Par manque d’éducation de l’oreille, la plupart des gens considèrent que le domaine sonore se milite à la musique – et encore ne reconnaissent-ils qu’une partie de la musique (il faudrait dire : des musiques) et n’entendent-ils qu’une partie de la musique qu’ils écoutent (surdité partielle, insensibilité à certaines fréquences, etc.). Or, même si on exclut les recherches techniques, le domaine du son est plus large que ça.
Dans le cadre du mail-art, nous retiendrons les aspects suivants : poésie sonore, musique, audio-art, radio-art, et les moyens qui servent à les communiquer : performances, concerts, disques et cassettes. Il faudrait encore y ajouter les transmissions de données (sonores et informatiques), puisqu’on peut les entendre.
Nous verrons plus loin comment le son est un des moyens d’expression artistique utilisés par les mail-artistes. Ceux-ci ont en commun avec les autres artistes du son, d’essayer de toujours reculer davantage les limites du domaine du son et de son utilisation à des fins artistiques. Il est important d’insister sur le fait qu’ici, le son est considéré comme art.
D’un point de vue historique, nous retiendrons trois sources qui ont été d’un apport certain au mail-art.
Déjà le futuriste italien Luigi Russolo [209] préconisait l’utilisation des bruits comme matière première de la création musicale ; il concrétisa ses recherches dans un ouvrage, « L’arte dei rumori » (1913), et dans des instruments « bruiteurs » et Russolophone. Ces travaux ont sans doute influencé certaines recherches ultérieures (musique industrielle, …).
Dans les Fluxevent, une place était faite aux performances sonores et musicales (Ono, Cage, La Monte Young, etc.), aux objets sonores (Nam June Paik) et autres inventions. Il a semblé intéressant à leurs auteurs d’en garder une trace, et donc de les enregistrer. On retrouve cet aspect dans le festival « in memoriam Georges Maciunas » ; la pochette du disque qui en est témoin [ ?] nous apprend la volonté des organisateurs, à savoir que « par ce festival, nous pouvions enfin réunir des artistes de New York, Toronto, Montréal, Québec, pour tâter le pouls des pratiques signifiantes autour du son. Ainsi, cette ‘série d’expérimentations performatives articulées autour du son avec des intégrations multiples et variées, avec d’autres formes d’expression’ a permis la rencontre de gens de la génération Fluxus (Higgins, Knowles) avec des artistes d’une autre génération qui pratiquent dans le même esprit. » [210]
Enfin, la troisième source incontestable est la musique punk, et toute la culture qui s’est développée autour de celle-ci. Au sein de la nouvelle vague (« new wave ») qui s’est manifestée ces dix dernières années, elle est sans doute la seule à avoir constitué un apport en énergie, en renouvellement et en dynamisme, dans la morosité du climat musical actuel.
POÉSIE SONORE
« Le langage a des richesses de timbres que l’orchestre ignore, ce qui prouverait que la nature même de l’instrument buccal, en amplifiant ses dons, ne peut pas faire autrement, pour enrichir ses timbres, que d’avoir recours à ceux des bruits. (…) Il n’est aucun bruit que l’instrument laryngo-buccal ne puisse imiter par le moyen de consonnes et de voyelles appropriées. » [211] Cette phrase de Russolo, citée par Arthur Pétronio [212], indique le principe qui est à l’origine de la poésie sonore. Parmi les textes qui permettent de se faire une idée de la poésie sonore, il faut citer « Verbophonie » et « Quelques conseils pour le metteur en voix » [213] de Pétronio, et le « Manifeste de la poésie sonore » (1963) d’Henri Chopin [214].
Pour Henri Chopin (FR), dans la poésie (sonore), « il est question de découvrir le monde, cela contre le poète stupide qui raconte sa vie » [215]. Pour lui, la poésie est liée à la vie et pas des anecdotes (même si celles-ci s’appellent Staline, Adolf ou Thatcher). La poésie sonore et les audio-poèmes mêlent le travail de la voix et l’électronique. H. Chopin travaille sur les phonèmes [216] et sur les vibrations sonores (dans le corps humain). L’électronique permet de capter et d’amplifier ces phénomènes ; sans les manipulations électroniques, les oreilles n’entendraient pas les « empreintes vocales » [217].
