passant par toute la gamme des orangés et des verts, tandis qu'à l'Ouest, l'horizon reste embrumé d'un bleu de nuit et que les contours des choses restent imprécis. J'avais déjà contemplé le lever du soleil lors d'une ascension pédestre au Mont-Blanc ; en pays plat, vu en ballon, le moment conserve pareillement toute sa majesté, c'est la vie qui recommence.

5 heures. - Toujours des canaux, pas de route, pas de relief, l'aspect ne change pas, mais le sol qui, jusqu'ici, était couvert de cultures, devient pauvre et marécageux davantage, le soleil brille maintenant et aussi loin que nous pouvons fouiller l'horizon dans toute les directions, nous apercevons des stries argentées de lumière tels d'immenses miroirs.

De vastes étendues, où le sol prend des colorations allant de l'ocre sombre au noir, semblent ne renfermer aucune vie, pas même des oiseaux d'eau ; quel pays morne ! Ce sont des contrées en cours d'assèchement, des polders, qui permettent lentement et patiemment aux humains de conquérir des terres fertiles ; l'assèchement se fait au moyen d'appareils élévatoires mus par par des moulins à vent, tel le lac d'Harlem qui a été 81 conquis sur la mer par ce moyen en moins de quatre ans et de quelques 20.000 hectares où maintenant fleurissent les tulipes.

5 h. 30. - Nos calculs indiquent que nous devons franchir la frontière germano-hollandaise et que nous pénétrons dans la province de Hanovre en Allemagne.

6 heures. - Nous devons pendant quelques instants survoler à nouveau le territoire hollandais pour revenir aussitôt en Allemagne, mais nous n'avons aucun repère pour nous le confirmer.

6 heures 30. - L'aspect du sol devient moins symétrique, une rivière paresseuse serpente ; de par les nombreuses sinuosités de son cours on devine combien la pente est faible et sa difficulté à trouver son chemin, à travers une vallée verdoyante, où, enfin ! de nombreuses maisons aux couleurs vives sont semées autour d'une église de briques rouges, au fin clocher, et dont le carillon est lancé à toute volée ; c'est aujourd'hui dimanche 16 août. Sur les chemins, des points noirs se déplacent, nombreux, surmontés d'un point blanc, ce sont les fidèles qui se rendent à l'office matinal. La contrée est traversée par un canal aux rives bordées de hauts peupliers, et des péniches à moteur glissent sur l'eau calme en pétaradant. Ce coin est bien vivant et contraste avec les 120 kilomètres de marais qui viennent d'être franchis, le son des cloches le rend gai.

A 300 mètres, nous appelons ; des voix incomprises montent, des mains s'agitent, les cloches égrènent leurs dernières notes, le vent, avec elles, nous emporte et bientôt l'horizon redevient ce qu'il était, des marécages.

8 heures. - Un lac important est devant nous avec une ville traversée par une ligne ferrée au Sud ; nous survolons la gare et cherchons un nom, soit sur les bâtiments, soit sur un château d'eau, nous ne trouvons rien et je regrette de ne pas avoir emporté une jumelle. Notre carte n'indique pas ce lac qui a, cependant, des dimensions respectables, six kilomètres de long sur quatre de large. C'était Zwischenahn, sur la ligne de Brême à Emden, et le lac la Zwischenahnermeer où plusieurs voiles avaient prix le large pensant peut-être, étant à basse altitude, devoir nous repêcher.

8 heures 45. - Au Nord, dans la brume, nous voyons la baie de Wilhemshaven, le rivage est environ à dix kilomètres, mais notre direction reste bonne, étant tangente avec la côte.

9 heures. - Le soleil commence à faire sentir ses effets sur le ballon, 600 puis 900 mètres sont atteints, un fleuve important est en vue, la Weser, bordée à l'Ouest d'une voie ferrée où roule un train sur sa droite.

Ce détail suffirait à nous confirmer que nous sommes en Allemagne. Darsonval qui souhaitait d'atterrir en Prusse verra sans doute son désir exaucé.

Nous franchissons le fleuve en diagonale à 9 h. 15, un gros steamer remonte le courant laissant derrière lui une longue traînée noire qui nous fait constater qu'à cette heure la brise de terre a une direction sensiblement plus Nord que la nôtre ; ouvrons l'œil pour ne pas être entraînés vers la mare aux harengs !

