2 - Le statuaire Edme Auguste Suchetet




Dès son arrivée à Lyon, au mois d’août 1875, Suchetet travailla pendant trois semaines aux ateliers d’art religieux Gousset, exécutant pour la plastique , en dehors des estampages son travail journalier, deux modèles : l’un de St Bruno, l’autre de Notre-Dame de la Salette).

Les prix de famine qui lui furent consentis pour ces travaux ne lui permettaient pas de vivre, aussi dut-il s’adresser à une autre maison.

Après bien des espoirs déçus, on lui conseilla de se rendre à l’atelier du professeur de sculpture de l’Ecole des Beaux-Arts, Mr Fabisch ; celui-ci s’intéressa au sort de ce jeune homme et le recommanda à Mr Bouvard et Audibert qui dirigeaient son ancienne Maison d’Art religieux. D’un commun accord le prix de l’heure de travail fut arrêté à 0, 50 centimes, avec tolérance pour le jeune Suchetet de s’absenter de l’atelier afin de suivre régulièrement les cours de l’Ecole des Beaux-Arts. C’était là une solution inespérée et qui conciliait toutes choses.

Dès les premiers jours d’Octobre, l’Ecole des Beaux-Arts installée au palais St Pierre, ouvrait ses portes. Suchetet apporta alors une somme de travail considérable, de 15 à 16 heures par jour, menant de front ses occupations journalières aux Ateliers Bouvard et Audibert ainsi que ses cours de l’Ecole. Plus d’une fois ce pauvre jeune homme ne mangea pas à sa faim, à tel point que ses patrons s’en aperçurent et lui furent, parfois, partager leur propre repas.

“ Toutefois “, nous dira Suchetet “ je me sentais quand même heureux, parce que je poursuivais mon but et je ne recherchais aucun plaisir, ni aucun agrément, en dehors de mes études ; j’avais la tête toute remplie de mes projets, et , quand je recevais une bonne parole ou quelques encouragements , cela suffisait amplement à me faire oublier la peine et le mal que je m’étais donnés “.

Aussi est-ce avec de telles dispositions, qu’à la fin de l’année scolaire, Suchetet remporta deux seconds prix : Académie et Anatomie, dont il s’empressa par l’intermédiaire de son père, de faire remettre les deux médailles à Monsieur le Baron de Vendeuvre, conseiller général du Canton. Celui-ci fit un rapport à Mr le Préfet de l’Aube et l’Assemblée Départementales vota, au jeune élève, une bourse annuelle de 800 frs pour lui permettre de continuer ses études à Lyon.

La deuxième année scolaire s’accomplit dans des conditions matérielles bien meilleures car cette bourse que lui accordait le Conseil Général de l’Aube, permit à Suchetet de se consacrer presque exclusivement à ses seules études ; aussi son succès fut-il éclatant, car, en fin d’année il se voyait attribuer les quatre premiers prix de sa section : Académie – Anatomie – Composition et Ornementation, avec l’espoir d’entrer directement à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris.

Mr Fabisch, son professeur de sculpture, aurait bien désiré conservé ce bon élève dont il appréciait déjà les mérites et l’employé à son atelier de modèles de statuaire religieuse ; il s’en ouvrit à Suchetet mais ce dernier ne tenait pas à se spécialiser dans cet Art, il se sentait autre chose et voulait à tout prix continuer ses études.

La séparation du Maître et de l’élève fut émouvante. Au matin du départ du jeune Suchetet, Mr Fabisch lui dit :

“ Mon ami, je regrette beaucoup que vous me quittiez, mais je vais vous faire quelques recommandations. Vous allez entreprendre une grande carrière, je souhaite qu’elle vous réussisse. Vous serez, certes, amené à accomplir de gros efforts. Ne vous surmenez pas trop. Je vous engage surtout à bien soigner l’animal avec lequel vous faites voyage en ce monde. Quant à vos succès je les apprendrai toujours avec grand plaisir ; n’oubliez jamais vos amis et vôtre ville de Lyon “.

Ils se séparèrent et Suchetet revint, déjà chargé de lauriers vers son pays natal, vers son département dont il n’avait pas trahi la confiance.

Dès son arrivée, Suchetet rencontre un bienveillant accueil chez Mr le Baron de Vendeuvre qui lui annonce que sa pension serait augmentée ; on fêta ses premiers succès en famille ainsi qu’aux Ateliers Moynet, et, après quelques semaines de repos, le nouveau candidat à l’école des Beaux-Arts de Paris, avec les plus belles espérances dans l’âme, prenait, cette fois, la route de la capitale.

C’est en 1875, à l’ouverture des cours que Suchetet se rendit à l’école des Beaux-Arts, à l’Atelier de Mr Cavelier à qui le Baron de Vendeuvre l’avait recommandé.

Après avoir rempli les rites burlesques auxquels doivent se soumettre les nouveaux élèves d’un atelier, Suchetet se mit hardiment au travail, en composant une figure.

“ Je ne cherchai pas “, me disait-il, “ à faire une belle étude qu’à montrer mes connaissances de la nature, c’est à dire du corps humain, tant par l’anatomie que par l’établissement des plans afférents à chacune des parties du corps “ ; et cette première étude eut le don de plaire, non seulement aux anciens de l’Atelier mais aussi au grand Maître Mr Cavelier.

Quelques mois après son arrivée à Paris, Suchetet prenait part, pour la première fois, au concours de place qui devait consacrer son admission définitive à suivre régulièrement les Cours aux Beaux-Arts.

Il fut classé cinquième sur cent concurrents environ. Puis à quelques mois de là, il obtenait une troisième médaille d’Académie, ce qui l’exemptait des épreuves semestrielles et lui donnait le droit de suivre les cours de l’Ecole jusqu’à l’âge de 30 ans.