Arrigo Lora Totino précise que « la poésie sonore est un phénomène artistico-littéraire d’avant-garde qui toque de plus en plus à la porte de la culture officielle. D’autre part, d’Europe en Amérique et au Japon, le nombre d’auteurs qui partent de la poésie écrite pour arriver à la poésie composée pour être écoutée augmente et envahit un domaine considéré comme réservé à la musique. À ceci correspond, de l’autre côté, l’intérêt croissant que les musiciens accordent au monde sonore de la parole, aspect parmi d’autres d’un processus qui tend à faire disparaitre les frontières entre les disciplines artistiques : théâtre, danse, mime, poésie, musique, arts plastiques se rejoignent dans des happenings, « events » et performances qui semblent être le prélude à une possibilité future de synthèse des arts. » [215]
« La poésie est pré-textuelle ; un poème comme ‘Poema Larsen’ (de G. Fontana) va au-delà de la voix » [218]. La poésie sonore est « une écriture qui ne laisse pas de traces visibles, mais qui se fait entendre » [218]. Le micro sert à écrire dans l’invisible. En référence à Roland Barthes, pour qui le texte est une figure de notre propre corps érotique, Fontana note que « le plaisir de sa propre gestualité se fait matériel signifiant », par lequel se marquent « les ondes/spectre des mots : squelette du sens, chair de la sensualité » [218].
Dans la poésie sonore (peut-être par opposition à l’audio-art), une place importante est accordé au travail sur le mot parlé envisagé comme son. « Ce qui compte aujourd’hui pour le poète sonore (…), c’est l’harmonie ou le contraste phonétique des mots entre eux. » [219] C’est la découverte d’un instrument –le son– qui permet d’amener la poésie à son paroxysme. Le poète sonore oppose « la violence naïve de son propre discours » [219] à la violence du mon qui nous entoure, e.a. celle de la banalité quotidienne [220].
Autres éléments importants dans la poésie sonore : le son et le souffle et leur interactions, tels qu’exprimés par Ilse et Pierre Garnier (FR) dans leurs travaux sur la « sonie », cette idée du son qui rend l’énergie sonore. P. Garnier écrit : « J’appelle poésie la connaissance du souffle. (…) À partir de ce souffle, je puis réinventer une langue, des sons vont naitre, des articulations, des mots, des ensembles nouveaux qui ne sont plus des phrases fondées sur la trinité indo-européenne : sujet-verbe-complément. [221] Il s’agit d’inventer ‘une autre langue, une autre pensée’, c’est-à-dire ‘réinventer un monde et (me) réinventer’ » [221 + 222].
« La poésie sonore a précédé la musique dans l’invention de méthodes de notation nouvelles et plus souples. ‘Parole in libertà’ et ‘Zang Tumb Tuuum’ de Marinetti (…) proposaient déjà la transformation du texte poétique en partition optophonique (= visuelle/phonétique) et théâtrale. » [222 ?] On pense également aux partitions des musiciens contemporains (Cage, …) et à la présentation visuelle des poèmes sonores : notation sur une partition ou recherche sur la mise en page, la typographie, etc. [223]. Néanmoins, Enzo Minarelli (IT) préfère les « schémas d’exécution » aux partitions jugées trop proches de la musique, parce qu’ils permettent une meilleure prise en considération des problèmes techniques, de temps, de mécanique d’enregistrement [224].
La poésie sonore est particulièrement vivante aux USA et en Italie, moins en France. Parmi les poètes sonores américains, citons Bliem Kern, fondateur à New York, en 1973, du « Sound Poetry Workshop » et créateur d’un langage poétique synthétisé, le « ooloo », Beth Anderson, qui pratique les collages (« cut-ups »), et Charles Amirkhanian (Cal), un des premiers à avoir tenté une approche électronique de la poésie sonore, en utilisant le studio comme outil de composition afin de créer des « paysages textuels » (wordscapes) [225].
En Italie, Ubaldo Giacomucci accorde une grande importance à la multimédialité dans la poésie. « Another Mountain of Needles », p.ex., joue sur le paradoxe de l’interaction vocale d’une citation musicale (il s’agit en fait du « détournement » d’une citation) [226]. E. Minarelli insiste sur le retrait du « sens », tout en constatant le problème posé de la « communication » : l’élément « information » est plus vital que jamais. Il est donc indispensable de s’exercer à garder tous les sens en éveil constant, puisque « les choses qui se passent » sont sensibles dans les faits minimes ; ainsi, Minarelli recommande l’écoute de son « Neotonemi per campane e fruscii » en 45 tours et en 33 tours [224].
Outre la série des 45 tours « 3 Vi-tre » (depuis 1983), qui tracent un panorama des pratiques significatives en poésie sonore, E. Minarelli a également contribué à faire connaitre ce type de poésie par le 33 tours « Voooxing Poooètre » (1982), qui présente les nouvelle relations et connexions dans l’usage déjà répandu de la voix, et a présenté le terme « polipoesia » (polypoésie), c’est-à-dire une poésie sonore ouverte à l’inclusion d’autres médias. Il faut également citer des revues de poésie comme Offerta speciale, qui proposent quelquefois des numéro de poésie sonore, sur cassette, tel le numéro « Pâté de voix » (1985), présentant principalement des poètes italiens interprétés par C. Bertola, A. Vitacchio, etc..
