2 - L'Aéronautique dans le département de l'Aube (1936)


AEROSTATION

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AU PREMIER AGE DE LA MONTGOLFIÈRE

Qui pourrait relater combien d'enthousiasme suscita, chez les uns, cette nouvelle découverte de la montgolfière, alors qu'elle apporta tant d'effroi dans l'âme fort naïve de certains autres.

A Gonesse, l'aérostat, qui venait d'atterrir le 27 août 1783, à 5h. 45 de l'après-midi, fut considéré comme un monstre antédiluvien. La foule, tremblante de peur, l'assaillit à coups de pierres, de fourches et de fléaux.

Le curé de la localité dut intervenir, et, après s'être approché du ballon, il rassura ses paroissiens. Ceux-ci n'en attachèrent pas moins, à la queue d'un cheval, les débris de la montgolfière, et la mirent en pièces en la traînant à travers champs.

Ailleurs, cette invention apparut comme un suprême défi lancé à la divinité. Essayer l'escalade des cieux, n'était-ce pas vouloir s'arroger des droits qui ne sauraient appartenir aux humains; aussi, pouvait-on redouter les pires catastrophes déclenchées par les dieux en courroux.

Afin de prévenir les terreurs que ne manquerait pas de provoquer, parmi le peuple, l'arrivée ou la vue des ballons, le gouvernement décida de lancer une proclamation dans toute la France.

Cet édit stipulait notamment que ceux qui découvriraient dans le ciel des globes offrant l'aspect " d'une lune obscurcie " devaient être prévenus qu'il ne pouvait être question d'aucun phénomène effrayant, mais seulement, d'une machine entièrement composée de taffetas ou de toile légère recouverte de papier; qu'en conséquence, cet engin ne saurait causer aucun mal, mais qu'au contraire, il était appelé à rendre les meilleurs services à la société.

On peut lire dans le journal de Troyes et de la Champagne méridionale, du mercredi 19 octobre 1783, une lettre turque d'Osmin Gerra à son ami l'Iman Kiffa Ajack.

Elle révèle, d'une façon singulière et en même temps la plus imprévue, les sentiments qui boulversèrent cette âme musulmane, dès l'apparition des premières montgolfières.

Je ne saurais, tant elle est suggestive et originale, résister à l'impérieux désir d'en publier quelques fragments. Cet écrit paraît avoir une certaine analogie avec les lettres persanes de Montesquieu.

L'auteur s'en est-il inspiré ?

Aux lecteurs, d'en tirer les déductions qu'il leur plaira.

De Paris, le 27 de la lune de Shawal, dans la 1196 ème année de l'hégire

Je l'ai assez longtemps habitée, pour prévoir les maux qui vont tomber sur l'empire des " croyants ", cette ville immense et sans égale, où je vis aujourd'hui, gracieux Kiffa-Ajack ! Ces Français, parmi lesquels je passe depuis deux ans mes jours entre les sciences et les plaisirs, me font une peur continuelle avec leurs Arts que nous faisons bien d'en négliger l'usage.

Ce peuple étonnant ne voit rien dans la nature qui soit sacré pour lui. Ses philosophes lui calculent, avec l'exactitude la plus sévère, la marche de ces globes de feu que le Créateur dirige sous la voûte de son trône; et les deux luminaires du ciel n'oseraient, sans eux, faire un pas de plus dans l'immensité des sphères.

Ils ont arraché la foudre des mains du tout-Puissant, l'ont forcée à descendre sur une verge de métal et à se perdre dans le centre de la terre.

Mais ce que l'audace des mortels n'avait point encore tenté, ils l'entreprennent - Ils veulent escalader les cieux ! - Bientôt ils disputeront au Dieu de gloire l'empire de l'Univers !! Les plaines éthérées se peuplent de chars volants, de globes plus légers que l'air qu'ils pénètrent. C'est sur ces machines fragiles qu'ils planeront au-dessus des étoiles.

J'ai été témoin, la semaine dernière, de l'intrépidité curieuse de deux de ces êtres étonnants qu'on nomme ici " Physicien (1) "... juge du délire auquel ils se livrent. Un peu de fumée d'une odeur "foetide " obéit à leur volonté et lance au-dessus d'eux, dans le séjour des vents, ces voitures de nouvelle fabrique... Nos harems, ces murs épais et élevés dont ils sont clos, ces êtres imparfaits, qui jour et nuit y surveillent, ne garantiront pas la race d'Ibrahim de l'affront d'être trahis et de la pétulance des Français !! Sur ces globes aériens, ils fondront, avec la rapidité de l'oiseau de proie, dans ces asiles de l'ennui qui va s'envoler à leur approche.

Nos belles étonnées souriront à leur audace (2), accoutumées, dans l'esclavage, à briguer auprès d'un seul maître l'honneur honteux du mouchoir ! Mille " amans ", mille esclaves brûlant d'amour à leur pieds, leur sembleront une nouveauté si précieuse, qu'elles n'hésiteront point à céder !!...

Je les connais ces hommes " entreprenans "; notre Prophète lui-même ne déroberait pas, à leurs attaques audacieuses, les divines Houris qu'il destine, dans une autre vie, aux plaisirs éternels des vertueux musulmans.

S'ils en conçoivent l'idée, ils iront, au delà du firmament, les arracher des bras paternels du chef des " Croyants "!!!

Qui peut deviner ce qui résultera d'une invention qui met le quatrième élément dans la dépendance de l'homme!... s'il atteint, dans l'art d'asservir l'air, la perfection que ses premiers succès lui promettent, alors, plus de sûreté dans les propriétés, les clôtures sont superflues, les enceintes où l'on enchaîne les gens nuisibles sont impuissantes, l'innocente vestale qui se dérobe, dans un cloître, aux pièges du siècle, au tumulte de ces sens, n'échappera plus aux tentatives de l'audace et des passions. Tous les calculs, toutes les marches de la tactique moderne ne " garantiront " pas une armée terrestre de l'invasion d'une phalange aérienne. La navigation va devenir un art inutile ! - les " ballons " d'air précéderont toujours et remplaceront, sans doute, nos meilleurs voiliers.

La face de l'Univers change, tout est " bouleversé ".

Gémis avec moi, sage Iman, et conjure le Prophète d'écarter, de nos bords, des présages aussi funestes !

Cependant donnes-en avis à la Sublime Porte. Fais que le Divan (3) adopte des sentiments pacifiques. Tout retentit, en ce pays fortuné, des acclamations de la Paix, qu'un roi bienfaisant vient de donner aux deux mondes. Chacun le bénit, tandis que le démon des combats souffle la discorde près des rives du Bosphore ! - Moi, je ne puis m'empêcher d'admirer et de redouter un peuple qui, d'une main, dirige les évènements de la Terre, et de l'autre, saisit au sein du ciel même, une portion du pouvoir de la Divinité !

Ton ami : Osmin Gerra.

Certes, cette lettres est fort amusante, mais aussi, combien significative. C'est presque une prophétie qui, de nos jours, trouve sa réalisation dans l'apparition de l'avion. Bien curieux cet Osmin Gera ?...



MONTGOLFIÈRES ET AÉROSTATS

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POUR la première fois, le 23 mars 1784 (4), s'élèvent à Troyes deux montgolfières, à proximité de la cathédrale et en présence

d'une grande affluence.

L'une d'elle épouse la forme d'une grenade de 12 pieds (5) de diamètre et va s'abattre dans les fossés, près du moulin de la Tour; l'autre, de forme ronde, qui mesure neuf pieds de diamètre, se perd dans les nuages et finit par tomber à Argentolles, dans la propriété de M. Cuissin, tout auprès de la route de Brienne. MM. Faytou, fabricants de papier, de Saint-Martin-les-Langres, et Sainton, directeur du Journal de Troyes, participent au succès de cette expérience célèbre.

Un amateur ne pouvait mieux faire, au lendemain de ces deux atterrissages, que de publier une petite poésie qui, dans son ingénuité, révèle le goût de l'époque. Elle s'adresse à Mme de la Boulaye, dont le père, M. Cuissin, est propriétaire du domaine d'Argentolles, propriété où atterrit la deuxième montgolfière.

De l'amitié, de la reconnaissance,

Deux globes, en un jour, élevés sous vos yeux

Vous offrent, ô Troyens, le tableau précieux.

A la " Boublaye " ils doivent leur naissance,

C'est elle qui traça leur route dans les cieux.

Désespéré de quitter sa présence,

Le premier, dans les flots, a fini ses destins ;

Et l'autre, après avoir décrit un arc immense,

Sans doute dirigé par d'invincibles mains

Cédant rapidement au penchant qui l'entraîne,

Rend hommage à sa souveraine,

Et s'abaisse dans ses jardins.

La seconde manifestation aéronautique eut lieu le 2 avril 1784.

