8 - L'Aéronautique dans le département de l'Aube (1936)

A L'OMBRE

DES AILES AUBOISES

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Les hommes passent...

mais leurs actions demeurent.

LES FEMMES AÉRONAUTES

(Pilotes et Passagères)

WILFRID DE FONVIELLE prétend que, pendant la période de 1810 à 1830, l'aéronautique faillit tomber en quenouille ! C'est tout à fait exact, car à cette époque, les femmes aéronautes se signalèrent vraiment audacieuses et leurs prouesses furent souvent bien au-dessus des exploits des hommes.

Parmi elles, se distingua particulièrement Mme Blanchard. N'est-ce pas cette aéronaute intrépide qui prit le départ en présence de la famille impériale, lors du mariage de Napoléon et de l'archiduchesse Marie-Louise, le 24 juin 1810.

Mais le 6 juillet 1819, à l'occasion d'une fête donnée dans un quartier de Paris, Mme Blanchard trouvait une mort atroce alors que, son ballon en feu, elle fut précipitée du bord de la nacelle et se fracassa la tête sur le pavé de la rue de Provence, au coin de la rue Chauchat.

Plus d'une femme se distingua au cours de la période héroïque de l'aérostation, aussi me permettrai-je de citer, par ordre chronologique, le nom des femmes aéronautes, de 1783 à 1830.

Ce sont : Mme Thible, née Elisabeth Estrieux, la première, à Lyon - Mlle Hines (Beccles) - Mme de Luzarche (javelle près Paris) - Mme Sage (Londres) - Mlles Simonnet (Londres) - Mlle de Timmermans (Metz) - Mme la Comtesse de Chasot (Lubeck) - Mme Garnerin (Paris) - Mlle Célestine Henri (Paris) - Mlle Maison (Paris) - Mlle Dermé (Paris) - Mme Blanchard (Marseille) - Mme Toucheninoff (Moscou) - Mlle W. Reichard (Berlin) - Mme Robertson (Vienne) - Mlle Thompson (Londres)- Mlle Elisa Garnerin (Paris) qui fut la première femme...

... parachutiste- Mlle Eugénie Garnerin (Paris) - Mlle Lise Michelet de Beaujeu (Paris) - Mlle Cécile Benoist (Paris) - Mlle Blanche N. (Paris) - Mme Margat Cossoul (Séville) - Mlle Bradley (Warcick) - Mme Graham (Londres) - Mlle Stocks (Londres) - Mlle Becket (Londres) - Mlle Blackburn (Londres) - Mlle Dawson (Kendal) - Mlle Spooner (Bolton) - Mlle Edwards (Londres) - Mme Olivier (Nouvelle-Orléans) - Mme Green (Rochester) - Mme Robertson (Canterbury) - Mlle Schüler (Berlin) - Mme Badcok (Londres) - Mlle Lambertine Robert (Paris) (1829-1830).

L'ascension de Mme Thible, la première femme aéronaute, mérite d'être contée. Elle eut lieu le 4 juin 1784, à bord de l'aérostat Le Flesselles qui accomplissait son deuxième départ au parc des Brotteaux, à Lyon, et c'est en présence du roi de Suède, alors de passage dans cette ville, que cette montgolfière prit son envolée (1).

Le premier départ du Flesselles eut lieu à Lyon, le 19 janvier 1784. Sept voyageurs montèrent dans la galerie de la montgolfière. C'étaient : Joseph de Montgolfier. Pilâtre de Rozier, le comte de Laurencin, le comte de Dampierre, le prince Charles de Ligne, le comte de Laporte d'Anglefort et Fontaine.

Après cette expérience, M. de Laurencin s'associa avec un peintre de mérite et très amateur de physique, Fleurant.

Ils construisirent la montgolfière qui s'éleva le 4 juin. M. de Laurencin, qui devait monter dans le ballon en compagnie de Fleurant, céda sa place à une jeune et jolie femme, Mme Thible, née à Lyon, et abandonnée de son mari peu de temps après son mariage.

Mille personnes de son sexe, dit le comte de Laurencin, dans une lettre écrite à Joseph de Montgolfier, ont su nous prouver que le courage n'est pas un attribut exclusif du nôtre ; mais je réponds que nulle ne l'a prouvé mieux que Mme Thible, que nulle n'a mis plus de sang-froid, plus de vérité dans sa détermination ; que nulle, fière d'un péril inconnu, n'a goûté plus plaisir à le braver.

Nous étions prêts à quatre heures, continue M. de Laurencin ; il en était six lorsque Sa Majesté suédoise se rendit aux Brotteaux. Arrivée dans l'enceinte. Elle fut curieuse de voir les dispositions intérieures de la montgolfière. A six heures dix minutes, un premier roulement de tambour avertit qu'il fallait commencer le feu.