Il y a aussi des labels qui n’appartiennent pas aux réseaux mail-art et qui publient des cassettes ou des disques où on retrouve de la poésie sonore, de l’audio-art, du son … [227]
Les festivals de poésie sonore et les performances en public permettent de voir la différence entre le fait de lire un texte écrit et une poésie conçue pour être expérimentée en public. On retrouve des traces de ces performances de poésie sonore, non seulement sur des supports sonores, mais aussi sous forme de photos, de vidéos. Certaines formes de théâtre se rapprochent également de la poésie sonore, par le travail sonore réalisé à partir du texte, voire l’absence de texte et l’expression du contenu de la pièce uniquement par le son. [228]
La poésie sonore trouve aussi sa place dans des manifestations consacrées à la poésie en général. [229] Plus rares sont les manifestations régulières ouvertes à la musique d’avant-garde ou aux réalisations expérimentales, qui ouvrent leur programmation à la poésie sonore ou à l’audio-art. [230]
CASSETTES ET DISQUES
L’idée s’impose de plus en plus, non seulement dans les milieux alternatifs, mais aussi dans les milieux de consommation culturelle : d’ici peu d’années, il restera sur la terre 5-6 compagnies discographiques (« major companies ») qui, avec leurs filiales, contrôleront la quasi-totalité du marché du disque.
Depuis plusieurs années déjà, les milieux de consommation culturelle nationaux (France, Belgique, etc.), les sociétés de droits d’auteur et, dans une certaine mesure, les musiciens et chanteurs eux-mêmes, appellent de leurs vœux des mesures protectionnistes, afin de « sauver » un marché culturel national (comme si ce nationalisme avait un sens !).
Les fabricants de disques stigmatisent l’usage de la copie privée (rendue aisée par l’augmentation du nombre de platines-cassettes). Chaque disque copié est pour eux un disque dont la vente leur échappe : « Private copy is killing business, and it’s easy » [230bis], indiquent certains sur les pochettes de disques.
Il y a quelques années déjà, les réseaux alternatifs et mail-art actifs dans les domaines de la musique et de la manipulation des sons, ajoutaient à cette proposition : « let’s do it ». C’est facile et il faut le faire ! En effet, pour eux, l’avenir est plein d’espoir : en l’an 2000, il y aura, à côté des 5-6 major companies fabriquant des stars comme d’autres fabriquent des hamburgers, des centaines, voire des milliers de petits labels indépendants produisant –en petite quantité certes– des dizaines de cassettes ou disques chacun. Il y a un marché à conquérir : celui des gens qui aiment écouter des musiques ou des sons (où est la différence entre ces deux mots ?) curieux, originaux …
Dès son apparition, en 1977, le mouvement punk réagissait avec violence contre les pratiques sclérosées du show-business. La virulence des musiques et des paroles [231] s’accompagnait de la mise sur pied de nouvelles pratiques : préférence donnée aux petits labels plutôt qu’aux sociétés commerciales « pourries », petits labels éphémères alliant spontanéité, dynamisme et anarchie, prix imposés sur les disques (« pay no more than x £ for this record » [232] ou invitation à voler le disque ou le fanzine s’il est vendu trop cher), etc..
Il devenait indispensable de diffuser les informations sur les productions de ces labels, d’où lacréation de nombreux fanzines parallèles à ces labels, et la création de réseaux de distribution indépendants, de magasins spécialisés, etc..
La plupart de ces labels punks restent néanmoins au niveau de la production de disques (principalement des 45 tours). Mais déjà, un certain nombre de groupes enregistrent des démos dans leur garage ou leur cave, et les envoient à quelques amis et connaissances. À nouveau, il y aura interconnexion entre ces circuits et les réseaux mail-art.
Bien vite, on se rendra compte dans divers milieux des avantages des cassettes : il suffit de deux platines cassettes pour pouvoir faire des copies [233], les tirages peuvent être très réduits (quelques cassettes …), le prix de revient d’une cassette est peu élevé ; bref, la cassette permet de diffuser sa musique (son son) sans qu’il soit nécessaire d’investir beaucoup d’argent. Une cassette est aussi moins fragile et s’envoie plus aisément par la poste qu’un disque. Les disques resteront pour des productions plus ambitieuses, plus « luxueuses » (si on peut dire) ; un produit apprécié [234] dans tous les cas.
Des groupes fréquentant les réseaux mail-art réaliseront un disque après avoir fait plusieurs cassettes. Certaines compilations reprenant des groupes d’un pays [235], d’une région, ou des groupes divers [236] se feront également sur disques.
