13 - Léon Darsonval (Pilote Aéronaute)


Les Ailes brisées

Mort du pilote de lignes Robert Arnoult

L’avion Alger Dakar s’écrase près de Blida

(Les 25 occupants ont péri)

La Tribune du 29 septembre 1942 – L’avion Devoitine 342 S-A.R.I.Z., assurant le service régulier d’Alger vers Casablanca et Dakar, le 27 septembre, a eu un grave accident en vol, alors qu’il venait de dépasser Blida. En arrivant au sol, l’appareil a pris feu ; les 21 passagers et les 4 membres de l’équipage ont été carbonisés. Voici la liste des victimes :

Equipage _ MM. Chenu, pilote ; Jellade, radio ; Rénier, mécanicien ; Hoeflinger, barmann.

Passagers – M. Arnoult, pilote d’Air-France ;. Casanova, pilote d’Air-France ; M. Beaufils, de la Compagnie Air-France ; M. Georges, de la Compagnie Air-France.

Mme la générale Barreau et son fils ; M. Haffen, M. Fessy, M. Cremailh, Mme Serfati, Mme Bompard, Mme Cavaiera et son enfant, Mme Balard, Mme Godin, Mme Gaston, Melle Gaston, Mme Sérignac et son enfant, Mme Pau et son enfant. Une enquête technique a été aussitôt ouverte par les services du secrétariat d’Etat à l’aviation pour rechercher les causes de cet accident.

L’accident serait dû à une rupture de l’aile gauche

D’après un premier examen technique des restes de l’avion, il résulte que l’accident a été causé par la rupture en vol de l’extrémité de l’aile gauche, au devant du moteur. Rupture due probablement à l’accélération prise par l’appareil dans les nuages et à la manœuvre du pilote pour enrayer cette trop grande vitesse à la sortie de la nuée. L’” explosion “ entendue par les témoins est le bruit de la rupture de l’aile métallique et non l’explosion d’un réservoir. Les débris de l’aile ne portent aucune trace de feu à l’endroit de la cassure.

C’est par une dépêche laconique que la Compagnie “ Air France “ annonçait lundi, à sa famille habitant Maison-des-Champs (Aube), la mort du pilote de lignes Robert Arnoult.

La Radio, d’autre part, signalait dans la soirée du même jour qu’un avion de transport accomplissant le trajet Alger – Casablanca – Dakar, s’écrasait en flammes, le 27 septembre, à 15 heures, sur le territoire de Blida, occasionnant un nombre important de victimes toutes carbonisées dont le pilote Robert Arnoult.

Dès que j’appris cet affreux accident je me rendis à Maison-des-Champs et au nom de l’Aéro-Club de l’Aube et en celui de tous les français déplorant une semblable catastrophe, je présentai à la famille éplorée nos bien sincères et très attristées condoléances.

Ce petit village de Maison-des-Champs qui m’est bien familier et me semblait si accueillant avec ses fermes spacieuses me parut, cette fois, tout imprégné de tristesse. La première personne que je rencontrais dans le pays m’aborda en me disant : “ Vous connaissez la terrible nouvelle ? “ Hélas ( nous nous comprenions ! et le spectre de Robert Arnoult se leva devant moi ! Dès lors sa vie m’apparut tout entière. Fils d’agriculteur, il fit ses premières armes au collège Urbain IV à Troyes, puis, de retour dans la maison paternelle, il ressentit les premières et terribles morsures de l’hydre nouvelle et dévorante qui ravageait déjà le cœur de beaucoup d’hommes : L’Aviation.