Un ballon de forme irrégulière, de 30 pieds de hauteur, et d'un diamètre de 17, fut lancé, à 3 h. 28 de l'après-midi, cour du Chapitre de l'église Cathédrale. Il s'éleva à environ 1200 toises (6) pour tomber sur un peuplier, dans le parc du Château des Cours !

Cette montgolfière était construite en diverses espèces de papier, sous la direction d'un notaire, d'un chanoine, d'un professeur et d'un élève de l'école de dessin (7).

Le 4 avril 1784, trois sociétés d'amateurs organisèrent dans l'enclos de la fabrique d'indiennes du sieur Geoffroy-Prieur, au faubourg Croncels, une réunion de bienfaisance avec départ de trois aérostats de 12, 10 et 9 pieds de diamètre. Les ballons s'élevèrent à une grande hauteur, poussés par un vent N.E. Le plus petit des trois prit feu et tomba à moitié consumé à un kilomètre de distance. Cet incendie causa une certaine réaction parmi le public, qui vit là un danger.

On craignait le risque d'incendie dans la ville, avec ses maisons construites en bois, ou bien dans les pays environnants, les fermes et les habitations étant couvertes en chaume.

Aussi le bailliage prit-il, le 15 avril 1784, l'arrêté motivé reproduit ci-contre (8).

Cette ordonnance du bailliage n'était pas faite pour encourager les amateurs ou les sociétés de notre ville à lancer des montgolfières, et puis, à cette époque, il n'y avait pas d'hommes, à Troyes, assez enthousiastes pour se risquer à naviguer dans les airs.

Certains préférèrent taquiner les muses; ainsi un Troyen, M. Courtois, dans un petit conte Le Ballon, qu'il écrivit le 13 octobre 1784 (9), fait figure de moraliste, non sans un certain esprit d'à-propos, en voici le récit :

LE BALLON

Un globe de papier enrichi de peinture,

Allait, avec son gaz, saluer l'éternel.

Lunettes sur le nez, dans sa grave posture,

L'astrologue jurait qu'il n'était rien de tel !

Et qu'un jour, l'on verrait notre faible nature

Aller faire visite aux habitants du ciel !

La machine élevée entrouvrait l'atmosphère

Et s'élançait tout haut, pour arriver tout bas.

Mais quel malheur ! le globe, au séjour du tonnerre,

Se crève et, par degrés, laisse échapper son gaz.

Décline de son poids, tombe sur la bruyère,

Roule, bondit au loin et de vent se remplit.

Père de grands esprits, systèmes et conquêtes,

Leur sort, dans cette chute, est pleinement écrit.

Quand vous les concevez, le gaz est dans vos têtes;

Faut-il exécuter ! Ah, messieurs les savants !

Ce sont de beaux ballons, qu'on voit jouets des vents!...

PENDULE MONTGOLFIERE

(Collection Pierre de Montgolfier)

On trouve aussi, dans les archives de la bibliothèques, un manuscrit intitulé Jeannot physicien (10) ou la chute du ballon. C'est une œuvre naïve et peu importante; toutefois, elle mérite d'être signalée, ne serait-ce que pour indiquer combien, à cette époque, les esprits étaient subjugués par l'apparition de ces montgolfières (11) alors considérées, par beaucoup, comme des engins de sorcellerie !

Voici le thème de ce poème : Jeannot aime Suzon et l'enlève dans le ballon du sieur Vitriol; à l'atterrissage, " Le Guet " met l'embargo sur les fugitifs qui sont pris pour des sorciers et " vont être pendus ". Mais ils sont reconnus. Tout s'arrange, et Jeannot épouse Suzon.

Il faut maintenant attendre l'année 1794 pour voir de nouveau s'élever à Troyes une montgolfière; elle prend essor, à l'occasion d'une grandiose cérémonie consacrée à " l'Être suprême " (12). - Symbolisant le globe terrestre, elle s'élance dans l'infini pour porter les voeux du peuple à la Divinité.

Nous sommes au 20 prairial, an second de la République (13). " Au lever de l'aurore, une musique guerrière se fait entendre à l'aspect de l'astre bienfaisant qui vivifie la nature... " (14)

A une heure de l'après-midi, la trompette perce les airs, les tambours battent, le canon tonne et tout annonce une marche des citoyens vers le " boulingrin " (15) où se dresse l'autel de la liberté.

Un immense cortège, suivi de la statue de la liberté et des tables où sont inscrits les Droits de l'Homme, portées par huit hommes costumés à l'antique, s'engage dans la rue " Notre-Dame " (16), tourne les " Quatre Vents " (17), l'Étape au Vin " (18), descend l'Hôtel Dieu, passe sur la place du " Temple dédié à l'Être suprême " (19), sort par la porte des " Sans-Culottes " (20) et prend le chemin du " Boulingrin ".

Le Président de la commune, Bouillé, préside la cérémonie. Autour de l'autel de la Liberté se sont rangés : la municipalité, les magistrats, les fonctionnaires tenant de gros épis de blé mêlés à des fleurs et des fruits, et les comités de surveillance des sections entourés des quatre âge : l'enfance ornée de violettes, l'adolescence, de myrthe, la virilité, de chêne et la vieillesse, d'olivier.

A six heures, un silence profond règne de toutes parts. Le Président, tenant deux flambeaux, s'écrie d'une voix retentissante :

" Peuple tu ne peux douter que ce que tu vois, que ce qui t'étonne est l'ouvrage de l' "Être suprême ". Il faut être Lui, pour avoir conçu ce sublime ensemble. Descends dans ton cœur et tu seras convaincu de son existence immuable; apprends qu'il est l'ami de la vertu et de la sagesse et qu'il est l'ennemi des méchants. Peuple, en ton nom je proclame et lui envoie ton vœu : Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme "

A sept heures, le Président Bouillé présente le flambeau sous la montgolfière, autour de laquelle sont inscrits ces mots : " A l'Être suprême ". Quelques instants après, il s'écrie : " Image du globe qu'habitent les mortels, porte à la Divinité leurs vœux et leurs hommages ".

A ce moment, l'aérostat s'agite, part et monte majestueusement vers la voûte céleste. A ce spectacle, hommes, femmes, enfants, vieillards sont très émus; les jeunes filles toutes vêtues de blanc, aux ceintures tricolores, jettent, dans les airs, ce qui leur reste de fleurs; toutes les âmes s'élèvent vers la voûte azurée, on s'embrasse avec attendrissement et le dernier cri des citoyens est " Vive la République et que ce vœu s'élève jusqu'au trône de la Divinité. "

C'est par un feu continu et le roulement du tambour que l'artillerie termina cette fête, qu'un temps calme et serein a rendu l'une des plus brillantes qu'aient été célébrées dans notre cité.

AN II, 20 PRAIRIAL (8 Juin 1794)

Reconstitution de la cérémonie consacrée à " l'Etre Suprême "

M. Albert Babeau, dans son Histoire de Troyes et de la Révolution, commente ce fait de la façon suivante :

Cette fête, malgré quelques détails empreints du goût faux et déclamatoire de l'époque, était de nature à émouvoir les âmes, parce que, pour la première fois depuis six mois (21), elle leur avait parlé de l'immortalité de l'âme et de l'existence de Dieu.

Les cérémonies, dont quelques-unes rappelaient celles des anciennes processions, avaient été ordonnées de manière à frapper l'imagination. On espérait ainsi faire oublier le culte ancien, par les pompes et l'éclat d'un culte officiel nouveau, on oubliait que toute religion a besoin de tradition et de mystères.....

Le ballon, qu'une mise en scène "puérile " envoyait vers la Divinité n'était qu'un " triste emblème " d'une philosophie animée d'intentions élevées, mais dont le souffle fut impuissant à produire les résultats bienfaisants qu'elle avait rêvé !....


Louis GoDARD

Il m'est permis de regretter que cet historien n'ait eu qu'une vue purement objective en ce qui concerne le départ de cette montgolfière, qui a cependant clôturé cette journée dans une atmosphère d'apothéose !

Quels pouvaient bien être les sentiments du peuple, à l'issue de cette cérémonie, quand l'aérostat s'éleva, dit le récit, " majestueusement vers la voûte céleste. "

Pour en juger, il est indispensable de ce placer dans l'ambiance du moment, c'est-à-dire en 1794, et de considérer que la montgolfière n'avait fait jusqu'alors, dans notre ville, que quelques apparitions.

D'ailleurs, l'un de nos compatriotes, M. Gueignard, qui avait assisté, le 1er décembre 1783, aux Tuileries, au départ de Charles et de Robert, nous donne son impression par la narration qu'il fait de cet événement, dans le journal de Troyes, du 2 décembre 1783.

On ne saurait, dit-il, s'imaginer l'état d'immobilité dans lequel les six cent mille spectateurs ont été plongés, tant ils étaient saisis d'admiration.