MUSIQUES
Il y a l’éternel malentendu qu’il faut dissiper : faire comprendre à l’auditeur que Laurie Anderson n’est pas une musicienne de rock, mais bien une « performer », une artiste visuelle qui s’exprime également par le son, par la musique, et réalise des disques avec ce matériel ; lui faire comprendre que du radio-art ce n’est effectivement pas de la musique, etc..
Tout a commencé dans les années 70, par des mail-artistes qui s’envoyaient des cassettes qu’ils avaient enregistrées eux-mêmes, comme moyen de communication auditive. Puis il y a eu l’influence très importante de la vague punk et du punk-rock : une réaction très marquée à la musique rock hautement sophistiquée et « dégénérée » des années 60 et du début des années 70. Comme la réaction partait de gens très jeunes, sans expérience musicale et sans entrainement, elle a donné lieu à une « musique » qui n’est pas basée sur les mêmes conventions de qualité, de rythme, d’écriture musicale, mais qui est l’expression des idées des jeunes chômeurs ; d’où la naissance d’une « esthétique » punk, provocante et outrageuse, qui se manifeste par les vêtements, les cheveux, les accessoires qui visent à choquer. [237]
« Grâce à l’explosion punk, le mail-art recevait une nouvelle impulsion : des labels de disques indépendants sortaient du sol, la musique était soudain régulièrement produite sur cassettes, et la presse underground connaissait une renaissance. De nouveaux périodiques et fanzines, faits par et pour les jeunes, voyaient le jour. » [95]
Des labels punk, comme No Wonder Records (GB) ou Theorical Records (GB) utilisent les réseaux mail-art pour diffuser leurs disques. Des slogans provocateurs, du genre « Play it loud ! » (jouez-le très fort !) sont repris par d’autres pour d’autres types de productions. Un groupe comme Quite Ridiculous Nonsens (CA) parsème la pochette de son 45 tours de recommandations du style « impressionnez vos amis : achetez ce disque ! », « ne payez pas plus de 500 $ »(canadiens), « ne laissez pas ce disque à la portée des enfants », etc. [238].
« Lorsque l’enthousiasme que le punk avait amené s’est éteint, il y a eu une nouvelle évolution (qui s’est marquée) au début des années 80. » [95] De nouvelles possibilités –e.a. techniques (matériel simple et peu cher)– se sont créées. Parallèlement, Willem de Ridder (NL) a conçu une émission consacrée aux petits labels, aux home tapers et aux collages sonores sur la VPRO [239] et tout un réseau de radios communautaires et d’universités s’est développé en Amérique du Nord. Les groupes occasionnels ou qui font une musique inintéressante, disparaissent rapidement, parce qu’ils ne reçoivent pas ou presque pas de réponses dans le réseau. » [240]
En gros, en ce qui concerne les genres de musiques, il y a, à côté d’un faible courant de musique contemporaine, une évolution du punk-rock vers la musique industrielle (influence de Throbbing Gristle, 23 Skidoo, etc.) quelquefois très pure [241], d’une part, vers la cold-wave (généralement tonale et qui rappelle la musique planante) [242], d’autre part. Ces deux branches se rejoignent actuellement dans une musique électronique tonale, plus gaie (électro-pop) ou moins triste … [243].
Souvent, les home tapers sont plus fascinés par les sons bizarres que par la musique. « À force de recevoir, pendant des années, tant d’inputs, on s’habitue aux choses les plus folles. » [95]
Les productions sont quelquefois très rudimentaires ; elles sont réalisées avec un enregistreur à cassettes, un micro et un ou deux synthétiseurs, mais ne manquent pas d’intérêt. C’est le cas, p.ex., de Jean-Louis Costes (FR) et son home label Costes Cassette. Certains vont même jusqu’à réaliser des exemplaires uniques : quand on le leur demande, ils recopient quelques-uns de leurs morceaux sur une cassette et l’envoient à leurs amis … [244].
« Le home taping se pratique dans des cercles qui sont dispersés de par le monde, mais restent restreints. En Belgique, il y a peut-être 50 personnes qui le pratiquent. Il existe peut-être 2000 exemplaires des cassettes les plus diffusées. » [245] Les genres de musiques que jouent les home tapers sont divers : cela va du « sadomasochisme musical, où « le chanteur s’égosille, la sono joue tellement fort que cela fait mal, qu’il faut sortir » [245] à la musique minimale ou à une heure de bruits de rue ou de « musique ménagère ».