Le Gustave (c'est ainsi que nous avons nommé l'aéronat) en mit vingt à se développer. On attacha, au second roulement, les cordes extérieures de la galerie. Au troisième, les pieux des planches, qui eussent gêné la marche, furent abattus. Au quatrième, le Gustave s'avança fièrement vers la galerie du roi, où quelques dames, effrayées d'un mouvement imprévu, se disposaient à fuir, quand elles virent l'aérostat s'arrêter. Un cinquième et dernier roulement de tambour indiqua le départ. Les cordes de la galerie furent lâchées : le Gustave s'éleva, sans balancement, sans dérivation, avec l'assurance et la majesté d'un corps quittant dédaigneusement la terre pour aller établir son empire dans les célestes régions.

La galerie de la montgolfière était occupée par Mme Thible et M. Fleurant, qui a donné le récit de son intéressante ascension.

" Nous étions à une si grande hauteur que les maisons de Lyon ne nous paraissaient plus qu'une masse informe de cailloux. Tout d'un coup, un froid subit nous saisit en même temps, ma compagne et moi ; il fut suivi d'un bourdonnement d'oreilles qui nous fit craindre de ne plus pouvoir nous entendre.... Ces deux sensations durèrent peu et firent place à un état de bien-être et de suave contentement qu'on ne goûterait, je pense, dans aucune position. Mme Thible l'exprima en chantant l'Ariette de la Belle Arsène : " Je triomphe, je suis reine ". Je lui répondis par celle de Zémir et Azor : " Quoi, voyager dans les nuages " !

" Il fallut, de la poésie, passer à la pratique et manœuvrer pour l'atterrissage. A l'instant où l'aérostat communiqua avec la terre, à deux lieues de Lyon, dans un champ de blé, il éclata au pôle, avec un bruit assez fort et les toiles retombèrent sur nous. Je me fis un jour au travers avec mon couteau. Mon héroïque compagne, au secours de laquelle je m'empressais de voler, était déjà hors de péril. Je l'embrassai avec transport. Elle s'était fait, en sortant de la galerie, une légère foulure au pied gauche, accident qui troubla un peu la joie que je ressentais.

" On accourait de toutes parts. J'entendais dire qu'un de nos voyageurs demandais du secours. Je répondis qu'on se trompait, que nous n'étions que Mme Thible et moi. Un moment après, en regardant les toiles, je vis, en effet, que quelqu'un faisait effort pour les soulever ; nous l'aidâmes à sortir. C'était un homme assez bien mis, qui, revenu de sa frayeur, nous raconta comment, voyant que nous allions toucher terre, courant de toutes ses forces à notre rencontre, il avait été coiffé par la machine. Le feu du réchaud avait roussi une partie d'en être quitte à si bon marché.

" La foule grossit à vue d'œil autour de la montgolfière, qui se dégonfla, tomba sur le réchaud, au milieu d'un grand désordre, et prit feu . La confusion fut au comble et le pillage tel, qu'en quelques minutes, il ne resta plus rien du Gustave."

Fleurant et Mme Thible furent portés en triomphe et présentés au roi de Suède, qui les félicita de leur belle expérience, une des plus remarquables qui ait été faite jusque-là au moyen des ballons à feu.

Plus tard, à Troyes, quelques-unes de nos compatriotes n'hésitèrent pas à prendre place à bord de la nacelle d'un sphérique, peut-être avec émotion au "lâchez-tout", parfois aussi à l'atterrissage, mais nullement au cours du voyage, tant est prenant le séjour dans les cieux, au sein d'une incomparable nature.

Je ne puis mieux faire que de las inscrire toutes au tableau d'honneur, d'ailleurs la plupart d'entre elles ont prêché d'exemple dans un moment ou l'aviation était dans l'enfance et le vol de l'homme encore peu répandu.

C'est Mme Goudesonne, l'intrépide aéronaute du Midi qui ouvre le ban, en s'élevant à Troyes, le 13 août 1876, à bord du Mistral (2).

Mme Manotte, prend place, au 14 juillet 1889, à Troyes, dans le ballon Ville de Troyes piloté par Gabriel Chéreau.

Le 15 juillet 1900, Mme E. Lassagne part à bord de l’Etoile, au vélodrome. Pilote : E. Lassagne (3).

Le 7 juin 1908, Mme Ravaine part, à Troyes, dans le Walkyrie. Pilote : Ravaine (4).

Le 14 juillet, Mme Darsonval-Rousselot prend le départ, à Troyes, à bord de l’Aube. Pilote : Darsonval.