Pour réaliser son rêve d’immensité Robert Arnoult étudie par correspondance au Génie Civil, ce qui lui permet de s’engager à 19 ans dans l’Armée de l’Air à Bron. Puis, c’est l’école des pilotes à Istres, son passage comme sous-officier dans une escadre de bombardement à Reims et son départ pour Air France. Dès lors, le rêve va s’accomplir grandiose, les cieux s’ouvrent à lui plein d’espérance dans toutes les directions : Londres, Bruxelles, Amsterdam, Berlin, Rome, la Suisse, sont des routes qui, pour lui, n’ont pas de secrets. A la guerre, Arnoult rejoint son unité à Reims, mais Air France le rappelle pour lui confier des missions importantes. Enfin, après l’exode, on le voit fréquemment naviguer dans le Midi de la France et, bientôt, Air France le conviera à une autre destinée. A différentes reprises, l’ardent pilote franchit la Méditerranée et enfin son avion sillonnera particulièrement les voies spacieuses et si prenantes des déserts africains et des forêts équatoriales.

Homme de l’air, Robert Arnoult l’était dans toute la quintessence de son être. Il possédait cette foi rude, ce jugement sûr de tout paysan que la terre berce si tendrement dès ses premiers ans. Ah ! ce terroir de Maison-des-Champs, n’était-ce pas là un nom symbolique qui incarnait, à ses yeux, tout ce que peut représenter la plus grande France.

Comme il aimait son humble village ! Quand je le rencontrai sur cette terre , il y a deux mois environ, Arnoult me parut soucieux. La navigation aérienne des temps actuels semblait l’inquiéter car il me fit part de la mauvaise qualité des lubrifiants, des essences, etc... Aussi est-ce pour moi un devoir d’en parler ici.

Maintenant que Robert Arnoult n’est plus, le vrombissement de son avion ne viendra plus réveiller les échos de la contrée. Le paysan tout à son dur labeur vers les ailes d’Air France qui, à leur passage, donnaient le frisson et procuraient une grande fierté. On saluait l’enfant du pays qui souventes fois vint survoler la ferme paternelle et souhaiter bonne fête à la maman comme au jour de l’Assomption 1939. Quels doux souvenirs alors ! mais combien douloureux aujourd’hui.

Robert Arnoult, mon jeune camarade, je salue ta glorieuse mémoire, et cette mémoire survivra longtemps dans nos cœurs, dans de tes chers parents, de ta femme et tes deux enfants. Comme un météore tu parus pour disparaître à 32 ans, sans laisser de traces dans l’immensité des cieux. O destinée cruelle, celle des combattants qui meurent pour le pays, loin des leurs, dans un ciel de tourmente au milieu d’une rafale de fer et de feu et dont les corps consumés ne reviendront jamais reposer au tombeau des ancêtres. Robert Arnoult, tu sais désormais partie de la lignée des Guynemer qui ne laissent aux générations futures que le souvenir de leurs exploits et la vertu de leur grande âme.

O chevaliers de l’air, dormez tous ensevelis dans vos linceuls glorieux, dormez à l’ombre des cyprès et des pins dans nos antiques cimetières de nos villes et de nos campagnes, dormez au sein d’une nature grandiose qui a absorbé la poussière brûlantes de vos êtres, dormez au fond des océans, sous vos armures de cuir, tels que la mort vous surprit, dormez, ô héros de légende, car, c’est au sacrifice de vos jeunes existences que l’aéronautique doit son immortalité.

Léon Darsonval, aéronaute

Dans la Dépêche du Centre du 13 avril 1944, nous relevons le récit suivant concernant Léon Darsonval.

BOURGES HEBERGE UN DES PIONNIERS DE L’AERONAUTIQUE

- “ Achetez un dixième des “Ailes Brisées “ ! Tirage jeudi prochain ! “

Telles sont les paroles que prononce inlassablement M. Léon Darsonval, directeur du Bureau départemental des Ailes Brisées.

Toute la journée, M. Darsonval offre ses billets qui trouvent de nombreux acquéreurs. Ces derniers ne pensent pas qu’ils ont devant eux un aéronaute fervent qui compte à son actif de nombreuses ascensions en ballon sphérique.

Mr. Darsonval est un homme grand à un ancien sportif. C’est la vérité et nous avons été le trouver dans son bureau de la rue du Puits de Jouvence.