« La plupart des enregistrements peuvent être considérés comme des enregistrements instantanés, des témoignages. » [245] Ils ont toujours quelque chose à dire : à côté de productions extrêmes, comme celles de Club Moral (BE) ou de Jupitter-Larsen –chez qui le sadomasochisme est un symbole de répression morale dans le monde [246] –, il y a, p.ex., l’« APF-Brigade, en Grande-Bretagne : des punks végétariens qui sont pour la libération des animaux. Ils essaient de diffuser leurs idées au moyen de cassettes, concerts, badges et magazines. Les ‘Baderpop-Groep’ néerlandais sont également fort différents ; ils font une musique de danse électronique. » [245]
D’un point de vue technique, on est passé d’enregistrements « live » (en public), de piètre qualité, à des enregistrements réalisés dans de petits studios. La qualité d’enregistrement et de reproduction est certainement un facteur apprécié actuellement.
Si la plupart des productions sont réalisées de façon très simple, il y a aussi des productions plus luxueuses et qui ne sont pas toujours des productions mail-art, tel ce coffret SNX [247] qui se veut le témoignage des pratiques significatives en matière de nouvelles musiques populaires.
À côté des cassettes et disques reprenant uniquement les morceaux d’un groupe et produits par le groupe lui-même ou par son petit label indépendant, on trouve des compilations reprenant un ou parfois plusieurs morceaux de différents groupes d’un pays ou de plusieurs pays. Les groupes envoient leur participation sur un thème, le label s’occupe de réunir tous les envois sur une bande-mère, de reproduire celle-ci, généralement sur cassettes, de faire une jaquette et d’envoyer un exemplaire à chaque participant ; les non-participants peuvent acheter ces productions. Certains labels, comme Man’s Hate (GB) [ ?] travaillent presque exclusivement avec des compilations ; d’autres en ont une production importante : Fraction Studio (FR), Insane Music (BE) [248], etc..
On trouve aussi des disques ou des cassettes accompagnés ou accompagnant un livret ou des documents en rapport avec le contenu du support sonore [249]. Dans le même genre, il y a les magazines sonores, composés d’un livret et d’une cassette (parfois un disque) et qui paraissent à intervalles réguliers [250]. Citons la série des Area Condizionata [251] (IT) et Objet Sonore (BE). Certains de ces magazines sont conçus comme numéro unique, comme Notte Rossa, paru sur Trax (IT) en 1982, compilant musique, bruitages, textes et images ; ou Intrendent Fansette, sorti par MAM Aufnahme Ffm (DE) en 1986 et présentant 59 groupes sur 3 cassettes, et les documents s’y rapportant en un livret, le tout compris dans un boitier en vinyle semblable à ceux qu’on emploie pour les vidéos.
Certaines de ces productions tiennent de la pochette-surprise. Ainsi, la compilation « Great in Bed », réalisée par Solomonoff & Von Hoffmannstahl (NJ-US) : « une grande enveloppe décorée, comprenant les participations graphiques (Wilderjans, Gustav-Hagglund, Kierspel, Jupitter-Larsen, P. Jesgarz, H. Mittendorf, …) ; ensuite, une plus petite enveloppe, décorée par Gustav-Hagglund, comprenant un fouillis de coupures de 10000 dollars de la Hell’s Bank (un genre de Monopoly)qui cache un bas nylon enrobant délicieusement et avec force nœuds compliqués … un second bas nylon qui entoure une cassette » [252]. Avec « Neoist Ghosts » (1985), Trax propose une pochette contenant « une cassette, les documents qui l’accompagnent, une pochette de cartes postales et un magazine plein de mail-art. (…) La première face de la cassette (…) constitue un compte-rendu sonore du (9ème Neoist) Festival de Ponte Nossa (…). L’autre face (…) est un ‘mix’ des morceaux (de musique) envoyés par (…) » [252].
Les jaquettes des cassettes sont généralement fabriquées de façon artisanale [253], la plupart du temps en photocopie, parfois en photocopie couleurs [254]. Il peut s’agir, dans certains cas, d’exemplaires uniques : emballage de tabac à rouler (MAM Aufnahme), de camembert (Jeff Laringo/FR), pochette dessinée (Das Fröhliche Wohnzimmer/AT) ou peinte à la main (Costes) … [255]. Certains utilisent des matériaux inhabituels, comme le liège ou le carton [256], le papier de verre et les emballages récupérés d’autres produits [257], etc.. Pour la cassette « Tales from … » de T. Oldrat, Mouche Tapes (FR) présentait une boite comprenant cassette et documentation. La boite, conçue comme objet artistique, est tirée à 200 exemplaires numérotés [258]. Dans le même ordre d’idées, The Great Complotto Pordenone (IT) présentait différents types de « colis » artistiques comprenant, selon le type (normal, touristique, encyclopédique, encyclopédique de luxe), un 33 tours plus un 45 tours plus une ou plusieurs cassettes, manifeste, souvenirs, photos, cartes postales, etc. …
Enfin, il faut encore citer les cassettes-objets, qui sont soit des objets purs –c’est-à-dire qu’elles s’adressent uniquement à la vue [259]– soit des emballages particulièrement soignés (comme pour la compilation « Brabançonnes » du label Home Produkt/BE) [260]. Die Tödlische Doris, un groupe de performers berlinois qui enregistre parfois le « bruit » de ses performances [261], a réalisé un objet musical, tiré à 1000 exemplaires, sous forme d’une boite contenant un petit lecteur de disques (sur piles) et une série de huit minidisques en plastique de couleurs différentes, plus un livret.