Le 16 octobre 1910, Mme Chazelle s élève de Romilly-sur-Seine, à bord de l’Aube. Pilote : Protat.

Le 2 juillet 1911, Melle Suzanne Bernard, par de Sainte-avine, à bord de l’Aube. Pilote : Darsonval.

Le 13 septembre 1926, Mme Joanneton, par de Troyes, à bord de l’Aube. Pilote : Boivin.

Le 3 juin 1928, Mme Camille Marot, s’élève de Troyes, à bord de l’Aube. Pilote : Darsonval.

Le 26 octobre 1929, Mme Jaillette, part de Troyes, à bord du Quand-même. Pilote : Vernanchet, de Paris.

Le 15 juin 1930, Mme Siron, à bord de l’Aube, part de Troyes. Pilote : Darsonval.

Le 14 juillet 1930, Mme Joanneton, à bord de l’Aube, s’élève de Troyes. Pilote : Darsonval.

Le 16 mai 1931, Mme Paulette Weber, part de Troyes, comme pilote à bord du Cécile (5).

Je ne saurais oublier l’atterrissage d’un ballon à la date du 18 mai 1912, sur le territoire de la commune de Plessis-Barbuise (Aube), au lieudit « La-Terre-au-Diable ».

Cet aérostat dénommé Astra VI, était piloté par deux femmes aéronautes, Melle Marie Tissot et Mme Gustave Goldschmidt (6). Il avait Société Astra, à Issy-les-Moulineaux, le 17 mai, à 7 heures 30 du soir.

Ces dames avaient donc accompli tout leur voyage dans le calme si reposant et en même temps bien captivant d’une belle nuit de mai.

Actuellement, les aspirations de la femme moderne ne vont plus guère au sphérique. Dans le domaine aéronautique, c’est bien l’avion qui est devenu son seigneur et maître ; aussi avons-nous pu admirer, au cours des fêtes aériennes données dans notre département, les vols aussi impressionnants que téméraires de Léna Bernstein, de Maryse Hilz et Maryse Bastié.

Comme au temps des montgolfières, la femme fait de nos jours la conquête des cieux, mais cette fois en avion. C’est une véritable griserie d’altitude et de vitesse !

Toutefois, je ne pense pas que ce nouveau mode de locomotion réalise entièrement son idéal, car vraiment si l’on veut accomplir un voyage pour l’art, pour la rêverie, en un mot pour passer quelques moments délicieux, pleins de charme et de poésie, au sein d’une douce nature, c’est encore à la porte du vieux sphérique qu’il conviendra de frapper de temps à autre.

« Je triomphe ! Je suis reine ! « chantait Mme Thible à bord du Flesselles alors que Fleurant répondait « quoi ! voyager dans les nuages ! »

Et c’est toujours vrai !


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(1) L'aérostat "Le Flesselles" avait plus de 40 mètres de diamètre dans le sens vertical.

(2 à 5) Mmes Goudesonne, Lassagne, Ravaine et Paulette Weber sont étrangères à notre département.

(6) Mme Goldschmidt fut recordwoman du monde de distance comme aide-pilote de l’aéronaute Rumpelmaye

Souvenirs de l'ascension de l' "Aube ", le 14 Juillet 1910 (Cartes postales)

En haut : Le départ du ballon sur la place du Cirque, à Troyes.

En bas : Quelques lignes de regrets envoyées après l'ascension, par la passagère (Mme Darsonval-Rousselot, mère de l'auteur) qui se résigne à reprendre contact avec la terre.

Au ballon « L’Aube »

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L’Aube, majestueux aérostat s’élève

Dans un ciel radiaux ; un horizon de rêve

Emerveille pilote ainsi que passagers.

Dans l’éther infini, des nuages légers

Sont lentement portés par la brise estivale ;

- On ira loin peut-être, avant de faire escale. -

Doucement entraîné, voyant par monts, par vaux.

L’Aube va dominer les sites les plus beaux,

il entendra chanter, au sein de la nature,

Les oiseaux, et le vent bruire en la ramure

Des rois de la forêt. Les clochers, à leur tour,

Laisseront s’envoler au céleste séjour

Mille sons argentins, saluant au passage,

Dans l’espace azuré, l’Aube et son équipage,

La prairie et les champs tout émaillés de fleurs,

Déploient, sur sa route, un damier de couleurs.

Mais l’onde qui serpente au fond de la vallée,

Comme un hymne d’amour monte, aux cieux, solennel !...

Et, quand survient le soir, à l’heure où la pénombre

S’étend sur les humains, l’Aube, dès la nuit sombre,

S’enfonce et disparaît au sein du firmament,

Pour goûter dans la paix cet ineffable instant.

