L'étoile Arlette

Ce soir-là, sur un coin du divan, mignonne Arlette avait délaissé le “ nou-nours “ rouge cramoisi et le doux mouton blanc, pour jouer, en compagnie de “ Pépé “, aux petites marionnettes !

Soudain, avec mystère, la porte de la chambre s’entr’ouvrit ; dans l’entrebâillement, une silhouette se glissa, furtive : c’était, à vrai dire, un fantôme affublé de noirs oripeaux, laissant apparaître d’un squelette les saillies anguleuses.

S’approchant de l’enfant, de sa main osseuse, glaciale, le spectre la toucha au front : “ Celle-ci est à moi, ricana la mort ; je la choisis, de préférence, parce qu’elle est jolie et resplendissante de santé “ !

- “ Grâce, pour ce ravissant, cet aimable bébé ! implorait l’aïeul ; ne te montre pas impitoyable ; si, à cette heure, tu exiges une victime, je te donne ma vie… Ne sens-tu donc pas, cruelle ! dans quel désespoir ?… “

- “ Eh ! que m’importe ! interrompit la mort, je choisis à mon gré ; n’ayant ni cœur, ni âme, je suis sans pitié ! Je frappe le riche comme le pauvre, aussi bien à la tête des puissants couronnés de diadèmes qu’au front des miséreux ; je prends les enfants au berceau comme les vieillards centenaires et il n’est pas de seconde où je ne fauche, à plaisir, dans le champ de la vie !

Les hommes de sciences conjuguent leurs efforts pour m’arracher des mains les gens de leur clientèle, je les plains ! Le moindre bobo, une fièvre bénigne, voire la plus infime fracture, ne les laissent-ils pas désemparés quand j’arrive au moment qu’il me plaît ?

O humanité sotte et présomptueuse ! Puis-je, sans en rire, voir l’homme empêtré dans son insensé, son génial orgueil, réduit à rechercher les moyens de détruire ce que, déjà, il inventa pour bouleverser votre tout petit univers.

Quelle dérision ! Mais aussi quelle consolation ! Que dis-je ? quel triomphe ! pour moi – la Mort – en ces temps bienheureux de super-matérialisme, où d’illustrissimes savants sont, à n’en pas douter, mes meilleurs auxiliaires.

J’ai dit ! “

- “ De cette homélie, répliqua le vieillard, je n’ai que faire. Laisse-moi, je t’en supplie, à mes seules pensées, sous le poids de mon immense détresse, puisque les larmes de mon être ne sauraient fléchir ton incommensurable impudence !

Toutefois, je décide de conduire, sur-le-champ, ma petite fille, à sa marraine “ la bonne Fée Arlette “ ; cette fée est noble, charitable, puissante, et qui sait ?… D’ailleurs, ne règne-t-elle pas sur un monde où l’on ne craint pas la mort ? “

- “ Certes, j’en ai ouï dire, opina, avec ironie, l’atroce mégère ; je ne saurais donc te dissuader d’accomplir cette odyssée, tant il me plaît d’en connaître l’issue. Mais, quoi qu’il advienne, je l’affirme, ta petite Arlette est désormais bien à moi, à moi seule ! “

Et le spectre disparut….

Fébrilement, le bon grand-père saisit le petit corps inerte, exsangue ; il l’enveloppe précieusement dans un vêtement de laine, le place, avec toute l’effusion de sa tendresse, bien près de son pauvre cœur meurtri, brisé, et s’en va, presque inconscient, à travers la nuit obscure.

Bientôt, la chaleur de son corps, aux effluves bienfaisantes, paraît devoir ranimer l’enfant ; ne lui semble-t-il pas, même, percevoir les battements de son cœur ? Bercé dans ces douces illusions, il marche longtemps, longtemps, animé d’un rare courage et d’une foi profonde, quand, chargé de son précieux fardeau, il espère, en des heures prochaines, gagner les confins du vallon enchanté.

Une tempête vient de se déclencher ; elle sévit, violente, sur la contrée toute entière. Aveuglé par les flocons de neige qui le frappent au visage, le vieillard s’égare.

