12 - L'Aéronautique dans le département de l'Aube (1936)

(*) L'astérisque qui précède le nom de certains pilotes brevetés de tourisme indique que ceux-ci sont, en outre, brevetés pilotes militaires.

(1) A partir du 3e cycle, les pilotes aéronautes et aviateurs ne font plus partie du bureau pour ce qui intéresse le Club Aéronautique de l'Aube et plus tard l'Aéro-Club de l'Aube.

(2) Notre camarade, le pilote de guerre Paupe, est décédé fin décembre 1935, des suites d'une longue et cruelle maladie.

(3) Avec peine nous enregistrons le décès du pilote Hougleur qui se tua à bord de son avion, le 6 juillet 1934.

La ville de Troyes

Vue panoramique prise à bord d'un avion de l'Aé. C. A.

AVIATION

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AUX TEMPS HEROIQUES D'UNE SCIENCE NOUVELLE


LES AILES SERONT

Le Grand Oiseau prendra son vol, l'homme

sur le dos du Grand Cygne emplira l'univers

d'étonnement, emplira les livres de son nom

Immortel.

Eternelle gloire au nid où Il est né ! (1)

LEONARD DE VINCI

CETTE science nouvelle, l'Aviation, qui allait étonner le monde vit sa réalisation au début du vingtième siècle. Son développement fut relativement rapide attendu qu'elle bénéficiait des découvertes antérieures et notamment du moteur à explosion, puissant engin dont ne disposèrent pas les premiers hommes-volants.

En 1905, vers le mois de juin, à Versailles ( j'accomplissait mon service militaire au 25e bataillon d'aérostiers) réunis dans le grand hangar du parc militaire à ballons de la Ménagerie, nous subissions des examens sous l'œil vigilant et souvent inquisiteur de M. le Capitaine Saconney.

Un sous-officier mécanicien, Louis Paulhan expérimentait un avion, de sa construction, suspendu à une poutre maîtresse de ce hangar. Cet appareil, de modèle réduit, comportant non un moteur, mais une hélice propulsive actionnée par un caoutchouc, évoluait d'une façon parfaite et décrivait un mouvement giratoire très prononcé au-dessus de nos têtes. Ce fut une belle occasion pour le Capitaine Saconney de nous faire, dans la maison du plus léger que l'air, une démonstration très suggestive, sur le plus lourd que l'air ! N'était-ce pas le premier avion que nous voyions ? C'était là vraiment, un événement !

Le sergent Paulhan ayant présenté cet appareil au premier concours de l'Aéro-Club de France obtint une mention honorable. Le jury se composait de MM. le Colonel Renard, Commandant Renard, Surcouf, P. Rousseau et Soreau.

Ainsi, depuis cette époque, l'idée était bien en marche, le principe était trouvé. Ne disait-on pas que les frères Orville et Wilbur Wright avaient déjà, plus d'une année auparavant, expérimenté une machine volante qui donnait des résultats probants. Si bien que fin 1905, au cours d'une conférence, M. Joanneton déclarait péremptoirement :

Cette fois ce sont plus des bâtons flottant sur l'onde que l'on veut nous faire voir par delà l'Atlantique, ce sont des appareils sur la pelouse de Bagatelle et tout le monde a pu constater le succès de leurs premiers pas.

C'est exact, mais à cette époque M. Joanneton jetait du lest, car moins d'une année auparavant ne doutait-il pas ?

En effet, des bruits fusaient de toute part. Des on-dit - n'affirmait-on pas que les Wright, dès 1903, avaient volé en Amérique. Il est vrai qu'ils tenaient leur invention dans le plus grand secret. En réalité, ils furent, avec Ader, les premiers hommes volants, sur appareils à moteur (2).

Le Français Clément Ader aurait accompli, le 9 octobre 1890, dans le parc de Mme Pereire à Armainvilliers (S.-et-O.), un bond de 50 mètres sur un appareil de sa construction et dont les ailes épousaient la forme de celles des chauves-souris.

Il renouvela son expérience au camp de Satory (Versailles), le 14 octobre 1897, accomplissant un nouveau bond de 300 mètres. Nous pouvons ajouter foi au récit que l'inventeur lui-même fit de ce vol, car il est reconnu aujourd'hui que son appareil chauve-souris, deux hélices actionnées par un moteur 20 CV, remplit toutes les conditions permettant de s'élever, et cependant, sans affirmation précise pour ce qui touche la direction. Mais avant le Français Ader et les Américains, les frères Wright, on ne saurait oublier Louis Mouillard, né à Lyon, fin septembre 1834.