La lune qui se lève aimable et vagabonde

Sourit à la bohème et sans cesse l’inonde

D’une douce lueur, dispersant ses rayons

A travers les taillis des plus lointains vallons.

En cette nuit d’été, nuit sereine et si tendre,

Les nymphes, par l’Amour, se sont laissé surprendre ;

Fuyant éperdument, elle rient aux éclats

Quand la blonde Phœbé préside à leurs ébats,

Les Sylphes tout joyeux redoublant de caresses,

A l’Aube, astre nouveau, ne font que politesses.

Il est charmé ! grisé ! serait-il donc un roi ?

A l’Univers entier dicterait-il sa loi ?

Alors que sur son front descend la Voie lactée,

Fée électricité, jusqu’à lui s’est portée.

Vois ! dit-elle, ô Seigneur, ces brillants, ces saphirs,

Pour orner la couronne et combler tes désirs

Accepte ces présents, toi que pour le seul maître

Au domaine des airs, nous devons reconnaître !

Sous tes pieds humblement fourmillent tes sujets,

Et régnant dans les cieux, tu surprends leurs secret...

Mais voici le brouillard !... le malaise est extrême !

Adieu nuit étoilée, immense diadème !

Déjà il traîne au sol, et chassé par le vent,

Il s’en ira cacher sa trop grande misère

En un coin méconnu, sur notre pauvre terre !

L. D. (Léon Darsonval) 1935

QUELQUES PRECURSEURS

LE grand problème du vol de l’homme, a passionné, nous l’avons vu, maintes générations.

Bien avant les premiers essais à Bagatelle et à Mourmelon, il ne manqua pas de chercheurs pour essayer de réaliser ce beau rêve : avoir enfin des ailes !

Animés du plus profond enthousiasme, quelques-uns d’entre eux, dans notre département, élaborèrent des projets assez ingénieux ; d’autres construisirent des appareils, au gré de leur imagination, et parfois, sur des données plus scientifiques et mécaniques ; cependant, on ne signale pas que certains de ces appareils aient réussi à s’élever.

Comme nous allons le voir, ces chercheurs n’envisagèrent pas, sous le même angle, le problème de la conquête de l’air.

Ainsi en 1876, M. Arsène Olivier, de Landreville, membre de la Société de Navigation Aérienne, dans son opuscule sur « Les nouveaux ballons », se déclare un partisan du plus lourd que l’air, sans présenter toutefois une thèse étayant cette opinion (1).

Par contre, il donna une description détaillée de la construction d’un aérostat et de ses divers agrès.

Mais où réside l’originalité de son exposé, c’est lorsqu’il préconise, pour le gonflement et la direction des ballons, l’utilisation des gaz provenant de la déflagration de la poudre à canon qui dégage des milliers de calories.

A M. Arsène Olivier ne revient pas l’idée première de l’utilisation de cet agent chimico-physique, puisque, dans son manuel d’aérostation (encyclopédie Roret), paru en 1850, l’ingénieur Dupuis-Delcourt classe la poudre à canon parmi les divers moyens proposés pour la « direction » des aérostats.

« On a proposé, dit-il, depuis soixante ans, un grand nombre de moyens différents pour « diriger les ballons ». Ils peuvent se généraliser et se classer ainsi :

Réaction d’un air dilaté sur l’air dense de l’atmosphère, au moyen d’ouvertures ou de soupapes latérales pratiquées sur les flancs des ballons à feu, ou montgolfières.

Agents chimico-physiques (poudre à canon), ou agents purement mécaniques, pour les ballons à gaz hydrogène.

Remorquage, ou machine à points fixes. »

Il est curieux de voir comment, de la fin du XVIIIe siècle à 1850, par exemple, on envisageait la dirigeabilité des ballons, aussi, j’engage les lecteurs, que la question intéresse, de vouloir bien consulter le manuel d’aérostation de Dupuis-Delcourt, l’exposé d’Arsène Olivier étant beaucoup moins explicite.

M. Arsène-Louis Thévenot, fils unique de M. Arsène Thévenot, membre de la Société des Gens de Lettres et lauréat de l’Institut, émet une toute autre histoire.

Ce jeune Troyen qui offrait les plus belles espérances, venait d’être admis à l’Ecole Centrale de Paris, quand il mourut en 1888.

La locomotion aérienne le captivait, et plusieurs fois déjà, il avait exposé, dans la presse, son sentiment sur la construction des hélicoptères.