Dès qu’il a su ce qu’on désirait lui demander, il nous a répondu sans ambage et fausse modestie, mais simplement :

“J’ai été fervent du ballon, je le suis encore et je le serais toujours. Dès ma plus jeune enfance, j’ai été captivé par la majesté de ces engins qui ont été les premiers à voler. Il y a trente huit ans, nous a déclaré M. Darsonval, je faisais ma première ascension et je me suis élevé dans les airs, j’ai été tellement impressionné et émotionné, que c’est cette émotion et cette impression qui m’ont déterminé à poursuivre ce sport “.

“ En 1901, le célèbre explorateur J.M. Charcot allait partir pour le pôle sud. Je lui proposais de l’accompagner avec mon ballon. Il accepta, me donnant rendez-vous pour le départ. Malheureusement je n’avais que dix-neuf ans et mon père, Jean-Baptiste Martial , effrayé d’une aventure qui lui paraissait pleine de dangers, refusa de me laisser partir. J’en fus profondément déçu et je m’élançais avec plus de force à l’aéronautique “.

“ De 1901 à 1914, un nouvel engin apparut : l’avion. Bien qu’admirant cette splendide invention, je ne m’attachais pas à elle. L’avion a tenté de remplacer le ballon. Il y a réussi, mais il ne faut pas laisser ce sport tomber dans l’oubli.

“ En 1914, le personnel volant de l’armée française comprenait 80 servants, tous aérostiers, dans les dirigeables et les ballons d’observation. J’y fus affecté et j’y restais jusqu’en 1918 “

- Et après la guerre, quand l’aviation eut pris son formidable essor, qu’avez-vous fait ? lui demandons-nous.

“ Je me consacrais avec quelques personnes compréhensives à ne pas laisser tomber l’aéronautique dans l’oubli. A cette époque il y avait cinq sociétés d’aéronautique en France. Je faisais partie depuis 1900 du Club Aéronautique de l’Aube, car j’habitais Troyes qui est ma ville natale. De nombreux concours furent organisés dans l’Aube et les autres départements. Deux fois de suite je fus vainqueur de la Coupe des Mines de Béthune .

- Mais quel est le voyage qui vous a le plus intéressé ?

“ C’est précisément lorsque j’ai gagné pour la première fois la Coupe des Mines de Béthune, j’étais parti d’Armentières, dans le Nord. Grâce à un temps magnifique, je traversais la Belgique, une partie de l’Allemagne jusqu’à la Baltique. Là un orage éclata et je dus atterrir à Kiel. Cela m’a fort contrarié, car j’aurais pu aller jusqu’en Suède.

- Est-ce que vous avez eu l’occasion de faire connaissance avec quelques personnes célèbres dans l’aéronautique ?

“ En 1936, à la Coupe du Mans, le professeur Piccard nous fit l’honneur de venir nous conseiller. J’ai une profonde admiration pour ce savant qui, le premier, est allé dans la stratosphère.

Maintenant nous l’interrogeons sur ses impressions et ses projets.

“ Bien qu’ayant soixante ans, je n’abandonne pas mon sport favori. Malheureusement, la guerre m’oblige à cesser toute activité, mais dès que la paix sera revenue, je reprendrais mes ascensions. Pour le moment je vends des dixièmes des “ Ailes Brisées “. Je voudrais voir les jeunes gens s’intéresser au ballon. Ils comprendraient tout ce qu’il y a d’instructif dans les voyages aériens que nous faisons. Faire une ascension par une nuit étoilée, c’est vraiment quitter ses semblables pour vivre dans un autre monde. On perçoit tous les bruits qui viennent de la terre “ .

Mais voilà midi M. Darsonval ferme son bureau et en nous serrant la main, il nous invite à faire une ascension avec lui.

Nous le remercions et nous lui renouvelons l’expression de notre plus vive admiration.

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