Mouillard étudia le vol des oiseaux de proie et principalement celui de l'aigle, ce qui l'amena à envisager la possibilité de construire un appareil pour voler à ailes fixes, non battantes (planeur).

Louis Mouillard mourut l'année même q'eut lieu au camp de Satory la fameuse et historique expérience de Clément Ader.

Les aviateurs ne s'endorment pas, proclame notre Président, à l'Assemblée générale de 1907. Avec Santos Dumont (3), Blériot, Farman et autres; il ne s'agit plus de quelque vague essai d'aéronef fantôme " lancé à la suite du serpent des airs ". Ce sont des réalités, des appareils sinon en chair et en os, du moins en bois et en métal qu'on voit fonctionner.

Les perfectionnements obtenus pas à pas, en suivant une marche continue et progressive, permettent d'envisager, avant peu d'années, la création de toute une flottille volante ( cette fois notre Président est on ne peut plus optimiste).

Puisse bientôt cette nouvelle industrie enfanter comme celle de l'automobile des modèles pratiques et d'un prix abordable.


Et il fallut, après ce souhait, près de 25 années pour que l'un de nos membres pût s'offrir un avion de tourisme présentant toutes les garanties de sécurité désirables, le Potez 36 !

Au chapitre " aérostation " nous avons vu, qu'en 1908, le Président du Club Aéronautique de l'Aube inventa l' " Opticum " ou " oCVM ", cet appareil qui permet de déterminer d'une manière pratique la vitesse d'un aérostat ou tout autre mobile en mouvement.

Le développement de l'aviation amena M. Joanneton à concevoir, dès 1910, un nouvel appareil " l'aéro-viseur " ou " opticum II ", puis en février 1912, il rassembla ces deux appareils sur la même plaque (4).

Ci-dessous l' " oCVM " dont on trouvera la description (5) dans les paragraphes du Deuxième Cycle (1905 à 1910).

Quant à l'aéro-viseur ou " opticum II ", dont le dessin figure ci-dessous, c'est un appareil qui mermet, en étant par exemple en avion, de définir à quel moment on doit laisser tomber un projectile pour atteindre un but déterminé.

L' opticum ou " oCVM "

L'aéro-viseur se compose d'une plaque rectangulaire suspendue dans l'aéroplane à portée de l'observateur. Cette plaque en métal plein est percée, sur un quart de circonférence, d'une rainure et munie d'alidades mobiles. A gauche se trouve une réglette qui peut se mouvoir parallèlement aux grands côtés du cadre. Les divisions régulières horizontales, côté gauche, vont de 100 en 100 mètres; les divisions en traits minces, de 20 en 25 mètres.

L'aéro-viseur ou " opticum II " conçu par M. H. Joanneton

La colonne H indique les espaces parcourus par un corps tombant librement pendant des durées de temps égales, respectivement à 1, 2, 3... 16 secondes. En tête de l'appareil se trouve l'avertisseur, T.

Ceci posé, pour régler un tir, nous consultons d'abord l'altimètre, il marque 600 mètres, par exemple, chiffre très voisin de 593.

D'un autre côté, nous marchons à une allure de 90 km. à l'heure.

Considérons la ligne horizontale 600; il faut 11 secondes au projectile pour arriver à terre. Faisons glisser la réglette vers la droite, jusqu'à ce qu'elle rencontre le point de croisement des lignes 90 et 11, contenues dans la surface quadrillée du dessin.

La réglette coupe la ligne 600 au point P 1, nous n'avons qu'à amener l'alidade mobile dans la position OP 1, où nous la fixons provisoirement en serrant le volant de l'écrou de pression. On fait ensuite coulisser, dans la rainure circulaire, une butée qui vient s'arrêter en dessous de l'alidade, en dessous du point P 1.

Rendant libre cette dernière, on la relève et on vise le point choisi, qu'on peut suivre facilement, dans la ligne de mire, au fur et à mesure qu'on s'en rapproche. Lorsque dans un mouvement continu, l'alidade s'arrête sur la butée, on lâche immédiatement le projectile.

Constatons, non sans une certaine mélancolie, que l'armée italienne adopte le principe de cette invention dès que la description en est donnée dans l'Illustration. Et nos services ? Que font-ils ? Vraisemblablement ils attendent la présentation d'un simili-appareil par un pur... esprit.

Toutefois, le Club <<<<aéronautique de l'Aube poursuit modestement sa route. Il a trouvé dans la personne du Président Joanneton un guide éminent, et demain, sous son heureuse impulsion, notre groupe verra s'ouvrir à lui de nouveaux horizons.