L’année même de sa mort, Arsène-Louis Thévenot signalait que M. Charles Rey avait déposé le 25 janvier 1888, sur le bureau de l’Académie des Sciences, une note dans laquelle il prétendait avoir résolu le problème du vol aérien. M. Rey adoptait la théorie de M. Ponton d’Amécourt qui envisageait, dès 1864, l’établissement d’un hélicoptère à « palettes horizontales » commandées par un moteur.

M. Thévenot se proposait de faire sienne cette idée bien générale il est vrai et de l’exploiter. Il projetait surtout d’étudier plus spécialement, la question de direction sur laquelle le projet de M. Rey était complètement muet.

Mais la mort survint trop tôt pour lui permettre de réaliser l’œuvre à laquelle il paraissait devoir s’attacher.

A quelque temp de là, M. Paul Bottot, de Bouilly, s’intéressa au vol de l’homme par le plus lourd que l’air et ses premiers travaux remontent à l’année 1889.

Paul Bottot créa des appareils réduits d’avion et d’une conception qui parut ingénieuse pour cette époque.

En 1889, il pensait que la « machine aérienne » serait lancée dans l’espace au moyen d’un moteur analogique à celui utilisé dans l’automobilisme alors naissant.

Le premier avion que Paul Bottot imagina était constitué fort bizarrement, par des arceaux reliés entre eux.

La partie supérieure était recouverte de toile et de chaque côté étaient accrochés des demi-arceaux. A l’avant, on remarquait deux petits planeurs en ailettes et, à la queue, un parallélépipède à double cloison en toile.

L’hélice centrale était composée de « demi-palettes s’enroulant en spirale autour de l’arbre », celles du premier plan étant de plus faible dimension que les suivantes qui allaient en augmentant, dans des proportions déterminées.

Paul Bottot apporta ensuite la plus grande attention à la sustentation de ses appareils cherchant à réaliser les meilleures conditions d’équilibre.

Son second modèle date de 1895 et présente de notables transformations. Les ailes ne sont plus cylindriques, sauf à l’arrière, un gouvernail de virage, avec deux moteurs propulsifs.

M. Bottot continue dès lors ses recherches apportant encore de nombreuses modifications à ces appareils d’étude, et l’on peut voir au qu’il construisit de 1906 à 1909.

La première maquette de Paul Bottot avec l'hélice en spirale (en 1889)

S’orientant désormais vers la sécurité, notre chercheur infatigable invente certains dispositifs : « La roue patin » et « l’aéroplane parachute » ; pour ces deux inventions, il prend, à la date du 9 mai 1911, un brevet qui porte le n° 426.642. A noter que « les roues patins commandent un gouvernail de profondeur » ; Paul Bottot estimait que dans un piqué, à l’atterrissage, l’appareil devait, par ce moyen, se redresser automatiquement.

Ensuite, notre compatriote s’appliqua à rechercher ce que l’on pourrait dénommer « l’aile automatique », autrement dit « non rigide », c’est-à-dire « vivante » (2) et « agissante » à la manière des ailes de certains oiseaux (grue ou buse) dont il étudia les moindres mouvements.

Ainsi, substitue-t-il au principe du vol plané celui qu’il dénomme « le vol en oblique » qui est la résultante de son observation du vol de l’oiseau, ce dernier conservant la position « horizontale » soit qu’il s’élève ou qu’il s’abaisse.

Et cette théorie lui fait concevoir l’aéroplane inchavirable par l’emploi d’un stabilisateur automatique et irréversible.

J’avais déjà, avant-guerre, fait de nombreuses causeries avec Paul Bottot, aussi en novembre 1935, je résolus, en compagnie de Charles Favet, de me rendre à Bouilly et d’explorer, de nouveau, le grenier-musée de ce chercheur aussi remarquable qu’original.

Nous tombâmes au milieu d’un véritable cimetière de maquettes d’avions et de dirigeables toutes ingénieusement combinées. Paul Bottot nous exposa avec quelle foi il travailla, lui aussi, pendant plus de 25 année, à la réalisation de son beau rêve. Il nous fit partager ses espoirs, tout en exposant, avec plus d’ardeur que jamais, sa vieille théorie sur le « vol en oblique », et M. Favet n’ayant que l’embarras du choix pour prendre un croquis, s’arrêta au premier avion en arceaux que Paul Bottot conçut en 1889, appareil qui mérite d’être signalé, ne fût-ce que pour son originalité.

Avec M. le docteur de Malherbe, nous entrons de pied ferme dans la construction de l’hélicoptère. En effet, à la date du 11 novembre 1901, M. de Malherbe donne, de son appareil, une description technique intéressante, accompagnée d’un plan détaillé (3).

