7 - Mémoire de Jean-René Darsonval


Le 17 juillet 1929, mon père et ma mère se séparèrent.

Je profite de cette séparation pour rappeler ce que papa possédait à cette date : 1° Un bâtiment sis à Sainte-Savine, à l’angle de la rue Louis Blanc et de la rue de l’avenir, portant le n° 47 de la rue Louis Blanc, comprenant au rez-de-chaussée, un grand atelier et magasin et plusieurs pièces à côté, au premier étage, plusieurs pièces et au dessus un grenier, une cour entre les bâtiments. Le tout, tenant du nord à la rue Louis Blanc, de l’est à Mr H., de l’ouest à la rue de l’Avenir (rue Gabriel Péri) et du sud-est à Mr René Darsonval, frère de mon père. 2ème Une propriété sise à Sainte-Savine, rue Louis Blanc, n° 49, comprenant maison, garage, cave, écurie, à côté du jardin, le tout, d’une contenance de quatorze ares quarante cinq centiares, tenant du nord à la rue Louis Blanc, du couchant à Monsieur T., du levant au terrain ci-après. 3ème Un terrain de deux ares soixante seize centiares, sis au même lieu servant de chantier, à l’angle de la rue de l’Avenir et de la rue Louis Blanc, en face des bâtiments ci-dessus premiers désignés, tenant du nord à la rue Louis Blanc, du midi à Monsieur René Darsonval, de l’est à la rue de l’Avenir et de l’ouest à la propriété ci-dessus deuxième désignée. 4ème Une maison sise à Troyes, rue Champeaux, n° 6, construite en bois et couverte en tuiles et se composant de deux corps de bâtiments. Le premier, sur la rue Champeaux, élevé sur terre plein et partie sur cave, comprend au rez-de-chaussée, une boutique et arrière boutique avec cheminée, petite pièce, ensuite une chambre à feu et une cuisine sur la cour, corridor et escalier desservant les étages supérieurs. Au premier étage, une chambre à feu et un cabinet sur la rue, un autre cabinet, cuisine, salle à manger et une autre chambre à feu sur la cour. Au deuxième étage, même distribution, grenier au dessus de ce corps de bâtiments dans lequel se trouve un cabinet, cave voutée avec deux entrées sous le dit bâtiment. Le deuxième corps de bâtiments au fond de la cour consiste, au rez-de-chaussée, une salle à manger et une cuisine avec corridor et escalier pour desservir les étages supérieurs. Au premier étage, une chambre avec alcôve et cabinet, grenier sur le tout avec cabinet mansardé, cave sous partie de ce corps de bâtiment, cour entre les deux corps de bâtiments dans laquelle se trouve un hangar, un petit atelier et des WC. Le tout d’une contenance de cent soixante treize mètres carrés. 5° Une maison, sise à Sainte-Savine, 21 rue de l’Avenir (rue Gabriel Péri), construite en pierre, élevée partie sur cave, partie sur terre plein, comprenant au rez de chaussée, divisé par un corridor, une chambre à droite, une chambre à gauche, escalier conduisant au 1er étage, comprenant une chambre mansardée plafonnée, un grenier aussi plafonné, une cuisine, en retour à gauche, un bâtiment séparé à usage de hangar, d’écurie et de buanderie, colombier plafonné au dessus. Jardin fruitier et potager, pompe dans le jardin. L’ensemble, d’une contenance de six ares trente trois centiares environ. 6° Un immeuble sis à Sainte-Savine, rue Jules Ferry à l’angle de cette rue et de la rue Louis Blanc, comprenant deux bâtiments, l’un à usage de magasin, l’autre à usage d’habitation, édifiés sur un terrain appartenant en propre à mon père. En plus de cela, mes grands-parents paternels, mon père et mon oncle possédaient quelques biens, meubles et immeubles.