9 heures 30. - L'altitude continue d'augmenter, 1.800 mètres, la Weser est toujours en vue, sur la rive Ouest nous distinguons de nombreuses citernes ; on croirait les cartons d'un tir forain, c'est le port pétrolier de Nordenham ; sur la rive Est, des docks et bassins, Bremerhaven et Gestemünde.

Le 15 août 1931, l’Aube, piloté par Darsonval, ayant comme passager R. Coudrot, part de Bully-Greney et atterrit à Boostedt près Neumünster (Sleswing Holstein) après avoir fait un parcours de 640 km en 17 h et être monté à une altitude maximum de 3050 m. (Record de distance).

Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas ! Météorologiquement le vieil adage est à modifier, car ce 15 août 1931 ressemble au 15 août de l'an passé. Le temps est tout aussi incertain et des cumulus nimbus menaçants se groupent à l'horizon, annonçant l'orage proche.

Nous nous retrouvons cette année, à la même date, accompagnés de notre dévoué et sympathique Secrétaire et ami Roger Renard, au même lieu, au Parc des Sports de la fosse n° 5, à Bully-Grenay, en vue de concourir avec le ballon l'Aube, 1.200 m3, de l'Aéro-club de l'Aube, pour la Coupe de distance des Mines de Béthune, organisée par l'A.A.N.F.

10 heures. - Les nuages semblent descendre lentement, 2.000 mètres et l'Aube commence à avoir le ventre rebondi comme au départ de Bully, mais notre estomac crie famine ; nos soutes nous offrent un sandwich arrosé d'eau minérale et quelques fruits que Darsonval et moi croquons à belles dents, une gorgée de café chaud de la thermos et la table est desservie, il ne manque que le cigare, mais celui-ci est prohibé.

10 heures 15. - 2.150 mètres, de nombreux nuages sont plus bas et la terre n'est visible qu'au travers d'un écumoire, au Nord-Ouest, la mer et la presqu'île de Cuxhaven sont identifiées ; par temps clair peut-être aurions-nous entrevu le nid d'aigle d'Heligoland. Des petits flocons de neige pulvérisée papillonnent, le thermomètre est descendu à moins 4°.

11 heures 15. - Altitude 2.400, l'air ambiant est glacé, mais le soleil est brûlant et nos épidermes sont rôtis, nous sommes presque à la verticale quand nous voyons l'Elbe, immense nappe de 4 kilomètres de large que nous traversons à son embouchure à hauteur de Gluskstadt. Le nom de cette ville indique le bonheur et nous sommes joyeux, tout va bien à bord.

11 heures 30. - Nous montons toujours, 3.000 mètres, cette fois la dernière couche de nuages est dépassée, le ciel est bien net, par contre le sol est complètement éclipsé, l'ombre du ballon se détache sur l'écran des nuages et notre moindre mouvement y est projeté, tandis que le tableau est entouré des couleurs vives du prisme : l'Auréole des Aéronautes.

Où allons-nous ? Nous ne voyons plus le sol et la surprise de se retrouver au-dessus de la mer, en descendant, ne serait pas des plus agréables, attendons un mouvement naturel de descente et n'oublions pas que nous devons aller le plus loin possible.

11 heures 45. - L'aiguille de l'altimètre qui était fixée sur le chiffre 3.050 commence à rétrograder, d'abord lentement, puis accélère, la montre nous révèle que nous descendons à raison de 140 mètres-minute. Darsonval balance du lest, nous rentrons dans les nuages dont la fraîcheur active la condensation, nouveau sacrifice très important de lest, cette fois la descente est enrayée à 1.400 mètres, la terre étant visible à nouveau par des trous, nous naviguons toujours !

Midi. - Des nimbus semblent se former au Sud-Ouest, la descente naturelle reprend, le pilote freine de nouveau la descente par des jets de sable, nous voyageons à 800 mètres et devant nous maintenant, c'est la mer Baltique !

La nacelle est encore chargée de quelques sacs de lest qui seraient très insuffisants pour poursuivre longtemps le voyage, notre zone d'équilibre étant bien supérieur à 3.000 mètres, un délestage trop accentué nous ferait de nouveau monter, traverser les nuages et voyager en aveugle alors que la mer est sur notre alignement, ensuite la descente s'effectuerait dans des conditions précaires et dangereuses, d'autre part il n'y a plus à douter, l'orage se forme, il va falloir se résigner à atterrir ou bien voyager sur guide-rope, mais la région nous est inconnue et la rencontre de lignes électriques à haute tension serait à redouter, la décision du pilote est prise.