La pratique des tirages limités et numérotés, qui est très fréquente dans ce type de productions [262], tant pour les disques que pour les cassettes et les « objets sonores », témoigne du fait que les mail-artistes considèrent ces productions comme des réalisations artistiques, l’équivalent musical des lithos et gravures. Certains groupes actuels incluent dans leur musique divers éléments ayant une consistance artistique [263].
La notion d’anti-musique ou de « destroyed music », développée par quelques mail-artistes, est également intéressante. À propos de l’anti-musique, Graf Haufen insiste sur le faut que « le concept est important » [14]. Partant de l’idée qu’il y a suffisamment de bruits dans la nature, qu’il n’est plus nécessaire de produire d’autres musiques, le travail de l’« anti-musicien » va donc consister à révéler ces bruits, p.ex. en frottant avec différents types de micros sur les mêmes surfaces, afin de faire ressortir leurs propriétés de captation respectives [264].
« Gerald X. Jupitter-Larsen, connu pour ses performances sonores, (…) insiste sur le côté positif que peut prendre la destruction. Sa ‘destroyed music’ part de ‘loops’ de bandes magnétiques composés à partir d’éléments isolés sur un disque ; il travaille également à partir de disques vierges qu’il griffe systématiquement. » [265] Hapunkt Fix, dans son « Flop project », demandait qu’on lui envoie des disques : le projet consistait à modifier la surface du disque, au moyen d’abrasifs, d’y créer des rythmes, en disposant des papiers collants sur la surface du disque, et de repeindre la couverture, avant de renvoyer le disque à son propriétaire [39].
Autre expérience qui montre les possibilités supplémentaires qu’offre le mail-art dans le domaine de la musique : Guy Schraenen (BE) a envoyé par la poste, à une série d’artistes, des cartons « imprimé d’un fragment de portée musicale. 180 d’entre eux les lui ont renvoyés, additionnés soit de notes composant une phrase mélodique, soit d’un commentaire d’ambiance » [266]. Cette partition a été interprétée à Anvers, Gand et Bruges, en 1982, et diffusée sur la BRT 3 [267].
Le fait que les musiciens mail-art ne soient pas sous contrat avec des firmes de disques permet également une autre pratique intéressante : celle de l’inclusion dans un morceau d’un groupe, d’éléments enregistrés par quelqu’un d’autre, ailleurs, à un autre moment [268]. Certains groupes, comme Human Flesh, poussent même cette pratique fort loin [269].
Autre pratique différente de celle du domaine commercial : le fait de mixer les morceaux des divers groupes participant à une compilation, afin d’obtenir un « fondu-enchainé » qui ne permet plus de distinguer qui a fait quoi ; cela devient donc une œuvre collective. De même, pour certaines productions, les indications ne permettent pas de déterminer avec précision les auteurs et les noms des morceaux.
Par le simple jeu des échanges [270], certains mail-artistes se constituent des collections importantes de productions de labels indépendants. Plusieurs en ont réuni plus de 1000, voire 1500 ou plus.
Les mail-artistes préfèrent l’échange de cassettes à l’achat ou à la vente. Certains producteurs proposent aux personnes intéressées de leur envoyer une cassette vierge et ils la retourneront enregistrée avec leurs productions.
Pour les labels indépendants [271], « il est difficile de faire comprendre aux sociétés de droits d’auteur que (ce) travail n’a rien à voir avec le business. (…) Cela ne les dérange pas du tout si (leurs) morceaux sont pillés par d’autres … ça prouve qu’(ils) avaient raison » [272]. Le travail des labels indépendants est effectivement tout à fait différent de celui des compagnies commerciales, ce que souligne p.ex. Garde au Sol Production (FR) en se définissant comme « label indépendant et subversif (qui) a pour projet de promouvoir l’avènement et l’âge d’or des anti-musiciens et des autres » [273]. Ce qui est important, c’est que la musique circule ! [274]
Pour les mail-artistes qui font de la musique, dans le respect de l’esprit mail-art, il n’y a pas de but mercantile. D’où : pas de copyright sur les morceaux, pas de groupes sous licence sur un label, mais bien : des groupes qui participent à des compilations sur plusieurs labels, des jaquettes qui mentionnent les adresses des groupes afin que d’autres puissent les contacter, des groupes qui apparaissent sur plusieurs labels dans plusieurs pays, etc..