Je me permettrai de faire ici une petite digression afin de porter, pendant quelques instants, ma pensée vers cet antique Castel de Cloux, G

Je le vois, même mourant, encore tout absorbé par ce problème qui passionna sa vie toute entière : Le vol de l’homme !

O Léonard de Vinci, toi seul es le grand Précurseur, puisque tu trouvas le principe de l’hélice.

M. Eugène Müntz, membre de l’Institut, nous le dira dans son ouvrage sur Léonard de Vinci (Livre III, chapitre IV). Ne nous expose-t-il pas que la locomotion aérienne occasionna de longues insomnies à cet illustre savant.

Léonard, dit-il, s’efforçait de construire des ailes, des nacelles volantes, des chaises ailées, etc... Un de ses mémoires composé d’une vingtaine de pages, est consacré au vol des oiseaux. (Sabachnikoff, Piumati et Ravaisson-Mollien, Codice sul volo degli Ucelli ; Paris, Rouveyre, 1893. cf de Geymüller : Gazette des Beaux-Arts, 1894.)

Dans ces dernières années (vers 1899) un savant autorisé, le professeur Govi, a montré en Léonard de Vinci l’inventeur du propulseur à hélice, dont la navigation tire aujourd’hui de si grands avantages. Le premier, dès la fin du XVe siècle, Léonard l’essaya et l’appliqua, du moins en petit. Un dessin d’une large hélice destinée à tourner autour d’un axe vertical. Non seulement, ajoute Govi, Léonard aurait inventé le propulseur à hélice, mais il songea même à l’utiliser pour la locomotion aérienne, et en construisit de petits modèles en papier, mis en mouvement par des lames minces d’acier tordues, puis abandonnées à elles-mêmes. Il étudia en outre le moyen de mesurer l’effort que l’on peut exercer en frappant l’air avec des palettes de dimensions déterminées, et inventa le parachute qu’il décrit en ces termes : « Si un homme a un pavillon (une tente) de toile empesée dont chaque face ait douze brasses de large et qui soit haut de douze brasses, il pourra se jeter, de quelque grande hauteur que ce soit, sans crainte de danger. (Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 29 août 1881.)

Aussi, M. de Malherbe, de Selongey (Côte-d’Or), dénomme-t-il l’appareil qu’il vient de concevoir l’ « Aviateur à hélices conjuguées ».

Il émet le principe que pour se mouvoir dans un sens

voulu, au sein de l’atmosphère terrestre, il faut :

S‘élever dans l’atmosphère et s’y maintenir, c’est-à-dire vaincre la force dite pesanteur ;

Il faut aussi progresser dans le sens horizontal, et par cela, vaincre la résistance de l’air en étant immobile ou en mouvement.

Pour résoudre le premier point il convient :

a) ou de construire un appareil dont l’ensemble est moins dense que l’air ;

b) ou employer une force suffisante, sous un poids déterminé, pour animer un système de surfaces convenablement disposées et qui prendront, par leurs mouvements, point d’appui sur l’air, grâce à la viscosité des gazs (à l’instar des oiseaux ou de certains insectes).

Mais il ne s’agit que de s’élever dans l’air, il faut s’y maintenir, s’y mouvoir. Tout en reconnaissant l’effort accompli, jusqu’à ce jour, par des hommes courageux effectuant de remarquables essais avec des appareils qui furent, la plupart du temps, le jouet des vents, le docteur Malherbe se rallie tout simplement à la théorie intégrale du plus lourd que l’air.

Les difficultés à vaincre ne sauraient manquer. Il voit la solution pratique du problème dans l’utilisation de l’hélice, frappé qu’il fut par ces ailettes que les enfants lancent dans l’air au moyen de ficelle, à la manière d’une toupie, ailettes qui atteignent souvent de grandes hauteurs.

Il suffit d’adapter, dit-il, cette hélice à un moteur suffisamment puissant et en même temps léger, pour entretenir son mouvement, en lui communiquant, à chaque instant, une force égale à celle qu’elle use contre l’air. En outre, il est indispensable que le moteur soit fixe, c’est-à-dire qu’il se contente d’imprimer à cette hélice son seul mouvement de rotation.

Supposons la question résolue pour ce qui touche l’enlèvement de l’appareil par l’hélice horizontale, comment régler maintenant le système propulsif de l’appareil.

Le docteur de Malherbe nous expose d’abord qu’une hélice actionnée autour d’un axe horizontal, dans un plan vertical, le moteur tournera autour de cet axe, qu’il était destiné à mouvoir, en sens contraire, et avec une vitesse supérieure à celle de l’hélice, ce qui ferait basculer l’appareil, aussi verrons-nous dans la suite comment notre inventeur entend traiter la question de direction.