L'ascension s'est faite avec une pompe et une majesté dont on n'a pas l'idée. Le soleil répandait sur cette machine une magnificence qui ravissait, on eut cru voir des Dieux environnés des rayons de la gloire qui remontaient au céleste séjour. Pardonnez-moi cette expression, mais il n'est pas un spectateur qui n'ait été émerveillé.

A la stupéfaction causée par le mélange de surprise, de crainte et d'admiration ont bientôt succédé les applaudissements réitérés. On ne les voyait plus, qu'on avait toujours les yeux fixés sur l'endroit où ils avaient disparu. L'imagination se portait avec eux dans la vaste région de l'air, il semblait qu'on ne tenait plus à la terre et l'on était fâché de s'y retrouver. Tel est le spectacle pompeux qui a étonné tous les savants. J'en donne ici une trop faible esquisse, pour ne pas regretter que mes compatriotes n'en aient pas été témoins...

Lors de la cérémonie à l'Etre suprême, la montgolfière se présentait donc sous un jour assez mystérieux, C'était un globe tout environné d'un indéfinissable symbolisme qui s'élançait vers l'infini, dans cet inconnu où nul Troyen, jusqu'à ce jour, n'avait encore osé pénétrer et où l'on place généralement le séjour des Dieux.

Il n'est donc pas surprenant que le citoyen Président Bouillé et son comité aient cherché à frapper l'imagination populaire en donnant tout l'apparat convenable et presque rituel, au départ de 30 cet aérostat qu'ils présentèrent comme le messager du peuple vers la Divinité.

Cette scène ne me paraît pas aussi " puérile " qu'on pourrait le penser de nos jours, car cette ascension suscita un enthousiasme indescriptible qui se termina par d'attendrissantes effusions.

Que cette montgolfière se fût élevée majestueusement, rien de plus naturel, les ballons ne tiennent-ils pas, sous leur charme, même de nos jours, les spectateurs qui assistent à leur départ; qu'elle eût été considérée, à cette époque, comme un symbole de médiation entre le peuple et la puissance divine, je ne saurais m'en étonner et je conçois difficilement qu'elle ait été un " triste emblème " d'une idée philosophique, fût-elle même très élevée, car le ballon porte en lui une majesté indéniable qui rend son envolée vers l'immensité des cieux toujours très impressionnante.

En confiant cette idée à mon camarade Charles Favet, par son burin d'artiste, il en a fait ressortir le caractère à la fois original et historique.

***

Les années qui vont s'écouler ne donneront pas encore, aux Troyens, la satisfaction d'assister à l'impressionnante envolée d'un ballon " monté ". Cependant, des lancers de montgolfières de petite dimension ont-ils lieu, malgré l'édit du bailliage déjà vétuste, lors de différentes fêtes organisées dans notre cité et dans le Département.

L'un de ces départs se signale par son originalité.

Le 24 octobre 1830, le physicien Siegmann se propose de présenter, au public troyen, une sensationnelle attraction (22), aussi, le journal de Troyes et Champagne annonce-t-il qu'une montgolfière s'éleva place des Jacobins, au cours de cette journée.

Cet aérostat doit emporter deux animaux vivants placés dans une petite barque, le tout soutenu par un parapluie accroché au lieu et place de la nacelle. Dès que le sphérique aura atteint une altitude de 1000 toises, le parapluie se détachant, les animaux descendront sans danger.

Voilà une application originale du parachute (23) et à laquelle 31 nous ne saurions songer de nos jours, ce précieux engin ayant fait de tels progrès qu'il pourra bientôt soutenir un avion et lui permettre d'atterrir sans encombre.

Il peut se faire que nos concitoyens aient été vivement intéressés par le spectacle de ces animaux atterrissant sains et saufs, grâce au bienveillant parapluie; toutefois, on ne signale, à Troyes, le départ d'aucune " machine aérostatique portant avec elle une ou plusieurs personnes " pour employer les termes de l'édit du bailliage.

Nos braves Troyens seraient-ils, par hasard réfractaires à l'idée d'escalader le ciel, puisque c'est un parisien, Louis Godard, qui viendra en 1854 offrir le spectacle, dans notre ville, du premier départ d'une montgolfière " montée ".Mais auparavant, le 24 septembre 1851, à Châlons-sur-Marne, un ballon s'élève inopportunément emporté par un vent violent coup de vent et vient descendre tragiquement dans notre département, sur le territoire de Villy-le-Maréchal. Voici le récit de cette déplorable aventure :

L'ascension (24) d'un ballon avait été promise dans le programme des fêtes de Châlons-sur-Marne qui ont eu lieu le 24 septembre 1851. Dès trois heures du matin, ce ballon " Le Majestueux ", cubant 2400 mètres, après avoir été gonflé dans l'usine à gaz, en présence de M. Vagny, architecte de la Ville et de MM. Cordier, Boyard et Sans, l'un propriétaire et l'autre gérant de cette usine, s'est échappé pendant le trajet de l'usine à l'hippodrome, par suite d'un violent coup de vent.

MM. Merle, aéronaute, et Aubert, chimiste préparateur de M. le professeur Barral, du Collège de France, se trouvaient dans l'aérostat pour commander les manœuvres par suite de l'extrême difficulté de l'opération.

Voici une lettre de M. Aubert adressée à l'un des propriétaire de l'aérostat, dans laquelle il rend compte des tristes incidents de son voyage et de sa descente dans le département de l'Aube, entre Saint-Jean-de-Bonneval et Villy-le-Maréchal, le 24 septembre 1851 :!

" Lancés dans l'espace, sans ancre et sans girouette, il nous était difficile d'admettre de descendre de suite, à cause du vent qu'il faisait. Un motif encore plus puissant nous retenait, c'était l'obscurité. Nous nous décidâmes à attendre le point du jour, le vent qui soufflait du Nord ne nous faisait pas craindre d'être poussés hors de France.

" Il y avait un danger dans notre position, c'est que le ballon n'étant rempli qu'à moitié devait nous élever à une hauteur de 5500 à 6000 mètres où nous serions inévitablement exposés à un froid approximatif de 15 à 20 degrés, surtout pendant la nuit.

" Aussitôt que le ballon eût été gonflé, nous ouvrîmes la soupape une quinzaine de fois de suite pour arrêter sa marche et nous faire redescendre. M. Merle, souffrant du froid, s'enveloppa d'une petite bâche et se mit au fond de la nacelle. Quant à moi, je m'accoudai sur le bord 32 de la nacelle cherchant à distinguer quelque lumière de villes qui pût me guider sur la marche du ballon.

" Je venais de refuser à Merle de prendre son bonnet de coton comme étant plus commode qu'un chapeau, lorsque me sentant pénétré par le froid, je lui demandais s'il ne voulait pas descendre un peu. Il ne me répondit pas. Je lui pris le bras, il était sans mouvement. Je le crus frappé d'une attaque d'apoplexie. Il n'y a qu'un instant que j'ai cru trouver la cause de cet évanouissement. Merle devait être en sueur quand il est parti et le froid l'avait saisi sans qu'il eût suffisamment conscience de sa position.

" Je me pendis aussitôt à la corde de soupape pour descendre au plus vite et, au bout de trois quarts d'heure environ, je prenais terre, presque sans secousse, dans un pré à quatre lieues de Troyes, entre Saint-Jean-de-Bonneval et Villy-le-Maréchal (25).

" Je continuai à frictionner Merle pendant quelques instants, car la nuit et le brouillard étaient si intenses que je ne savais de quel côté me diriger. N'obtenant rien de mes soins, d'ailleurs très insuffisants, et entendant chanter le coq, je cherchai et je découvris une ferme dont le propriétaire, très obligeant, vint de suite prendre mon compagnon tandis que je m'occupais de chercher un médecin.

" Pendant une heure et demie, j'ai fait tout mon possible, aidé par les soins intelligents du fermier, pour rappeler Merle à la vie; tout a été inutile et quand le médecin arriva, le membres étaient déjà raides, mon compagnon n'était plus.

" I. AUBERT ."

Les obsèques de l'infortuné aéronaute Émile Merle eurent lieu à Villy-le-Maréchal, le vendredi 26 septembre, et l'emplacement où il repose est toujours existant dans le petit cimetière de cette commune.

En 1853, Coste, l'aéronaute de l'hippodrome et des arènes nationales à Paris, se propose de gonfler à Troyes un ballon, " Le Montgolfier ", mais ne réussissant pas à trouver les capitaux nécessaires pour l'organisation de cette ascension, il y renonce.

En présence de cette apathie générale, la presse se plaint amèrement du manque d'initiative des habitants de Troyes. Elle regrette de voir échouer ce projet alors que tant de villes ont déjà été témoin du départ d'une " Montgolfière montée "; nul doute, dit-elle, que ce spectacle ait conduit dans nos murs, par de nombreux " trains de plaisir ", une foule considérable de spectateurs.