Cependant, à demi-dissimulée sous un épais manteau blanc, coudoie en marchant le voyageur en détresse.

- “ Je suis une pauvre vieille, murmure-t-elle, ayez pitié de mon sort ! Perdue dans cette campagne, je vais au hasard, cherchant asile. Ne pourriez-vous me secourir ? “

- “ Volontiers ! mais, transi de froid, je sens déjà les forces m’abandonner et je ne reconnais plus, moi-même, le chemin qui conduit au palais de Fée Arlette où je me rends pour abriter sa filleule que la mort veut nous ravir. Assurément, cette fée bienfaisante saura vous protéger si nous avons le bonheur de parvenir jusqu’à Elle. “

- “ Soit, dit la vieille femme, faisons route ensemble ; peut-être, côtoyant ce ruisseau, encore apparent, trouverons-nous là un guide favorable et sûr. “

Ils le suivent fidèlement. Après une marche pénible, souvent même périlleuse, les deux voyageurs accèdent enfin au seuil du palais et s’acheminent vers de grandioses espaces aux parterres fleuris où de vives clartés irisent les eaux limpides des fontaines et des cascades jaillissantes.

Dans l’éther infini, au centre d’un dédale de colonnes transparentes comme l’onde claire, s’élève le vaste trône de la Fée. Les marbres aux couleurs variées, les ivoires les plus rares, les émaux, les métaux précieux aux fines ciselures artistiques, toutes ces merveilles, rehaussées par de somptueuses draperies, offrent à cet éden un caractère de grandeur souveraine.

A proximité, parmi un flot de dentelles, de cachemires et de vaporeuses soieries, est disposé un petit lit blanc. A l’avant, il porte un écusson d’or parti d’azur, à une comète, d’où se détachent en lettres étincelantes : “ A ma filleule Arlette “, et, sur son ciel, d’innombrables étoiles scintillent, lumineuses, jusqu’aux plus lointains horizons.

- “ Mes bons amis, déclare, avec condescendance, l’occupante du trône, votre venue me comble d’aise ; malheureusement, ce gros temps de neige aura bien déprimé cette chère enfant dont la pâleur est extrême .

Approchez en hâte et, sur cet oreiller de fleurs, déposez vous-même celle qui est mienne, tant j’ai souci de lui offrir, en mon immense empire, un refuge assuré contre la souffrance. “

Confiant, à cet appel, le vieillard franchissait déjà les premiers degrés du trône, quand la vielle loqueteuse qui l’accompagne l’arrête de la main. Laissant tomber ses nippes sordides, la bonne Fée Arlette se dresse, cette fois, majestueuse dans l’apparat de sa beauté, de sa grâce et de sa puissance.

Face à l’intruse qui tente de s’esquiver, au sein de fulgurants éclairs, véhémente, elle clame son indignation : “ Effroyable voleuse d’existences, par cette tourmente, à ton gré déchaînée, tu préméditais d’ensevelir, à jamais, ce bon grand-père et son Arlette, dans le silence de cette nuit tragique, en couvrant traîtreusement leurs corps d’un suaire de neige ! Mais je veillais !

Mon absence devait encore favoriser tes projets. Cynique ! tu oses me défier en cette demeure de vie, trop empressée de mettre à profit la dernière chance qu’il te reste pour consommer, par un rapt, ton œuvre définitive de mort ! Facilement, je déjouai tes noirs desseins ! Camarde inassouvie, au rictus d’épouvante, te voilà bien captive, prise à ton propre piège !….

Tu seras châtiée.

Que ton hideux squelette, coryphée infernal de danses macabres, se dissémine incontinent aux vents des tempêtes, pour retourner ensuite au domaine des ombres, et que, jamais plus, ta vile carcasse ne vienne, ici, souiller notre monde de lumière.