Dans le cadre d’échanges, certains labels vont même jusqu’à envoyer une copie de la bande-mère et une provision de jaquettes de leurs cassettes à d’autres labels pour qu’ils puissent produire eux-mêmes ces cassettes, etc. [275].
Il est évident que rares sont les magasins de disques qui vendent ce type de productions [276]. C’est pourquoi, les mail-artistes ont créé leurs propres services de distribution, qui sont souvent liés à leurs labels, à leurs fanzines, etc., et utilisent, pour la diffusion des catalogues, les réseaux mail-art. Certaines associations, comme Front de l’Est (FR) ou Cause and Effect (In-US), se sont spécialisés dans ce type de distribution [277].
AUDIO-ART, RADIO-ART
Audio-art, radio-art et poésie sonore ont en commun le fait qu’ils s’adressent à l’ouïe, tout en n’étant pas de la musique.
Ils seront donc diffusés par divers moyens propres à la diffusion du son : disques, cassettes, émissions de radio, mais aussi expositions et concerts-performances.
,Donner une définition exacte de l’audio-art est chose difficile. Il s’agit d’une forme d’expression artistique jouant exclusivement sur le son –tout en se distinguant, dans son esprit comme dans sa forme, de la musique– et réalisée selon divers procédés : collages, traitement au moyen de divers procédés techniques, etc..
« De plus en plus, ‘audio-art’ est le terme qui est utilisé pour distinguer la formule qui combine musique et non-musique de celle de ‘nouvelle musique’. (…) Le but est, en fait, d’illustrer graphiquement une idée ou un concept, de faire une image avec du son. Beaucoup d’audio-artistes ont abandonné les instruments de musique, pour se tourner vers la manipulation de bandes, afin de façonner des sons, à partir de sources existantes, dans un travail de composition. » [278]
Les sources historiques de l’audio-art sont la musique concrète et la poésie sonore. Actuellement, « la manipulation de bandes magnétiques a amené une forme populaire d’audio-art, à savoir le ‘collage sonore’. Le collage sonore est un montage de bruits sans rapport les uns avec les autres, de voix, de sons, généralement tirés de la radio ou de la TV. » [278]
L’audio-art circule généralement sous forme de cassettes enregistrées directement par les auteurs, recopiées et diffusées en petite quantités par eux-mêmes. On en trouve quelquefois sur des compilations produites par des petits labels indépendants [279]. Ainsi, la série de « cult/aural magazine » Area Condizionata, sortie par Trax (IT), présente, parmi des morceaux de musique de divers groupes, des pièces sonores non musicales.
Il faut parler aussi du 33 tours « Mail music project by Nicola Frangione – collective work », une édition numérotée, limitée à 1000 exemplaires, compilée en janvier 83 par N. Frangione et éditée par ses éditions Armadio Officina. Cet album comprend la participation de 47 audio-artistes (dont 2 groupes) représentant 17 pays ; parmi eux, certains sont connus comme poètes sonores (Arrigo Lora-Totino, Giovanni Fontana, …), d’autres comme musiciens (Ubaldo Giacomucci, Vittore Baroni, Masami Akita = Merzbow, Gerald X. Jupitter-Larsen = The Haters, Luca Miti, Guy Stuckens = Zone Verte, etc.), d’autres encore sont actifs au niveau radio (Peter R. Meyer), performance (Sergio et Emilio Morandi, …) et divers autres domaines du mail-art.
Début 1984, Minimart Production (FR) lançait le projet « To post a tape ». Le volume 1, compilé au cours de cette année, est diffusé à 60 exemplaires, c’est-à-dire un pour chacun des 60 participants qui ont envoyé une minute de son ou de musique. Comme Minimart est proche du label Fraction Studio, on y retrouve une majorité de groupes de musique (dont la participation n’est pas nécessairement de la musique) ; mais il y a aussi des participants qui sont avant tout mail-artistes (Henryk Gajewski/PL, Teresinka Pereira/US, Guillermo Deisler/BG, Thierry Tillier/BE, etc.). Chaque année, un nouveau volume de To post a tape réunira 60 autres artistes et musiciens.