Mais l'année suivante, Louis Godard (26), vient en notre ville prendre le départ à bord de sa montgolfière et voici le récit que donne de cet événement l'Almanach de Champagne et Brie :

Le 26 mars 1854, la population était réunie dans la vaste enceinte de la " halle aux vins " (27). La curiosité était vivement intéressée. La municipalité, pour clore dignement les réjouissances de la foire avait voulu donner aux habitants le spectacle nouveau d'une ascension aérostatique.

Le temps semblait favoriser l'expérience; l'air était calme et tiède, agité seulement par une brise légère. Les dames occupaient, en magnifiques toilettes, la droite de l'enceinte réservée. Toutes les notabilités de la ville et du département s'y trouvaient réunies. Au dehors, une immense population s'était privée de cartes d'entrée, comptant, avec raison, que les percepteurs de droit ne pourraient dépasser la toiture de l'édifice.

On avait demandé deux heures de préparatifs, il y en avait près de trois d'écoulées et les choses ne marchaient pas.

Louis Godard allait et venait, paraissait contrarié et mécontent; il bourrait force gerbes de paille sous son immense montgolfière qui ne se gonflait pas à son gré.

Pour comble d'ennui, l'aérostat se trouva tout à coup entamé par un coup de vent sur une largeur de plus d'un mètre. On appelle le tailleur pour recoudre immédiatement cette déchirure. Tout cela prend du temps et prolonge le malaise de la foule impatiente. On murmure les mots de " parti pris ", de "comédie jouée à l'avance ".

M. le Maire de Troyes, dans une intention toute bienveillante, s'approche de l'aéronaute et lui dit : " Quelles que soient les conventions faites, si vous voyez le moindre danger, ne partez pas ". Soyez tranquille, répond Godard, je saurai bien faire ce qu'il faut et tout aussitôt, il bouleverse son monde, fait retirer le tailleur, accroche la nacelle et change de costume, tout cela fut l'affaire de quelques minutes.

Il se place dans la nacelle, commence à s'élever graduellement et prononce le sacramentel " Lâchez tout " A cet instant, la montgolfière qui planait doucement sur les spectateurs, s'élève avec la brusque rapidité de l'aigle emportant sa proie. C'est à peine si l'oeil peut suivre dans les régions inconnues où elle va se perdre. On la voit toujours au sein des nuages et l'on attend, avec anxiété, de quel côté le vent pourra la diriger.

Tout à coup, un craquement semblable à un tonnerre lointain se fait entendre. L'aérostat s'abaisse avec une rapidité foudroyante, l'air est entré avec violence dans l'ouverture mal fermée, il a déchiré le ballon dans toute la largeur.

C'en est fait ! rien ne saurait garantir le malheureux Godard d'une mort certaine; son frère s'écrie : Oh ! mon pauvre Louis ! tu es perdu !

Mais lorsqu'on s'attendait déjà à voir la nacelle et son conducteur broyés sur les toits du voisinage, le parachute se déploie comme un ange sauveur et l'aérostat descend avec la lenteur qu'il avait mise primitivement dans son ascension.

Le ballon vient s'abattre sur le Mail de Croncels, la nacelle se prend au sommet des arbres et le malheureux aéronaute, trop heureux encore dans sa mésaventure, se trouve accroché par les pieds aux branches d'un arbre qui avoisine la caserne (28).

Les voltigeurs du 12e léger s'élancent avec rapidité, dégagent aussitôt M. Godard et sa nacelle et le font descendre sain et sauf au milieu de la promenade.

Il nous serait impossible de rendre les péripéties de cette scène émouvante. A l'aspect du danger imminent de l'aéronaute, les femmes poussent des cris, les hommes se précipitent pour tâcher de conjurer le malheur. Tous les cœurs sont oppressés d'avant ce péril inévitable et un immense cri de joie retentit dans la foule lorsqu'elle voit M. Godard arraché à la mort qui l'attendait.

Le dimanche suivant, dans le cour de l'Usine à Gaz, l'intrépide voyageur risquait une ascension nouvelle mais dans des conditions plus favorables et qui n'eurent pas la fâcheuse issue de la première expérience.

Quoiqu'il en soit, nous doutons fort que M. Godard soit toujours aussi heureux, l'habitude de ces hardies pérégrinations fait négliger souvent les précautions ordinaires. Et si la vigilance s'endort, le danger toujours présent fait tomber sur la tête de l'imprudent qui l'oublie, une catastrophe d'autant moins déplorée qu'elle paraît en quelque sorte avoir été recherchée.

Ainsi se déroulèrent les deux premières ascensions en " ballon monté " dans notre ville. Bien que le témoin de ce récit ait exprimé un doute sur la chance future de cet aéronaute, notons que Louis Godard, au cours de son existence, accomplit 1362 ascensions sans accident grave.

C'est vraiment un record !

On trouvera à la fin de ce chapitre la nomenclature des ascensions de montgolfières et d'aérostats effectuées à Troyes et dans le département de l'Aube, depuis l'année 1783 à 1901.

Je me contenterai de donner ici quelques récits de ces randonnées aériennes publiées par les journaux locaux de cette époque.


ASCENSION DU " LEVIATHAN " (29)

7 juin 1860


Enfin il est parti le " Léviathan ", ce géant des airs ! (30)

Il est parti au milieu des applaudissements et des bravos d'une foule immense venue de tous les points du département. L'ascension remise plusieurs fois, par suite d'un temps contraire, avait été irrévocablement fixée au jeudi 7 juin, à quatre heures du soir. Dès trois heures, la foule arrivait de tous les côtés, et, en un instant, la place du champ de foire, les promenades depuis le canal jusqu'au Château-d'Eau (31) disparaissaient sous les flots sans cesse grossissants des curieux, les toits même des maisons voisines étaient couverts de monde.

Les rues de la ville étaient complètement désertes; on eût dit que la Cité elle-même était veuve de ses habitants.

Plus de 20.000 personnes stationnaient sur la place attendant avec une anxieuse impatience, le moment tant désiré.

Ceux que des devoirs impérieux retenaient au domicile n'avaient pas voulu être privés d'un spectacle aussi important, ils étaient montés dans leurs greniers et sur le toit de leurs maisons, tenant leurs regards fixés du côté et où le ballon devait s'élever.

Les préparatifs du départ furent longs, il était six heures et rien n'annonçait encore qu'il fut prochain. Nous avouons que, lorsqu'il s'agit d'un voyage de ce genre, les moindres précautions ne sont pas à négliger; cependant, il faut le dire, on ne devait pas mettre quatre heures pour sept heures passées, aussi l'impatience éclatait-elle de toutes parts.

Enfin, vers six heures, le ciel se débarrassa complètement de nuages, le vent cessa tout à coup de souffler. Les premiers apprêts terminés, le ballon commença à se gonfler. A mesure qu'il s'arrondissait, l'émotion du public allait en augmentant; bientôt il prit des proportions colossales. Au bout d'une demi-heure, il présentait une masse gigantesque aux regards émerveillés des spectateurs. Le moment solennel approchait, l'intrépide aéronaute s'élance dans la nacelle, un amateur prend place à ses côtés, on détache les cordes; alors un frémissement involontaire court dans toute la foule, un cri part : " Lâcher ! " Aussitôt, le " Léviathan " libre, s'élève majestueusement dans les airs, entraînant, comme un aigle qui emporte sa proie, ses deux intrépides voyageurs balancés dans l'espace à une hauteur de plus de 1.000 mètres, et qui, pour répondre aux bravos qui les accompagnent, sèment, du haut des airs, une pluie de petits drapeaux.

Les regards ne les quittèrent que lorsqu'ils eurent disparu. Un quart d'heure après, ils opéraient leur descente, sans le moindre accident, dans la propriété de M. Millière, à Argentolles (à 4 kilomètres de la ville).

A huit heures et demie, M. Godard venait prendre sa part du festival donné le soir même à la halle au blé (32).


Eugène GODARD

M. Louis Godard, qui joint à une intrépidité sans exemple, des connaissances profondes, est appelé à faire faire un grand pas à une solution longtemps cherchée : la direction des aérostats. Nous ne doutons pas qu'il ne soit un jour, comme on l'a dit, le " Fulton des airs ".

Le 2 mai 1869, à l'occasion d'une fête organisée par le Comice Agricole de notre département, l'aéronaute Eugène Godard (33) , frère de Louis, s'éleva dans un sphérique, place de l'Hôtel de Ville, à Troyes.

Cette même année, à Paris, le ministère de la Guerre met le Champ de Mars à la disposition de l'aéronaute Gaston Tissandier pour y effectuer des ascensions aérostatiques au profit de M. Gustave Lambert (34) organisateur d'une expédition au pôle Nord.