Midi 15. - Nouvelle perte d'altitude, sur notre route une forêt de sapins assez vaste, plus loin des prairies, ayant encore du lest pour manœuvrer, nous pouvons calculer l'atterrissage. Au-dessus de la forêt, le guide-rope est largué et glisse sur la cime des arbres. Voilà maintenant un beau tapis vert pour nous recevoir, Darsonval a les cordes en main et se prépare à l'ultime manœuvre qu'il réussit comme les autres, en maître.

Un coup de soupape, la nacelle a touché terre, le vent assez rapide nous traîne, le panneau est ouvert, l'Aube s'immobilise et agonise ; ce qui reste de ses 1.200 m3 de gaz est emporté en quelques secondes, il est midi trente.

Nous sortons à quatre pattes de notre panier qui nous sert d'habitation depuis 17 heures, il faudra, avant la pluie, replier vivement le matériel et, sans tarder, nous nous y affairons.

- Regardez les nymphes, s'écrie tout à coup le Papa Léon ! Je lève les yeux absorbé que j'étais dans le démontage des agrès. Je dois rêver ! Une nuée de jeunes filles accourt, mais je ne me trompe pas ? elles sont en uniforme ! Rien de surprenant, nous sommes en Allemagne. Elles ont sacrifié la mode des robes longues par des costumes plus sommaires qui font mieux que laisser deviner leurs formes harmonieuses.

Serions-nous descendus au paradis ? Dans un cercle d'héliothérapie ? Ou bien aurions-nous surpris les secrets d'un camp de nudistes ? Elles sont près de nous, comme nous sommes vêtus de chandails et d'imperméables et qu'il fait chaud, l'ambiance nous gagne ; tombons la veste !

De nombreuses mains fleurissent la nacelle, ainsi que notre fétiche : un ballon rouge d'enfant. Pour répondre et remercier, ne possédant l'allemand suffisamment, que faire. Les embrasser toutes ! Cette fois c'est Darsonval qui vient à mon aide. Les nymphes sont groupées autour de nous, nous sommes identifiés, " franzozen " ; il faut fixer la scène, des appareils photo qui ne doivent pas sortir des poches sont braqués, nous en retenons des épreuves, mais il n'y a pas de pupitre pour écrire nos adresses, l'épaule d'une girl, pardon ! d'une fraülein vaut mieux que la bosse du petit homme de la rue Quincampoix.

Croyant encore être descendus au paradis nous nous rappelons que nous n'avons pas vu le maître de céans, celui-ci se révèle bientôt sous les habits d'un schupo qui nous demande nos papiers, c'est simple à répondre : " kein papier ".

L'enchantement est rompu et les charmantes nymphes, à son approche, se sont enfouies ; au diable soit le schupo !

A notre tour de poser des questions, où sommes-nous, exactement ?

A Boostedt, la frontière danoise est à quelques 70 kilomètres au Nord, Kiel dans la même direction à 30 kilomètres, nous sommes dans le Schleswig-Holsteïn.

Un chariot attelé arrive, nous y chargeons le matériel qui a été replié promptement avec le concours des habitants accourus et que notre qualité de Français n'empêche pas d'être empressés et accueillants.

Perchés sur la nacelle, nous arrivons au village au moment où les écluses célestes sont ouvertes et que le tonnerre bat de la grosse caisse, les tempêtes de la Baltique sont réputées coléreuses et il nous est donné d'assister à une répétition générale ; il était temps d'atterrir !

Un wirtschaft nous accueille, les glass bier s'alignent sur la table : " Prosit ! " et tous parlent à la fois et posent mille questions dans un mélange de français, d'allemand, de petit nègre et force gestes.

Nous nous rendons chez le maire et nous sommes priés de nous restaurer, café au lait, confitures et autres délikatessen nous sont offertes.

La base aérienne de Kiel a été alertée par téléphone et un inspecteur ne tardera pas à nous rendre visite. Peu après une auto arrive, présentations : oberleutenant Jorke, inspecteur de la navigation aérienne et l'officier de gendarmerie du district.

Vous venez de Bully-Grenay ! Vous avez parcouru la plus grande distance, vous devez être les gagnants de la course ! ", sont les premières paroles que nous traduisons. Nous allons d'étonnements en étonnements.

