Le voyage de François Vinchant de passage en Champagne (1610)

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Le Voyage de François Vinchant de France à l'Italie (1610)

......Venant de Combertri, La Maison Dieu, Vésigneu, Colle, Omboville [Humbauville], Mie, Tiercelin, Corbeil, Gunemant, Broot [Domprot], j'arrivai à Rosnay, étant accompagné d'un honnête personnage, appellé Grégoire Montgérart, natif d'Epernay, homme de lettre et prêtre, qui s'acheminait par dévotion au monastère de Clervaux.

Rosnay (l'Hôpital) est un beau bourg. Il est environné d'un côté de la rivière de Voire ; et selon l'apparence, il semble qu'il a été autrefois fortifié par les habitants contre les incursions.

Brienne. De là, je vins traverser le village de Centeuille et le bourg de Brienne où l'on voit un château assez beau et fort, à cause qu'il est assis dessus une rocaille. Ce fut en ce lieu, au récit de l'historien Belleforest, que Frédégonde, Reine de France, tint pour quelques temps Clodomer, fils de Chilpéric, qui était du premier mariage, prisonnier pour le faire plus tôt mourir, à cause qu'aux alentours de ce lieu la pestilence était très cruelle ; et ce faisait-elle afin de faire régner ses enfants qui venaient dudit Chilpéric et d'elle en second mariage. Puis je traversai les villages dits Roter [La Rothières], trannes, Wossancourt [Baussancourt] [Bossancourt], Archondivau [Arconval][Arsonval], Mossé [Mothé][Montier-en-l'Isle], qui ont leur territoire fertile en grain et vin.

Bar-sur-Aube. Je parvins à la ville de Bar, située sur la rivière d'Aube, et tenue entre les ville du comté de la Champagne. A l'environ d'icelle, l'on voit des montagnes et petites collines portants du vin très délicieux et grandement renommé au Pays-Bas. D'où vient que les habitants, qui sont presque tous marchands, en tirent grand profit.

Ce fut ici, que, outre ce que l'air est bon par toute la Champagne, que j'expérimentai qu'il était très agréable, doux et tempéré.

Les rivières sont assez grandes.

Le peuple est soigneux, vigilant et bon ménager, jusque là, j'ai vu femmes et filles mener et conduire la charrue pour cultiver la terre.

La noblesse est gaillarde, courtoise et vaillante et en grand nombre ; mais que l'on se garde de leur tenir tête, car ils sont un peu opiniâtres.

Je note ici, que ceux de Bar-sur-Aube et Bar-sur-Seine, même Bar en Barrois, se vantent d'avoir encore en leurs domiciles, les pancartes des Bardes Gaulois, qui étaient les poètes et "causidigues" entre les Druides.

La forêt de Bilie. Partant de Bar, je passai le village de Bilie [Bayel] et vint à entrer en un bois de deux lieues d'étendue, lequel est réputé dangereux à cause des brigands qui s'y arrêtent pour emporter proies sur les passagers, ou les occire. Et avant y enter, je trouvai quelque pauvre compagnon qui se doléait de ce que on lui avait ôté le manteau : ce qui me donnait quelque crainte et soupçon de péril. Toutefois étant avec compagnie, je vint sur le soir à traverser.

Le monastère de Saint-Bernard à Clairvaux. Et incontinent sortant de ce bois, j'abordai ce fameux monastère de Clairvaux, là où je fus averti que, pour éviter le péril de ce bois, je devais, partant de Reims, prendre le chemin de Troyes pour parvenir à Clairvaux, et que ladite ville méritait bien d'être vue à cause de son étendue, et que l'on voit l'église St. Estienne, la plus ancienne de la Gaule encore en son entier, en laquelle Louis le Bègue, roi de France, fut couronné par le pape Jean VIII.

Allons à nôtre monastère.

Ce monastère fut bâti environ l'an 1113 par St. Bernard, sorti de la maison illustre de Châtillon en Bourgogne, et après qu'il eut bâti 160 monastères en divers lieux de l'Europe, il mourut l'an 1153, et son corps gît en ce monastère. Il avait choisi ce lieu pour bâtir à cause qu'il est en une vallée et plaine verdoyante, environnée de tous endroits de bois et côtoyée d'une petite rivière, qui cause que ce lieu est rendu, et maintenant il attire les chrétiens à pérégrination à cause des corps saints, qui ici, reposent au nombre de VII à VIII, au dessus du grand autel dans des "casques" d'argent. Et d'autant que monsieur St. Bernard étant vivant a rendu la vue à un aveugle, aussi les aveugles, borgnes et autres y faisaient leurs pèlerinages.

L'église de ce monastère est un bâtiment antique et assez obscure, mais ceci est provenu de l'industrie et prudence de ceux qui l'ont fait bâtier, jugeant que les lieux ténébreux sont plus commodes et propres à recueillir et arrêter les esprits à méditer et louer nôtre Créateur. Aussi pour cette raison, la plupart des églises bâties par l'antiquité chrétienne sont de peu lumineuses.

En cette église donc, il y a deux places, l'une suivant l'autre du long, où sont en chacune beaux sièges pour accommoder les religieux tenant chœur en leur offices, en nombre de 300 environ.

Au côté droit d'icelle, l'on voit encore les murailles anciennes de l'église, que fit autrefois bâtir monsieur St. Bernard.

Ce monastère a été ragrandi pour loger les pèlerins.

Hôtellerie. Aujourd'hui, ce lieu sert de retraite pour les charretiers et voiturins amenant vin de Bourgogne au Pays-Bas, car il y a bonne hôtellerie.

Et lorsque j'y était, je fut émerveillé de voir toute sorte de gens, tant de cheval que de pied, tant noble que roturiers, d'être bien accommodés. Il faut toutefois arriver de bonne heure, car difficilement sur le tard on y rentre : ce que j'ai expérimenté.

Le gros tonneau de l'abbaye. Avant de partir de ce lieu, je fus d'avis de voir ce tonneau duquel l'on parle tant. Le prieur me fit cette courtoisie de me le montrer. Il est au côté gauche de l'entrée de l'église, enserré dans une grande place. Ses cercles sont faits de sommiers de chêne. Il contient plus ou environ, selon la relation dudit prieur, 1500 tonneaux de vin, tels que l'on apporte de par deçà venant de France. On emplissait jadis ce tonneau plein de vin, du temps de monsieur St. Bernard, pour faire la charité aux pauvres ; et depuis la mort de ce saint, aux pèlerins. Maintenant comme la charité est refroidie, la cherté augmenté, la dévotion des pèlerins diminuée, les donations retranchées, il ne sert que de parade, ou pour condamner la paresse de ce siècle.(XVIIème)

Partant de Clairvaux, je vins à côtoyer la rivière d'Aube entre deux bois montagneux et passer les sousdits villages, à savoir : Ville, Ferté, Chevrolle, Dinteville, Ormoys, La Trecey, Opiare uù proche de là il y a un monastère de religieux, Vonne, Bay, Ovrid, Chienisson, Villemary, Gussilée, Mared, Jed situé sur la rivière de Rille.

Entrée en Bourgogne, je découvre encore le château et village de Fontaine, situé sur le sommet d'une colline, d'où était natif le grand docteur Monsieur St. Bernard. Laissant tous ces lieux à main droite, je parvins à la ville de Dijon........