MM. Gaston Tissandier et Wilfrid de Fonvielle (35) se proposent de partir dans un immense aérostat, le plus grand qui ait jamais été construit à cette époque, et dont la capacité est de dix mille cinq cents mètres cubes. La nacelle doit pouvoir contenir dix passagers et emporter deux mille kilos de lest.

Ce ballon, baptisé " Le Pôle Nord ", est en toile caoutchoutée et sa surface, d'au moins 2.500 mètres carrés.

" Le Pôle Nord " partit donc du Champ de mars, le 27 Juin 1869, pour aller atterrir à Auneau (Eure-et-Loir).

Nous n'ignorons pas que Gaston Tissandier, à la fois un savant éminent et un aéronaute remarquable, échappa à la mort dans la catastrophe du " Zénith ", alors que périrent asphyxiés ses deux compagnons, Crocé-Spinelli et sivel.

Cet atterrissage dramatique eut lieu à Ciron (Indre), exactement à l'endroit que le ballon " L'Aube " survola plus tard, lors de l'ascension de nuit des 13 - 14 Juillet 1911.

Mais nous assisterons bientôt à de remarquables et émouvantes ascensions; je veux parler des départs de ballons poste à Paris, pendant l'invasion allemande de 1870 - 1871. Leur souvenir doit être encore bien présent, je pense, à la mémoire de nos compatriotes et notre département est, à coup sûr, très honoré d'avoir accueilli et protégé les héroïques aéronautes du siège de Paris qui atterrirent sur les territoires de l'Aube et de la Marne, alors occupés par l'ennemi.

LES BALLONS-POSTE PENDANT L'INVASION ALLEMANDE DE 1870 - 71

Le gouvernement de la Défense Nationale, pendant l'investissement de Paris, avait organisé le service de la Poste par ballons libres. Ces aérostats partaient avec un chargement de lettres et de dépêches, ayant aussi à bord une ou plusieurs cages de pigeons voyageurs (36).

L'équipage du sphérique qui voguait ainsi au gré des vents, avaient pour mission, après l'atterrissage, de regagner au plus tôt et par tous moyens, la ville située en dehors de toute atteinte de l'ennemi, et désignée pour centraliser le courrier.

Le retour des correspondances était assuré par les pigeons voyageurs emportés dans le ballon et qui rentraient à Paris par la suite, nous verrons comment.

On signale que 69 ballons poste (37) quittèrent la capitale; quatre d'entre eux tombèrent en territoire occupé par l'ennemi ou en Allemagne, trois en Hollande, deux en Belgique, un en Norvège et deux furent perdus en mer.


Photo E. Guyot

Lettre envoyée de Paris, par ballon-poste, le 19 Novembre 1870

Les lettres expédiées étaient de deux sortes et d'un papier léger spécial. Il y avait la lettre ordinaire dont les quatre pouvaient être écrites par l'envoyeur, et la lettre journal qui comportait deux pages imprimées, relatant les évènements qui se déroulaient à l'intérieur de Paris, et deux autres pages, plus une colonne en première page, réservées à la correspondance privée. Ce journal pesait 3 grammes 50 c.

Pour tenir la capitale au courant de ce qui se passait dans l'ensemble du territoire, les journaux rédigeaient les faits divers sur des feuilles au format normal; en outre, nos nationaux, par un questionnaire laconique et conventionnel que l'on imprimait également, demandaient des nouvelles ou envoyaient des leurs aux parents prisonniers dans Paris investi, puis, au moyen de la photographie microscopique, toute cette rédaction était reproduite sur des pellicules infiniment réduites et dont voici les dimensions exactes : 0 m. 05 c. de hauteur et 0 m. 03 c. de largeur.

On introduisait ensuite ces pellicules dans les pennes du plumage du pigeon, et l'oiseau de France regagnait Paris (38), à tire d'ailes, apportant à chacun la joie, la douleur ou l'espérance.

On rapporte qu'un certain nombre de ces volatiles furent victimes des balles ennemies; honorons donc la mémoire des pigeons voyageurs qui, pendant le siège de Paris et en service commandé, tombèrent au champ d'honneur.

Quelques-uns de ces ballons atterrirent sur notre territoire du département de l'Aube, ou bien dans quelques communes du département de la Marne, immédiatement en lisière du nôtre.



Photo E. GUYOT

Le journal " Le Ballon-Poste " du 17 novembre 1870 "

C'est d'abord " Le Christophe Colomb " qui part, le 14 Octobre 1870, de la gare d'Orléans à Paris, à 1 heure 15 du matin.

Il atterrit le jour même, à 5 heures du soir, à Montpothier (Aube), près de Villenauxe, avec un chargement de 400 kilos de dépêches et une cage contenant dix pigeons.

Pilote : M. Albert Tissandier; Passagers : MM. Ranc et Ferrand.

Le 12 Novembre 1870, " Le Daguerre ", cubant 2.045 mètres cubes, part de la gare d'Orléans à Paris, à 9 heures 15 du matin; il est piloté par l'aéronaute Jubert, accompagné de MM. Nobécourt, Pieron et son chien.

En survolant les lignes ennemies, l'aérostat est criblé de balles par les Prussiens, ce qui l'oblige à atterrir; en touchant terre, une partie de son enveloppe recouvre le mur d'une ferme, à Ferrières (Seine-et-Marne), au nord de la forêt d'Armainvillers. L'équipage, poursuivi par les cavaliers allemands, est fait prisonnier.

Le ballon " Niepce ", 2.045 mètres cubes, qui s'éleva dans la même journée, à 9 heures 20 du matin, fut témoin des péripéties du drame qui se jouait au-dessous de lui, et ses passagers suivirent avec angoisse, l'atterrissage mouvementé du " Daguerre ".

Puis, continuant son voyage, le " Niepce " atterrissait au nord de Coole (Marne), à 3 heures 30 de l'après-midi. Il était monté par l'aéronaute Pagano, accompagné de MM. Dagron, photographe, Fernique, ingénieur, Poisot, artiste peintre et Gnocchi, préparateur.

Ces deux ballons avaient reçu mission de M. Rampont, Directeur général des Postes à Paris, d'aller établir en province un service de dépêches photo microscopiques.

L'odyssée du ballon " Niepce " est remarquable et mérite d'être rapportée.

Dès leur arrivée sur le territoire de Coole, les aéronautes avisés de la présence, à proximité, des Prussiens, empruntent blouses et chapeaux aux paysans. Ils s'en vêtent et le matériel est vivement chargé sur deux voitures; l'une d'elles a déjà quitté les lieux, quand les soudards arrivant en toute hâte, mettent en joue les nombreux habitants qui, déjà, se sont groupés au milieu de la plaine.

Le personnel du ballon s'étant joint à eux ne peut, sous son déguisement, être reconnu, et l'ennemi ne tire pas. Tandis que ces soldats s'intéressent au sphérique encore à demi gonflé, et le capturent, MM. Dagron, Poisot, Pagano et Gnocchi en profitent pour prendre la clé des champs, aussi, le hasard de la fuite les conduira-t-il à Vésigneul (Marne), tandis que M. Fernique s'acheminera vers Coole et Dampierre (Aube) où il passera seul, vingt-quatre heures avant ses camarades qui ne le rejoindront plus.

L'une des deux voitures arive sans encombre à Vésigneul, l'autre est confisquée par les Prussiens. Grâce à l'obligeance du maire de Vésigneul, M. Songis, l'équipage est caché dans la ferme, et les papiers confiés à Mme Songis qui les dissimule dans l'une des poches de son vêtement. Les bagages, amenés par la voiture, sont placés dans la grange sous des bottes de paille, à l'abri de tous regards indiscrets.

Mais à ce moment arrivent les Prussiens qui mettent la main sur une caisse quin'a pu, à temps, être soustraite aux regards. Aussitôt le départ de l'ennemi, M. Songis emmène les aéronautes à Fontaine-sur-Coole, chez M. le Curé. Mais ce dernier, craignant de voir à chaque instant apparaître les Prussiens, expédie ses hôtes par une porte dérobée, non sans leur avoir remis une lettre les commandant à M. le curé de Cernon. M. l'Abbé Darcy, curé de cette commune, reçoit les aéronautes à dix heures du soir. Ils sont exténués et dans un état lamentable, aussi s'empresse-t-il, avec sa mère, de leur donner tous les soins que nécessite leur état.

Alerte ! à minuit, on frappe à la porte; ce sont des paysans qui apportent les bagages laissés à Vésigneul et annoncent que les Prussiens sont aux trousses des fugitifs. Sans perdre de temps, M. l'Abbé Darcy se voit obligé de les congédier, il les invite à prendre la direction de Bussy Lettrée où ils arrivent le 13, à cinq heures du matin, tout transis de froid, n'ayant sur le dos, comme vêtements, qu'une simple blouse.