Désormais l'aviation est en marche, nous en suivrons, pas à pas, le développement dans notre département et nous assisterons aux exploits glorieux de cette admirable phalange d'hommes-volants qont le premier fut le célèbre aviateur Louis Paulhan.

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(1) En l'an 1500, Léonard de Vinci écrivit ces prophétiques paroles. (Du Roman de Léonard de Vinci, par Dmitry de Mérejkowsky) (2) C'est sur les dunes de Kitty-Hawk qu'eut lieu le 17 décembre 1903 le premier vol des frères Wright sur une longueur de 250 mètres.

(3) Le 13 novembre 1906, Santos Dumont, sur Voisin, franchit à Bagatelle la distance de 220 mètres. Il s'était approprié, quelques semaines auparavant, la Coupe Archdeacon par un vol de 70 mètres.

(4) Les modèles et les dessins ci-après de cet appareil ont été déposés par M. Joanneton, le 3 février 1912, à Troyes, sous le n° 947.

(5) M. Joanneton dénomma d'abord cet appareil " oticum " par abréviation de " opus opticum " et " oCVM ", par une plus grande abréviation encore.

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LA PREMIERE FETE D'AVIATION DANS LE DEPARTEMENT DE L'AUBE

( Du 1er au 9 Juin 1909, à Bar-sur-Abe)


Les peuples heureux, dit-on, n'ont pas d'histoire, je veux bien le croire, mais les Baralbins en ont une et je ne pense pas qu'ils soient très malheureux pour cela !

C'est à l'époque héroïque de l'histoire de l'aviation, en juin 1909, un homme-oiseau, Louis Paulhan, s'élève dans les airs, pour la première fois, dans notre département, parcourant, malgré un vent violent, une distance de plus d'un kilomètre. Voilà le fait dans toute sa brutalité mais aussi dans toute sa beauté; il appartient désormais à notre Histoire locale de l'aéronautique.

Personne ne doit plus ignorer que Bar-sur-Aube, par l'organisation de sa fête aérienne a pris une place prépondérante, parmi les villes ou bourgades, en France, et elles sont rares, qui peuvent revendiquer l'honneur d'avoir vu voler l'un des premiers aviateurs de notre Pays.

Louis PAULHAN

L'histoire a déjà rappelé le voyage du Président de la République qui, accompagné de Mme Fallières, s'est rendu à Bétheny le 6 juillet 1910, pour assister au vol des hommes de l'air. Voici quel fut le résultat de cette mémorable journée.

Trois aviateurs seulement prirent leur vol. Le pilote Bender tint l'air pendant 4 minutes. Weymann et Latham volèrent pendant cinq ! Et encore ! je suis enclin à croire que nos aviateurs durent accomplir des prodiges de valeur en présence du Chef de l'Etat. Ne trouvez-vous pas que Paulhan, plus d'une année auparavant, en accomplissant ses vols à Bar-sur-Aube, a bien mérité de son pays et de l'aviation.

A cette époque, les avions ne se risquaient pas à sortir par tous les temps, et quand le vent soufflait un peu fort, ils attendaient patiemment une accalmie, demeurant dans les hangars plusieurs jours, parfois des semaines entières, sans risquer de prendre la piste.

Pour fixer l'opinion, voici dans quel ordre de temps volaient les avions, cinq mois après la manifestation de Paulhan à Bar-sur-Aube.

A Port-Aviation-Paris, le dimanche 17 octobre 1909, en présence de plus de 200.000 personnes, le comte de Lambert s'élance sur un appareil Wright, et Latham prend également le départ concourant pour le prix Michelin.

Latham dérape. De Lambert continue. Gobron, de Lambert, Husson, Brégy l'élève de Paulhan, volent et concourent pour le prix du plus grand parcours total. Voici les résultats de cette journée.

Seuls Gobron et de Lambert restent en piste, les autres abandonnent. Gobron fait plusieurs fois le tour de piste en 7'47'' et de Lambert, 9 fois.

Au meeting d'aviation de Glascow (Ecosse), le 18 octobre 1909, Louis Paulhan se signale par un vol de 18 milles à une hauteur de 80 mètres. Les 27 et 28 avril de l'année suivante, Paulhan gagne le prix du Daily-Mail (250.000 francs) en accomplissant après plusieurs escales, la distance qui sépare Londres-Manchester, soit 290 km., en 4 h. 30 minutes. Et voilà l'homme qui, dix mois auparavant, vint dans notre Département, à Bar-sur-Aube.

Je donnerai donc, dans ses moindres détails, le récit de ce premier meeting dans notre département. Et si la renommée a porté jusqu'à nous le souvenir du vol d'Icare qui n'était qu'une fiction, nul doute que le vol de Paulhan qui, lui, est un fait, doive se perpétuer à travers les siècles et s'inscrire en lettres d'or dans les annales de l'aéronautique auboise.