Comment le savez-vous ? " Vos camarades du ballon Brampton ont atterri à 10 h. 1/2, à Filzbeck " et, le doigt posé sur la carte, nous indique le lieu. Darsonval est au comble de la joie et oberleutenant Jorke, pilote-aviateur et également pilote-aéronaute, le félicite de sa remarquable performance. Les officiels s'offrent à transmettre nos télégrammes pour rassurer nos familles et nos camarades, leur voiture est mise à notre disposition pour nous conduire à Neumünster où l'on nous délivre un laissez-passer nous invitant à nous rendre au Consulat de France à Hambourg.

Nous entrons en relation téléphonique avec nos concurrents qui ont atterri à une vingtaine de kilomètres avant nous, grande est leur surprise de nous trouver au bout du fil, rendez-vous est pris avec eux pour le lendemain, puis nous prenons congé des autorités allemandes qui nous souhaitent bon retour et que nous remercions.

Le lendemain, mais cette fois en chemin de fer, s'effectue le retour viâ Hambourg. Nous passons la journée en cette Babylone moderne que nous visitons sur les indications du vice-consul de France, M. Vequaud, dont l'obligeance nous facilite grandement toutes les formalités.

Nous voyons le port et les quais où accostent les plus gros transats, le curieux quartier de Saint-Pauli, le tiergarten, le tunnel sous l'Elbe et enfin la Repeerbahn qui représente le Montmartre hambourgeois ; toutes ces visites nous valent une sérieuse addition au taximètre.

L'heure de notre train est impitoyable et à minuit, en quatrième vitesse, nous gagnons l'Hauptbahnof, de justesse, pour sauter dans le rapide pour Paris ; nous avons pour 19 heures de schnellzug par Brême, Essen, Cologne, etc..., avant de gagner la capitale.

Le voyage a été magnifique et réussi !

Darsonval remporte la Coupe des Mines de Béthune 1931 !

Les Couleurs de l'Aéro-club de l'Aube, après avoir flotté sur la Belgique, la Hollande et l'Allemagne du Nord, ont été portées jusqu'à la mer Baltique.

L'Aube a tenu l'air 17 heures, 640 kilomètres à vol d'oiseau ont été franchis.

Le record français de l'année est battu.

Les qualités du pilote, recordman de l'Aube et de France 1931, une fois de plus, sont confirmées.

Bravo Darsonval !

R. COUDROT.

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BALLONS LIBRES

Les Épreuves de Ballons libres en 1931

L'aérostation a été l'objet de peu de manifestations en 1931, en raison du mauvais temps persistant et des conditions économiques.

La 3e Coupe Gordon-Bennett, définitivement gagnée , par les États-Unis, n'a pas été rétablie. Une quatrième Coupe Gordon-Bennett sera courue a partir de 1932.

Un seul concours a eu lieu à l'Aéro-Club de France; le Prix Aumont-Thiéville, couru à Saint-Cloud le 1er août. Cinq concurrents y ont pris part. La plupart ont été arrêtés par un orage violent. Les gagnants ont été : 1er M. MARIUS MARQUANT, qui atterrit en Loiret; 2e MM. BOITARD et CORMIER; 3e M. CHARLES DOLLFUS.

La Coupe des Mines de Béthune a été courue le 15 août à Bully-Grenay (Pas-de-Calais). Elle a été gagnée par M. DARSONVAL, de l'Aéro-Club de l'Aube, qui atterrit entre Hambourg et la frontière danoise, 630 km. ; le second, M. DUPONT, de l'Association Aéronautique du Nord, a atterri à Filtzbeck (Allemagne), parcourant 621 km. M. DUPONT s'est attribué les Coupes Juchmès Melchior, Léon Maison et Maurice Mallet pour l'année 1931, avec un total de distance de 1.505 km.

La performance du professeur PICCARD a suscité des imitateurs : Plusieurs ballons stratosphériques sont actuellement en construction dans différents pays.

En 1932, deux tentatives ont eu lieu en Allemagne, avec le ballon " Ernest Brandenbourg ", les 19 février et 19 mars. Les aéronautes étaient M. SCHULTZ, pilote, et M. SUCKSDORFF, observateur. Le ballon n'est monté qu'aux altitudes de 9.000 et 8.500 mètres, fréquemment atteintes précédemment.