En 1927, je me trouvai à l’orphelinat, rue du Cloître Saint-Etienne à Troyes. Ce fut un moment bien triste pour moi, privé si jeune de l’affection paternelle et maternelle, me trouvant avec des enfants de mon âge et même un peu plus vieux que moi qui, eux-mêmes devaient se trouver dans la même situation familiale et souffrir autant que moi. L’heure des visites au parloir, chaque semaine, était un enchantement mais aussi un déchirement, que de pleurs quand il fallait se quitter. Les gâteaux et les bons-bons adoucissaient cependant notre peine. Chacun leur tour, papa ou maman venaient me visiter, situation cruelle pour un jeune enfant de six ans qui ne comprenait pas la séparation de ses parents. Les sœurs étaient sévères et ne savaient pas compenser ce manque d’affection dont nous souffrions. Elles étaient, parfois injustes et avaient des préférences pour tel ou tel, blessant ainsi ceux qui les côtoyaient. En résumé, trop de prières pour pas assez d’amour. Pas assez de surveillance quant à la santé de tout chacun. Malgré tout il me plait de rappeler leur nom, sœur Thérèse, sœur Louise, sœur Laurence, sœur Agnès, ainsi que le nom de notre aumônier qui nous enseignait le catéchisme, l’abbé Raymond Touvet.

L’école se trouvait à côté de l’orphelinat, aujourd’hui Saint-Joseph. Le Dimanche, nous allions à la messe et aux vêpres à la cathédrale et parfois, nous assistions à de très jolies cérémonies présidées par l’évêque d’alors, Monseigneur Maurice Feltin. Chaque matin, nous assistions à la messe qui était célébrée à l’orphelinat des filles située dans la même rue. Matin, midi et soir, nous allions y chercher également, à l’aide de grosses marmites, notre manger et là aussi se trouvait l’endroit où nous faisions notre grande toilette. Je me rappelle de ces grands baquets ronds où nous prenions à plusieurs, des bains de pieds hebdomadaires. A l’orphelinat des filles se trouvait notre mère supérieure.

En 1930, cloué au lit par un gros mal de ventre, la sœur fit venir mon père qui lui-même fit venir de docteur M.. Après consultation, ce docteur-chirurgien diagnostiqua une appendicite avec occlusion intestinale. Il fallait de toute urgence m’opérer. Cela se passa à l’hôpital de l’hôtel-Dieu. L’opération fut satisfaisante mais les suites incertaines, huit jours sans manger et sans boire et trois mois de séjour à l’hôpital.

Enfin vint la convalescence , un problème pour papa qui ne pouvait me garder et s’occuper de moi. Après un séjour de quelques mois chez mon oncle René et ma tante Alice, je fus mis en pension chez une demoiselle de quarante ans, Fernande Lapayre que mon père avait connu dans sa jeunesse et qui habitait Boulages (Aube) où nous avions des cousins et des cousines : la famille Simard, la famille Vergeat et la cousine Lucienne Bornand. C’était en 1932, ce fut pour moi un grand changement de vie, toujours entre des mains étrangères mais bien vêtu, bien nourri et bien élevé avec malgré tout beaucoup de peine dans le fond de moi-même, la présence de papa me manquait et son absence me peinait beaucoup.

1926 - Ecole de Boulages (Aube)

Venant de Grange-sur-Aube, c’est la première maison à droite au fond d’un grand pré, pas très éloigné de la rivière “Aube” que Mademoiselle Lapayre habitait. Je l’ai appelée, dès mon arrivée “tante Fernande”, elle faisait paitre dans son pré deux ou trois chèvres, attachées au bout d’une chaine assez longue fixée à un pieu. Nous buvions du lait de chèvre et mangions du fromage qu’elle faisait elle-même. Elle élevait, chaque année, des petits chevreaux qui était destiné à être tués et vendus comme viande de boucherie à certaines personnes du pays. A chaque fois, j’avais beaucoup de peine qu’il en fut ainsi attendu qu’avant leur mort c’était pour moi de fidèles petits-amis avec lesquels j’aimais jouer, caresser et embrasser. Elle avait aussi un grand jardin où poussaient toutes sortes de légumes, des asperges, également et surtout beaucoup de fleurs. Elle avait aussi une petite basse-cour, des poules, des coqs, des poussins, des canards et des dindons. Enfin, elle élevait des lapins pour les vendre ou pour sa propre consommation. Je me souviens de ces petits lapins blanc aux yeux rouges et au poils longs appelés lapins “Angora”. Elle avait également un grand freine et avec ses feuilles qu’elle faisait sécher et macérer longuement dans plusieurs tonneaux, elle obtenait une boisson délicieuse et pétillante agréablement acceptée durant les grandes journées de chaleur estivales.