Partie du journal " Le Ballon-Poste " du 17 Novembre 1870, signalant le départ du " Niepce " et celui du " Daguerre "

M. le curé de Cernon, les recommandant à son tour à l'instituteur M. Varnier, celui-ci les reçoit chaleureusement, allume un bon feu, leur sert à déjeuner et fait préparer une voiture pour gagner Sompuis. Ils partent, passent dans cette localité, puis au Meix Tiercelin et à Saint-Ouen, pour arriver dans le département de l'Aube, à Dampierre, où ils sont hébergés par M. Mosment qui leur procure un conducteur avec un laissez-passer pour transport de vins. On place le matériel à l'intérieur de tonneaux vides, et en route pour Nogent sur Aube.

Dans ce pays, le docteur Bertrand les reçoit à bras ouverts et les recommande au Préfet de l'Aube, M. Lignier, alors habitant Pougy. On les engage à passer par Vendeuvre-sur-Barse, mais en apprenant que l'ennemi réquisitionne, dans cette bourgade, chevaux et voitures, il est décidé que l'on gagnera Arcis sur Aube, où nos voyageurs arrivent après avoir placé tout leur matériel, pour plus de sûreté, dans un petit village voisin.

A Arcis sur Aube, le pays est occupé par l'ennemi; descendant à l'Hôtel de la Poste, les illustres aéronautes se trouvent au milieu d'officiers prussiens. Très crânement, ils prennent place avec eux, à la table d'hôte, puis dans la nuit, leur matériel est replacé dans des caisses, et, à 4 heures du matin, le 14, notre troupe s'achemine vers Troyes.

Arrivé dans cette ville, l'équipage du " Niepce " éprouve de grandes difficultés pour se procurer chevaux et voitures, aussi est-ce M. Joffroy, un honorable commerçant de notre ville, qui va les débrouiller.

C'est le 17, à trois heures du matin, que nos intrépides voyageurs quittent la ville de Troyes en direction d'Auxerre, via Saint-Florentin. Mais à leur passage à Avrolles, ils sont immobilisés par les Prussiens qui visitent une de leurs voitures et s'accaparent d'une partie de leur précieux matériel.

Les héroïques aéronautes se réfugient dans une ferme. On les recherche pour les fusiller, ils s'évadent, gagnent une auberge, mais, noyés dans la grande affluence des consommateurs, la police prussienne perd leur trace et ne les retrouve pas.

Ils partent dans la nuit et arrivent enfin aux lignes françaises à Mont Saint-Sulpice, puis à Seignelay.

Victimes d'une mauvaise recommandation de la part des autorités françaises, s'il vous plaît ! qui doutaient que ces hommes eussent pu traverser, sans grand dommage, tous ces territoires occupés par l'ennemi, on les conduisit sous bonne escorte au Préfet d'Auxerre. Ce haut fonctionnaire ayant été avisé de leur arrivée par le Préfet de l'Aube, les dirigea cette fois sur Tours où les réclamait, d'urgence, le ministre Gambetta.

Cet homme d'État avait quitté Paris, en compagnie de Spüller, le 7 Octobre 1870, à 11 heures du matin, à bord de " L'Armand Barbès ". Piloté par Trichet, ce ballon faisait, à 3 heures un quart du soir, un atterrissage mouvementé à Épineuse (Oise), ayant à bord, outre ses passagers, 100 kilos de dépêches et 16 pigeons voyageurs.

C'est le 21 Novembre, à 8 heures du matin, que le glorieux équipage du " Niepce " parvint à Tours, y retrouvant M. Fernique, arrivé seul, le 18.

Avec une indicible émotion, je salue la mémoire de ces braves. Grâce à Dieu, et s'il faut, nous trouverons encore de ces audacieux sur la terre de France.

Honneur soit au ballon " Niepce ".

Le 18 Décembre 1870, le ballon "Parnentier ", cubant 2.045 mètres, parti de la gare d'Orléans à Paris, dans la nuit du 17 au 18, à 1 heure 20 du matin, atterrit à Gourgançon (Marne), dans la matinée, vers 9 heures.

Il porte à bord 160 kilos de dépêches et 4 pigeons. Pilote : le marin Louis Paul. Passagers : MM. Lepère et Desdouet.

Dans le même journée, le " Gutenberg ", 2.045 mètres, qui s'est élevé de la gare d'Orléans à Paris, cinq minutes après le départ du " Parmentier ", se pose, vers 9 heures un quart du matin, à l'Ouest de Montépreux (Marne). Ce ballon est piloté par M. Peruchon, accompagné de trois passagers : MM. Lévy, Louisy et Charles d'Almeida. Six sacs de dépêches, six pigeons-voyageurs ainsi que les appareils nécessaires pour la photographie microscopique, sont à bord.

La plupart des membres de ces équipages, dont M. Charles d'Almeida, se rendent à Plancy (Aube), par Salon et Champfleury, et c'est le maire, M. Alexandre Petit (39), qui reçoit les aéronautes.

Le matériel transporté par ces ballons est dirigé sur Troyes pendant la nuit, et le Directeur des Postes de cette ville fait charger, sur une diligence, les cages renfermant les pigeons ainsi que les appareils photographiques, puis, le convoi s'achemine vers Moulins par Chaource, Tonnerre, Clamecy et Nevers.

A Tonnerre (40), la voiture, sur laquelle se trouvent les appareils et les pigeons, est arrêté par un détachement de Prussiens. Le conducteur craint, à tout moment, d'être dénoncé par le bruit des pigeons qui s'ébattent dans leur cage; il se croit perdu à la pensée que sa voiture va être visitée, quand, par bonheur, survient un ordre pressant enjoignant à cette troupe de rejoindre à la hâte le gros de l'armée prussienne. Notre conducteur est donc sauvé, et la voiture peut continuer sa route et arriver, sans incident, à Moulins (41) qui n'est pas occupé par l'ennemi.

Un autre ballon " Le Duquesne ", 2.045 mètres, s'élève de Paris, le 9 Janvier 1871 à 3 heures 15 du matin. Il est piloté par le quartier-maître de la marine Richard, accompagné des matelots Lallemagne, Aymond et Chemin, détachés du fort d'Ivry; en outre, il emporte 150 kilos de dépêches et quatre pigeons.

C'est à Puisieulx (Marne), à proximité de la ferme Saint-Jean, qu'il atterrit dans cette même journée, à 3 heures de l'après-midi.

Ce sphérique offre cette particularité qu'il est doté d'hélices. Les aéronautes pensaient sans doute, par ce moyen, donner une propulsion et une direction convenables au ballon, puisqu'ils se proposaient, au départ, de gagner la Suisse !!!

Non seulement cette tentative échoue, mais les hélices gênent beaucoup plus l'équipage dans leur voyage, qu'elles ne leur sont utiles, si bien qu'à l'atterrissage, elles se prennent dans les branches des arbres, font basculer le système et occasionnent de graves ennuis au personnel du " Duquesne ".

Un " Papillon de Metz " tombé à Neufchâteau

Cette mission doit gagner le Centre de la France, ce qui l'oblige à traverser, avec prudence, une grande partie du département de la Marne, puis le nôtre qu'elle atteint, aux environs de Mailly.

Pendant le siège de Metz, en 1870, des montgolfières emportent des paquets de dépêches dénommées : " Papillons de Metz ". Chaque Montgolfière, de moyenne grandeur, est lestée de ces messages. L'une d'elles tomba à Neufchâteau, le 17 Septembre 1870. Elle contenait, entre autres, une dépêche intéressant la famille de Mme Doé dont le mari, M. Doé (42), fut Conservateur des Eaux et Forêts de notre département.

A remarquer que le " Papillon de Metz " ci-dessus, ne comporte qu'une mince feuille de papier très léger et presque transparent, si bien que la montgolfière pouvait transporter une grande quantité de ces dépêches.

Et pour conclure, qu'il me soit permis d'exalter les vertus héroïques des aéronautes du siège de Paris; n'ont-ils pas tous acquis un droit imprescriptible à notre reconnaissance. Certes, ils ont bien mérité de la Patrie.


LE PREMIER PILOTE AÉRONAUTE TROYEN

Depuis plusieurs années, M. Jules Dubois, dont le père était propriétaire de l'établissement " Aux Trois Soleils " (43), intéressait la population troyenne, par des départs assez fréquents de montgolfières.

Le 12 Mai 1878, à l'occasion d'une fête champêtre donnée dans la propriété de M. Chévreau, conseiller municipal, Jules Dubois fit partir une jolie montgolfière de sa construction. L'aérostat, pavoisé de flammes multicolores, s'éleva illuminé par de nombreux feux de bengale et au milieu du ravissement général.