Mais dira-t-on, ajoute M. de Malherbe « vous supposez qu’on ne peut s’élever et se diriger qu’au moyen d’hélices » ; il y a bien d’autres système ! Non, il n’y en a pas d’autre réellement pratique. Et pour appuyer sa thèse, il donne une description détaillée de l’encombrement que nécessiterait, pour voler, l’utilisation de grandes surfaces qu’il combat.

Un système d’hélices, ajoute-t-il, est la solution idéale du problème : mouvement de rotation le plus simple, facile à régler et fourni par tous les moteurs...

L’appareil du docteur de Malherbe consiste donc essentiellement en deux hélices inversement disposées et superposées parallèlement, ayant les centres situés sur une même ligne perpendiculaire à leurs plans, l’axe de l’une traversant complètement et longitudinalement celui de l’autre, actionnées simultanément par deux moteurs égaux et symétriques, le tout étant rendu solidaire par un système rigide extrêmement équilibré.

La direction est donnée à volonté, par un système d’orientation oblique des hélices et leur force s’exerce suivant la direction de leur axe, celle-ci étant décomposée en deux autres : l’une horizontale faisant progresser l’appareil et l’autre verticale luttant contre la pesanteur et maintenant élevé « l’aviateur ».

" L'Aviateur " du Docteur de Malherbe

M. Favet a parfaitement réalisé le dessin perspectif de cet appareil, s’en tenant strictement au plan établit (coupe) par le docteur de Malherbe.

M. Gury, de Bréviandes, s’attache, lui aussi, à la construction des hélicoptères. Malgré un travail opiniâtre, le premier appareil construit par M. Gury ne lui donna pas satisfaction et c’est après guerre qu’il reprit ses projets.

Le 19 septembre 1919, par une lettre adressée à la Presse, M. Gury déclare qu’il a modifié la construction de son hélicoptère conçu en 1902. Il n’y a, dit-il, qu’une seule hélice à l’avant, faisant bloc avec le moteur, à la façon de la moto-godille. Ce bloc est monté à rotule et l’aviateur donne, par ce moyen, à l’hélice, le degré d’incidence qui lui convient : horizontale pour monter verticalement, perpendiculaire pour l’avancement ; à droite pour marcher à droite, à gauche pour voguer à gauche.

Le gouvernail de profondeur est supprimé, de même que celui de direction ; en plus, un poids de stabilisation est lâché en cas de panne de moteur, et, pour la descente verticale, ce poids agit sur l’extrémité opposée du fuselage, aidé par les planeurs qui sont ouverts en V. Pour la montée, les planeurs sont fermés contre le fuselage pour se déployer pendant la marche en vitesse.

Mais il est une figure qui, de nos jours, doit encore demeurer bien présente à la mémoire de nos concitoyens, c’est celle de M. Pollarolo, italien d’origine et établi photographe à Troyes.

Avec lui, nous sommes en présence d’un fervent adepte de la navigation aérienne par le plus léger et par le plus lourd que l’air.

Il habitait et exerçait sa profession, 8, rue Paillot-de-Montabert. C’était un artiste à l’esprit perspicace et inventif. Il construisit, en 1907 et en 1908, un dirigeable en réduction et un planeur, dont il adressa les plans au ministère de la Guerre. J’ai eu bien souvent l’occasion d’admirer ces appareils suspendus au plafond de sa salle de travail, mais j’ignore ce qu’ils sont devenus depuis son décès ; sans doute présenteraient-ils, aujourd’hui, un certain intérêt rétrospectif, s’ils avaient été déposés au Musée.

C’est M. Pollarolo qui photographia, en juin 1908, la 26e ascension en sphérique du Club Aéronautique de l’Aube. Elle parut, à cette époque, dans l’Illustration.

Quant à M. André Duchaussoy, membre de l’Aéro-Club de l’Aube, nous le verrons, en juillet 1912, sur un planeur de sa conception, effectuer quelques essais à Montgueux, puis à Bréviandes où il cassa du bois. (4)

En janvier et en février 1913, M. Duchassoy renouvelle ses essais avec plus de succès ; mais en mars, il adapte à l’avant de son planeur, un genre de roues à ailes battantes dont les pales sont en toile et armées intérieurement. C’est une conception originale et dont voici le dessin, ci-dessous.

Ailes battantes du planeur A. Duchaussoy

Dans le courant du mois de mai 1913, M. Duchaussoy abandonne le planeur et se rend acquéreur d’un Blério-Viale 3 cylindres, qu’il remise d’abord à Pont-Hubert. Après quelques tentatives de décollage, il abandonne ce terrain peu propice aux débutants et se réfugie avec son appareil dans une grange, à La-Rivière-de-Corps (lieudit « La Malthode »).