Dans le courant du mois de juillet 1909, Paulhan était déjà venu faire choix du terrain. On l'avait arrêté entre la route de Chaumont et l'ancien chemin de Voigny, dans une propriété d'environ 15 hectares appartenant à M. René Chamerois.

Un Comité d'organisation s'était constitué; il était présidé par le maire M. Rage, assisté de MM. Paul Caillot, Berthault, Léon Boilet, de Bucy, Victor Thierry, Desbordes, Adam, Pécoud et d'autres membres.

Le 29 mai, Paulhan, accompagné de ses élèves pilotes, Brégi et Pelletier, installe le hangar sur le terrain choisi. Le lendemain les aviateurs procèdent, sous la halle, au montage du " Voisin " où il restera exposé pendant plusieurs jours.


Caractéristiques de l'avion Voisin

L'avion Voisin, que plus de 15.000 personnes accourues de tous les environs viendront contempler sous la halle, puis dans le hangar sur le terrain, comporte une grande cellule de 10 m. 50 d'envergure, deux mètres de largeur et un mètre cinquante de hauteur. C'est au milieu de cette grande cellule que se trouve placé le pilote; derrière lui sont disposés le moteur et l'hélice. Cette dernière a un diamètre de 2 m. 10. Elle est calée sur un moteur rotatif Gnôme de sept cylindres disposés en étoile, dont le régime est de 1.100 tours-minute et la force de 50 CV.

Cet ensemble repose sur un châssis métallique muni de ressorts amortisseurs pour atténuer les chocs, lors de l'atterrissage. Roues pneumatiques.

Une autre cellule carrée, de 2 mètres de côté, est placée en arrière et dans l'axe du moteur, elle est reliée à la grande cellule par des poutres armées et des tendeurs. Cette cellule porte également deux petites roues pneumatiques. Dans cette cellule est placé le gouvernail relié au volant et que dirige le pilote.

En avant de l'appareil se trouve le stabilisateur, plan qui sert à la montée ou à la descente, suivant l'inclinaison donnée par le pilote.


Le programme des fêtes, qui doivent durer pendant la semaine entière, est ainsi établi :

Du 1er au 2 juin, dans l'après-midi : exposition de l'avion, renseignements techniques donnés par Paulhan et son ingénieur.

Jeudi 3 juin, dans la matinée : visite de l'avion dans son hangar et sur le terrain; vol, dans l'après-midi, entre la route de Bar-sur-Aube à Chaumont et celle de Bar-sur-Aube à Colombé-la-Fosse.

Samedi 5 juin, dans la matinée : exposition et visite de l'aéroplane; dans l'après-midi, vols sur terrain en présence du Préfet spécialement délégué par le Ministre des Travaux Publics pour représenter le Gouvernement, des Sénateurs et des Députés de l'Aube ainsi que des autorités locales.

Dimanche dans la matinée : exposition de l'avion; banquet à midi et demi, et vols dans l'après-midi.

Dans la soirée du 4 juin se déclare un violent orage qui oblige le Comité à prolonger la fête.

Le 6 juin, en présence de plus de 7.000 spectateurs, l'aviateur se dispose à partir, quand un formidable ouragan se déchaîne sur la région occasionnant un désarroi indescriptible.

Pour la deuxième fois la fête manque à son but.

Elle reprend le 7 juin; mais le vent étant trop violent. Paulhan fait sortir son appareil vers huit heures du soir, alors que l'atmosphère devient plus clémente, et il profite pour exécuter une série de vols assez rapprochés du sol et sur une distance de quelques centaines de mètres.

Le 8 juin, vers 5 heures du matin, Paulhan est à son hangar.

On sort l'appareil, l'aviateur prend place sur son siège de pilote et accomplit un vol de plus d'un kilomètre à une hauteur de quinze à vingt mètres.

Malheureusement, au moment où il va atterrir , son appareil s'engage dans les herbes, s'arrête net et le pilote est précipité par dessus bord. Paulhan se relève sans aucun mal, mais son avion est sérieusement endommagé.

Ainsi se termina cette première manifestation remarquable par les difficultés inouïes qui s'accumulaient à plaisir pour entraver la réussite d'un beau programme.

Il semble que les éléments jaloux de la victoire des hommes déchaînent, bien souvent, leur fureur aveugle contre la science qui s'ingénie à arracher à la nature ses plus profonds secrets; il en fut ainsi pour le glorieux Paulhan qui regagna son nid, les ailes meurtries mais non brisées !