Mais le dimanche 22 Septembre 1878, Jules Dubois décidait de partir seul à bord d'un aérostat et voici la relation que donne le journal " L'Aube ", de cette mémorable ascension.

Le mail Saint-Nicolas, dès deux heures de l'après-midi, était envahi. Les courses de " vélocipèdes " commencèrent pendant que l'on gonflait l'immense ballon " Le Mistral ".

A six heures, " Le Mistral " était prêt à partir. Il oscillait majestueusement sur la place. M. Dubois avait annoncé qu'il monterait dans ce ballon et le manœuvrerait; on y croyait à peine. On pensait qu'il se ferait accompagner, tout au moins, d'un aéronaute parisien. Il n'en a rien été. A six heures dix minutes, au milieu de l'émotion générale, M. Dubois monta dans la nacelle, et le gigantesque aérostat s'éleva lentement dans les airs. A sept heures et demie arrivait à Troyes la dépêche suivante :

Voyage excellent. Descente à Payns. Atterrissage très doux. J'arrive à 10 heures 30 ce soir.

Dubois fils.


Cette ascension fait le plus grand honneur au jeune et intrépide aéronaute. C'était, assure-t-on, la première ascension qu'il exécutait. Il avait tout organisé avec beaucoup d'intelligence.

A 10 h. 30, la musique est allée le recevoir à la gare, on l'a reconduit aux flambeaux jusqu'au Casino où la société récréative donnait un bal.

La retraite aux flambeaux a traversé la rue du Beffroi, la place de la Bonneterie, la rue Notre-Dame, la place de l'Hôtel de Ville, la rue de la République et s'est terminée devant le Casino où elle joua " La Marseillaise ".

Le 24 Août 1879, sur le mail Saint-Nicolas, a lieu le gonflement du ballon " La Vidouvillaise " construit par Jules Dubois. Mais un accident étant survenu au cours du gonflement, il ne part pas. Le départ eut lieu le Dimanche suivant (44), à 9 heures du soir, le ballon emportait de nouveau M. Jules Dubois qui atterrit à proximité 45 de la Ville après avoir passé de justesse au-dessus de la tour Saint-Pierre.

Au 14 Juillet 1880 (45), à Troyes, dans la cour de la caserne, a lieu le départ d'un ballon; d'autre part, une montgolfière pavoisée aux couleurs nationales, s'élève rue François Gentil.

Le 19 Mai 1884, le ballon " Ville de Bar-sur-Aube " part de cette ville piloté par M. Brissonnet. Voici le récit adressé, par l'aéronaute, au directeur du journal de Bar-sur-Aube.

Je prends la liberté de vous transmettre un petit compte-rendu du voyage aérien que j'ai eu l'honneur d'exécuter dans votre ville.

D'abord, permettez-moi de remercier la population du généreux accueil qu'elle m'a fait; j'y ai retrouvé la même sympathie, pour les aéronautes, qu'au mois de Septembre 1881.

Le gonflement, commencé à deux heures, fut terminé vers 5 heures et demie dans d'excellentes conditions.

A 5 heures 30, le lâchez tout se fit avec une force ascensionnelle de 20 kilos, et 60 kilos de lest en réserve.

Un premier courant me porte vers l'ouest, puis un second me ramène au nord, 5 heures 40, après avoir franchi le ruisseau de la Bresse, je monte à 1.000 mètres d'où je découvre une épaisse nuée vers le S.-E. et qui se dirige vers moi. 5 heures 43 : 1.100 mètres, 13°. Au-dessus du bois de la terre d'Assert, un sillon électrique déchire les nuages. 5 heures 48 : 1.500 mètres, 12°. Sur la forêt de Courtgrain, une légère brume commence à obscurcir Bar-sur-Aube, le grondement du tonnerre se fait entendre.

A 5 heures 52 : 2.500 mètres, 15°. Le thermomètres monte, la chaleur dilate le gaz et me voilà parti pour les hautes régions; les bois sont franchis entre Lévigny et Vernonvilliers, le gaz de l'aérostat se change en vapeur. 5 heures 56 : 2.100 mètres, 18°. Malgré mes prévisions, l'orage se rapproche. Après avoir franchi les bois de Ville-sur-Terre, je traverse la route de Brienne à Doulevant, près de la ferme Saint-Victor. 6 heures, sur la forêt de Soulaines dont la fraîcheur me fait redescendre à 1.900 mètres, 15°, le gaz redevient fluide, le vent est au S.-S.-E.. 6 heures 04 : 1.300 mètres, la nuée se charge d'électricité, c'est une suite d'éclairs et de coup de tonnerre, la grêle et la pluie tombent sur le ballon en imitant le bruit d'une fusillade. Le ballon tourne; espérant descendre avant la tourmente, je tire la soupape. 6 heures 05 : 800 mètres. Je survole l'étang de la Motte, dans les bois d'Humégnil. 6 heures 10 : 300 mètres. Près d'Epothémont, l'orage prend l'aérostat dans un tourbillon, et un vent furieux le jette sur les bois de Remy-Mesnil. Malgré le jet de deux sacs de lest, je suis projeté sur les arbres, l'ancre s'accroche à leur cime, brise les branches; je retombe dans une clairière après plusieurs chocs furibonds; je m'arrête environ quelques secondes, puis un nouveau coup de vent m'enlève de nouveau sur un autre taillis. Enfin, la plaine est devant moi. J'espère m'y arrêter. Mais non ! Après un traînage de près de deux kilomètres, je suis précipité dans la noue d'Armance, petit ruisseau grossi par les pluies où je reste pendant 15 minutes, l'eau jusqu'aux aisselles et par une pluie diluvienne.

Enfin, un jeune homme d'Epothémont, M. Joseph Petit, vint me retirer de ce bain forcé, à 6 heures 40. Il attacha la corde d'ancre à un gros peuplier et je pus alors sortir de la nacelle fort contusionné. Nous commençâmes à dégonfler le ballon et, aidés par les personnes présentes arrivant de tous côtés, le matériel fut plié et ramené à Epothémont.

A 9 heures 30, je prenais le train à Valentigny, et à 11 heures, je débarquais à Bar-sur-Aube, très fatigué mais sans blessures.

La descente s'opéra sur le territoire de Louze, aux confins de l'Aube et de la Haute-Marne.

E. A. BRISSONNET fils,

Aéronaute.

L'un des aéronautes du " Pôle Nord ", M. Wilfrid de Fonvielle, accomplit à Troyes une ascension, à bord du " Bolide ", le 14 Juillet 1885.

Cet homme de science, doublé d'un publiciste remarquable, écrivit de nombreux ouvrages scientifiques (46) et s'intéressa, d'une façon très active, à l'aérostation qu'il entendait vulgariser par ses nombreux travaux et aussi par des expériences qu'il effectuait à bord des aérostats.

Et la ville de Troyes peut-être très honorée d'avoir accueilli ce grand savant, cet illustre aéronaute, au 14 Juillet 1885.

Ce jour-là, les journaux annonçaient que d'importantes expériences, organisées par les soins de l'Académie d'aérostation et de météorologie de Paris, seraient réalisées de 3 heures à 5 heures, à bord d'un ballon captif, sur le boulevard Victor Hugo que l'on inaugurait au lieu et place du mail Saint-Nicolas.

Mais, par suite d'un fort grain annoncé venant du Nord, les expériences furent supprimées alors que le vent commençait à s'élever, et le " Bolide " prit librement son essor à 4 heures 05, emportant MM. Wilfrid de Fonvielle, Thibaut et le docteur Deneuve.

" Le Petit Troyen ", encore bien jeune à cette époque, publia, de cette ascension, le récit suivant rapporté par l'un des aéronautes.

L'aérostat s'élève lentement poussé par un vent W. Un tourbillon nous eût rabattu sur le sol, sans le jet de deux sacs de lest; à 4 heures 35, nous atteignons l'altitude de 3.700 mètres. Nous apercevons la pluie dans la direction de la forêt de Chaource et de gros nuages chargés d'électricité nous font redouter un orage qui ne se déclare pas.

La descente s'effectue à 5 heures 20 entre Rouilly-Saint-Loup et Rouillerot, facilitée par le concours d'une population bienveillante. Au cours de l'ascension, nous avons lancé des pigeons appartenant à un colombophile havrais, et à la descente, nous lâchons ceux du colombier de MM. Guillard et Defraignes, de Troyes.

Plusieurs personnes qui avaient eu l'heureuse pensée d'accompagner le ballon, nous offrirent une place dans leur voiture et notre retour s'effectua, d'une façon charmante en leur société.

Une tentative de fondation de société aéronautique a lieu à Troyes, au cours de l'année 1887. M.P. Delorme, 51, rue du Temple, à Troyes, lance à ce sujet plusieurs appels dans la presse, mais ses efforts ne sont pas couronnés de succès.