Ainsi je l’ordonne. “

Aussitôt, dans un bruit sec, sinistre, d’os qui s’entrechoquent, la mort s’évanouit !…

Des bras du grand-père, Fée Arlette prend sa filleule, la dépose amoureusement sur le petit lit blanc parmi les lys, les œillets, les roses, et, tendrement, lui baise le front, son petit front de glace. A ce doux contact, mignonne Arlette s’éveille, au milieu des transports d’allégresse ; elle sourit doucement s’assied sur sa couche, agitant avec grâce ses petites menottes, tandis que des chœurs joyeux l’accompagnent en chantant :

“ Elles font, font, font, les petites ma.ri.on.nettes !

“ Elles font, font, font, trois p’tits tours et elles s’en vont !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Minuit a retenti aux carillons du palais. La bonne Fée Arlette, à toute sa Cour assemblée, présente sa filleule :

“ Je tenais, proclame-t-elle, à célébrer dans ce temple le premier anniversaire de sa naissance ; aussi, ai-je dirigé les événements pour soustraire, à l’avenir, petite Arlette au pouvoir néfaste, tyrannique même des humains et de la mort.

Je la garde !

Venez ! accourez ! cohortes célestes, de vos lumières auréolez ce berceau que la terre nous envoie. Chantez, chantez sans trêve de douces mélopées, pour glorifier du Créateur la profonde sagesse.

Noël ! C’est Noël ! C’est le jour des berceaux ! C’est un jour de vie… de vie éternelle !

Sonnez, cloches bénies ! Sonnez à la volées ! Sonnez encore ! Sonnez toujours ! Sonnez sans cesse !

Que vos puissantes voix d’airain, si vibrantes d’espérance, viennent s’unir mélodieuses à l’harmonie des concerts divins.

De grandes réjouissances, ici, se préparent, car, bien avant l’aurore, une étoile nouvelle au firmament va monter. Nous la nommerons “ l’Etoile Arlette “. Fidèle à son destin, elle sera la protectrice de l’enfance, brillant d’un éclat particulier au ciel de mon palais.

Non moins fidèlement, chaque année, au 26 Décembre, l’Etoile Arlette descendra, rayonnante, tout au-dessus du vallon, et, mirant ses feux les plus vifs dans le cristal de mes eaux, elle apparaîtra, longtemps encore, jusqu’au crépuscule du matin !…”


O jeunes mamans ! vous qui redoutez tant pour vos berceaux ; vous, dont la vigilance ne saurait être jamais trop en éveil ; vous, enfin, que la nature a comblées pour chérir vos petits anges, prenez garde !

Aux moments difficiles, portez vos regards bien haut dans le ciel, vers l’Etoile Arlette, elle vous inspirera, elle vous protègera.

Arlette Darsonval

Tendresse !

Sous un tremble abritée, au vallon solitaire,

Où bruit la feuillée et chantent les oiseaux,

Source Arlette murmure une douce prière

Qui monte, caressante, aux bois, elle offre sa complainte,

Et, berçant, en sa tombe, Arlette, avec amour,

L'Ondine proclame, face à la mort, sans crainte,

Que mourir, c'est entrer au lumineux séjour.


Passant ! si le hasard d’une promenade te conduit vers le vallon d’Arlette, emprunte le petit sentier si agreste qui serpente à flanc de coteau jusqu’à la source. A moins de cent mètres d’elle, dissimulée sous les ombrages, tu trouveras une tombe….(1) C’est là !

Au bruissement des feuilles sous la brise, au gazouillis de l’onde comme au ramage joyeux des oiseaux, prête une oreille attentive : tout, autour de toi, chante le glorieux passé du vallon et célèbre, désormais, la céleste félicité de mignonne Arlette, un ange du Bon Dieu.

D’une fleur éclose auprès de la fontaine, d’une fleur des champs ou bien de la prairie orne pieusement cette marche du ciel, puis, dans le recueillement de ton âme, remercie Celui qui donne la Vie… la vraie… celle-là, seule, de l’éternel Au-delà !

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(1) Ainsi, petite Arlette a été déposée religieusement en ce lieu, dans un bloc de béton et cette tombe est placée sous la sauvegarde des habitants de la contrée et aussi des visiteurs de la source.