Après la moisson, M. Duchaussoy reprend ses essais, survole tout un champ à quelques mètres du sol, et, pendant l’hiver, réussit quelques vols en rase motte.

Au printemps 1914, il se disposait à « franchir » une ligne d’arbres, quand il fut arrêté par les pluies, si bien qu’à la déclaration de guerre, notre aviateur réalisa dans l’aviation militaire ce qu’il n’avait pu accomplir ailleurs.

En décembre 1918, le journal La Tribune de l’Aube publie une intéressante relation concernant les inventions présentées, à la fin des hostilités, devant la commission intéressée, siégeant à Troyes, à l’Hôtel de Vauluisant.

Voici les inventions concernant l’aéronautique.

C’est d’abord « l’appareil de visée pour avion » présenté par le sergent Lhermitte, du 47e territorial, ancien professeur de mathématiques au Lycée de Troyes ; cet appareil est à peu près conçu sur les mêmes données que celui inventé antérieurement par M. Joanneton.

On y remarque également le « Barostatoscope isothermique » inventé par le sergent Granderye, du 41e territorial ; cet appareil sert à indiquer aux aviateurs et aux aéronautes, le mouvement ascentionnel.

Le stabilisateur d’avions de Paul Bottot figure également à cette exposition scientifique, mais il fait double emploi avec celui déjà présenté par les frères Moreau.

Le soldat Billard, du 2e Bataillon de Chasseurs, présente un « viseur » qui permet à l’aviateur d’assurer un tir plus précis. Toutefois, il convient de signaler qu’il existait d’autres appareils mieux conditionnés pour le réglage du tir en avion. Aussi ce viseur n’est pas retenu.

Si, de nos jours, nous nous permettons de porter un jugement sur tous les projets présentés, au cours de la longue carrière de l’Aé. C. A., certains d’entre eux paraîtront peut-être irréalisables ou baroques, mais nous devons reconnaître que d’autres possédèrent le germe, l’idée maîtresse de ce qui orienta notre aviation vers la réussite.

Comme toute science, l’aviation n’est édifiée que sur les faits du passé puisque c’est le passé qui forme le présent et c’est le présent qui prépare l’avenir.

Aussi, est-il permis de regretter que les pouvoirs publics ne furent pas toujours à la hauteur de leur tâche en abandonnant à leur triste sort les malheureux inventeurs, quant aux plus dignes d’intérêt.

Nous avons un bel exemple d’ingratitude à signaler, avec Ader qui, découragé, après son vol de 300 mètres au-dessus du plateau de Satory, se retira, méconnu, sur les bords de la Garonne.

En sera-t-il toujours ainsi ? Je le crains ! L’Histoire, dit-on, est un perpétuel recommencement, et, si les hommes passent, les méthodes... officielles ne changent guère.


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(1) Bibliothèques de Troyes. – Les nouveaux ballons.

(2) M. Jacquemin, membre de l’Aéro-Club de la Haute-Marne et de l’Aube, se rend, le 16 novembre 1935, sur notre aérodrome de Barberey, en vue d’expérimenter son avionnette prototype, à « ailes vivantes ». Le principe qui a présidé à la construction de cet appareil paraît avoir une certaine analogie avec la conception de Paul Bottot, et tous deux ont donné la même dénomination aux ailes de leurs appareils, bien différents il est vrai, quant à la construction, l’appareil à « ailes vivantes » de Paul Bottot ne fut jamais expérimenté, alors que celui de M. Jacquemin accomplit, le 20 novembre, sur l’aérodrome de Troyes, quelques décollages qui font présager une certaine réussite dans les temps à venir. Le « Leyat-Jacquemin », tel est le nom de cet appareil fut exposé au dernier Salon de l’Aéronautique, à Paris.

(3) A cette époque, M. de Malherbe avait confié son idée à quelques-uns de ses amis habitant le département de l’Aube, si bien que l’exposé manuscrit de son œuvre parvint facilement à la bibliothèque de l’Aéro-Club de l’Aube, où l’on peut le consulter.

(4) M. A. Duchaussoy débute, pendant la guerre de 1914, comme pilote de biplaces dans une escadrille de reconnaissance ( Réglage de tir en liaison avec l’artillerie, Photographies). Il termine la campagne sur monoplace dans un groupe de chasse.

Capitaine de réserve, M. A. Duchaussoy est Chevalier de Légion d’Honneur et décoré de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre (sept citations). Il reçut, d’autre part, la Valeur militaire Italienne et la Croix de Commandeur du Nicham.