A Bar-sur-Aube, le 6 avril 1890, s'élève une montgolfière " La Vaillante ", sous la direction de M. Henri Lecomte, capitaine d'aérostation. Le gonflement de l'aérostat s'opère dans la cour de l'usine de M.E. Lambert, ingénieur mécanicien, au moyen d'un feu de sarments très secs (ne sommes-nous pas au pays du Champagne ?) brûlant dans un four de briques construit à cet effet.

A quatre heures, la montgolfière s'élève majestueusement emportant le jeune aéronaute. La descente se fait, vingt minutes plus tard, sur un terrain dépendant de la ferme Moslin, lieudit " Dardenne ", à proximité de la route de Chaumont.

Au 14 juillet 1892, sur le boulevard Danton, à Troyes, c'est le départ du ballon " Le Danton ", 1000 mètres cubes, que pilote M. Juste Camelin, de Paris, accompagné de M. Louis Nopper qui reçoit, en ce jour, le baptême de l'air.

L'assistance est nombreuse, et " Le Danton " s'élève à 5 h. 45 pour atterrir, à 7 heures 10, au sud de Longpré, en lisière de la forêt de Bossican.

Des pigeons voyageurs du colombier Linart (47), emmenés par les aéronautes, furent lâchés au cours de ce voyage.

L'ascension de Louet, au 14 juillet 1901, termina cette première période de l'aérostation, aussi, allons-nous maintenant assister à Troyes, à la naissance du Club aéronautique de l'Aube.

Le premier essai de descente en parachute eut lieu avec des animaux lancés du bord d’un aérostat et qui atterrirent dans d’excellentes conditions. Mais c’est l’aéronaute Jacques Garnerin qui utilisa, pour la première fois, le parachute en sautant lui-même dans le vide, le 22 octobre. Quittant à la première femme parachutiste, ce fut E. Garnerin qui accomplit de nombreuses descentes dans toutes les capitales de l’Europe.

(1) Il s'agit de Pilâtre de Rozier et de Giraud de Villette, qui venaient de s'élever à une altitude de 300 pieds.

(2) A l'étonnement succède, de nos jours, l'enthousiasme, et nos belles, elles aussi audacieuses mais confiantes, s'élancent dans l'espace à la remorque des glorieux chevaliers de l'air.

(3) Conseil du Sultan Ottoman

(4) Renseignements puisés à la Bibliothèque, Journal de Troyes.

(5) Le pied vaut 0 m. 324.

(6) La toise vaut 1 m. 949.

(7) MM. Morey, Dupuis, Rondot et Cossard.

(8) Manuscrit Sémillard (n° 2317), t. VII, Bibliothèque Troyes.

(9) Journal de Troyes, Bibliothèque.

(10) Fin du XVIII ème siècle, on désignait, du nom fr Physicien, celui qui montait une montgolfière ou un aérostat.

(11) Bon nombre d’oeuvres d’art, vers la fin du XVII ème siècle, étaient d’une facture conforme à l’esprit aérostatique du moment, qui accaparait tous les cerveaux, par exemple : la pendule montgolfière ci-dessus, réalisée par Gille l’aîné de Paris.

(12) Religion d’Etat proposée par Robespierre et instituée par la Convention, pour remplacer le culte de la Raison. Elle eut une existence éphémère.

(13) 8 Juin 1794.

(14) Du Journal du département de l’Aube et des districts voisins.

(15) Mail des Charmilles.

(16) Rue Emile-Zola.

(17) Carrefour de la rue Turenne et de la rue Emile-Zola.

(18) Place Audiffred.

(19) Place Saint-Pierre.

(20) Porte Saint-Jacques.

(21) Auparavant, c’était le culte de la « Déesse Raison ».

(22) La montgolfière se présente parfois, sous un aspect assez imprévu, ainsi, on peut voir, à la bibliothèque municipale, une « mappemonde montgolfière » exécutée en papier de la Meuse et imprimée à Troyes en 1833.

(23) Le parachute fut inventé par l’aéronaute Blanchard qui, le premier en compagnie du docteur américain Jeffries, traversa la Manche, en ballon, de Douvres à Guines (P.-de-C.), le 7 janvier 1785.

(24) Note communiquée par M. Morin et Journal de l’Aube, Bibliothèque Troyes.

(25) D’après renseignements puisés sur place, l’atterrissage eut lieu exactement à 4 h. 15 du matin en Isle sur le finage de Villy-le-Bois.

(26) Louis Godard naquit en 1829 à Paris où il mourut en 1885. Il fit, de 1848 à 1871, 1632 ascensions et prit part, en 1863, à la construction du « Géant ». A la fin de septembre 1870, il franchit les lignes ennemies avec le ballon « Les Etats-Unis » et opéra de nombreuses descentes en parachute.

(27) Ecole Charles-Baltet.

(28) La caserne de Beurnonville.

(29) Récit donné par M. E. Brévot dans ‘L’Aube ».

(30) Cette montgolfière mesurait 22 m. de hauteur et 17 M. 50 de diamètre. Elle cubait 2.918 mètres. A la descente, quand le parachute était déployé, sa circonférence était de 69 mètres. C’est le plus gros aérostat qui se soit élevé à Troyes.

(31) A proximité de la Place Casimir-Perrier. Le Château-d’Eau figure sur le plan de Troyes (1852).

(32) Place de la Préfecture.

(33) Eugène Godard naquit à Clichy (Seine) en 1827 et mourut à Bruxelles en 1890. Il fit sa première ascension à Paris en 1846, et accomplit plus de 2.500 voyages aériens dont plusieurs sont restés célèbres, par exemple : l’ascension de « L’Impérial » pendant la guerre d’Italie et celle du « Géant », en 1863, avec Nadar. Il s’occupa d’organiser la poste aérienne en 1870-1871.

(34) M. Gustave Lambert vient à Troyes le 7 mai 1868 , exposer ses projets d’exploration au pôle, par le détroit de Behring.

(35) M. Wilfrid de Fonvielle fera, à Troyes, un départ en ballon, en 1885.

(36) M. Prosper Derouard, de Paris, fut l’un des plus dévoués collaborateurs du Directeur des Postes et Télégraphes, pendant le siège de Paris en 1870. Il fut, dans la suite, élu Président de la fédération Colombophile de la Seine.

(37) Le tableau de ces départs dressé par MM. Théodore et Gaston Mangin, est exposé dans le salon d’attente de sous-secrétariat des Postes, à Paris.

(38) Pour prendre connaissance du contenu de ces pellicules, elles étaient projetées, dans une salle obscure, sur un écran, à la manière du cinéma actuel.

(39) Après enquête, il m’a été permis de déterminer la route suivie par les aéronautes et d’authentifier leur présence à Plancy, car Charles d’Almeida remit sa carte de visite à M. Alexandre Petit. Ce document, qui donne une relation succincte des buts de cette expédition, est la propriété de M. Henri Morcel, petit-fils de l’ancien Maire de Plancy.

(40) Episodes de l’occupation prussienne, par L. Saussier, Bibliothèque de Troyes.

(41) D’après les indications portées sur la carte de visite de M. d’Almeida, ces équipages auraient eu pour mission de se rendre à Bordeaux.

(42) M. Doé, qui habite toujours notre ville, m’ayant ouvert sa bibliothèque et sa riche collection d’enveloppes et de lettres emportées par ballons-postes, en 1870-1871, il m’a été permis, grâce à son obligeance, de me documenter d’une manière précise.

(43) L’Etablissement « Aux Trois Soleil » était situé à proximité du territoire de Troyes, à l’extrémité de l’actuelle rue des « Trois-Soleils » et de la rue Dubois, finage de la Chapelle-Saint-Luc.

(44) M. Morel-Payen, bibliothécaire honoraire de la Ville de Troyes, assista, étant enfant, à ce départ, et me précisa le nom de ce ballon.

(45) C’est en l’année 1880 que fut célébrée officiellement, pour la première fois en France, la « fête nationale ».

(46) Parmi ses oeuvres fort nombreuses, on peut citer : « Les merveilles du monde invisible », « La conquête de l’air », « L’électricité et les ballons », « Le ballon sonde », « L’espion aérien », « Les grandes ascensions maritimes », « L’astronomie moderne », « La conquête du Pôle Nord », « Le monde des atomes », etc...

(47) Troyes fut toujours un centre important pour la colombophilie. Plus tard, au 10 août 1913, nous serons témoins, cour de la gare des marchandises, d’un fameux lâcher de 7.000 pigeons-voyageurs, organisé par la Fédération Colombophile de la Seine, avec le concours des sociétés locales : « Le Messager Troyen » et la « Poste dans relai ».

On peut citer le doyen des membres de la Société « Le Messager Troyen », M. Edmond Baloche, qui, pendant onze années avant la guerre de 1914, confia régulièrement les pigeons de son colombier, aux aéronautes troyens.