Le travail de Rod Summers (NL) doit également être mentionné. Il s’agit ici de la collecte d’archives sonores qui sont ensuite compilées sous forme de cassettes et diffusées auprès des amateurs. Sous le nom de VEC Audio Exchange, R. Summers a produit 16 cassettes-compilations de matières diverses : musiques, bruits, audio-art, …
Il est important de signaler que la plupart des audio-artistes s’expriment également dans les arts visuels. Ils considèrent que leur côté audio n’est que l’utilisation d’un autre médium (le son au lieu de la peinture p.ex.) pour l’expression de la même pensée artistique.
(De même, nous connaissons des musiciens, actifs en marge des réseaux mail-art, qui considèrent leur musique comme le prolongement naturel de leur recherche plastique.)
RADIO-ART
La radio de création touche également aux réseaux mail-art. C’est généralement sur les radios d’expression que des recherches sur le langage radio et des émissions de radio de création trouvent leur place.
Néanmoins, les pratiques radiophoniques ne rendent pas optimistes les amateurs de radio. L’uniformisation de ces pratiques fait que la plupart estiment que la radio, dans ses dimensions intéressantes, c’est terminé.
Et pourtant ! Pourtant, si le genre « news & music » tend à dominer les pratiques radiophoniques presque partout dans le monde, peut-être 50% des possibilités de la radio ont été étudiées ; quant à ce qu’on entend habituellement sur les ondes, cela représente un petit 10% …
Au départ, ce sont les dramatiques-radio qu’on considère comme création, comme utilisation créative de la radio. Mais, dans celles-ci, l’importance est de plus en plus accordée au son. Le son devient un médium malléable, découpable, mixable, transformable à souhait. Un simple texte (p.ex. un discours politique), qui a subi quelques manipulations, peut acquérir une nouvelle réalité, un nouveau sens : il s’agit là, lors de la diffusion, de l’utilisation du média-radio à des fins de création d’œuvres d’art radiophoniques.
« C’est le concept même de la radio qui est mis en cause. Les artistes et créateurs radio utilisent le médium radio comme d’autres artistes utilisent le médium à peindre ! Il ne s’agit donc plus de radio, mais de radio-art. De l’art ! » [280] Les artistes ont imaginé d’autres utilisations de la radio : de la transmission de données (informatiques) à l’exposition de sons.
À côté de rares initiatives publiques –comme l’Atelier de Création radiophonique de France Inter– et de tout aussi rares collaborations de personnes actives dans les réseaux audio-art et petits labels, avec des radios de secteur public [281], il faut signaler quelques projets comme la « Newsounds Gallery » (CFRO-FM, Vancouver/CA), animée par G.X. Jupitter-Larsen et Danill Werger, véritable « exposition de sons » sur les ondes, les performances radiophoniques de Radio Schedia, créée spécialement à cet effet par Th. Chondros et A. Katsiani (Thessalonique/GR), « Radio Network » (BE), programme international d’échange d’émissions de radio-art, les émissions « Over the Edge » sur KPFA (Berkeley/Ca-US) ou « Home Taper Show » de Joe Schmidt sur WMUH (Allentown/Pa-US) [282]. Charles Amirkhanian, qui a été parmi les fondateurs de KPFA en 1970, a réalisé « Ode to Gravity », « la plus longue série radio consacrée aux activités d’avant-garde, dans l’histoire de la radio américaine » [283].
« Parmi les programmes, on peut distinguer divers types : le montage ou collage de sons, de phrases, de musiques ; la poésie sonore, la performance spécialement réalisée et enregistrée en fonction de la diffusion radiophonique ; la performance multi-sources, qui mélange plusieurs sources sonores afin de créer un son nouveau ; le ‘scratch’ [284] non commercial ; le bruit (analogie avec la musique industrielle) ; enfin, l’émission de radio, avec présentation de musiques, de sons, d’interviews bizarres. » [280]
Les méthodes utilisées pour créer ces programmes sont diverses. Citons les bandes sans fin (tape-loops) qui permettent la réalisation de « sculptures sonore » (sound sculptures) qu’on diffuse p.ex. pendant plusieurs heures, et le « phone-art » qui emploie toutes les possibilités sonores offertes par le téléphone (tonalités, sonneries, …) [278].
Le radio-art ne se fait pas uniquement connaitre via des diffusions sur les ondes. Il y a aussi le Radio Network Show de Guy Stuckens, qui consiste en une exposition-diffusion d’émissions de radio-art dans un endroit donné ; les performances-radio organisées par Willem de Ridder NL) et, e.a., ses promenades, rallyes et visites guidées réalisés au moyen de la radio [285]. Il y a encore le « Nattövning » de Peter R. Meyer (SE), une fresque sonore du phénomène mail-art, en 10 émissions, dont les documents et le son sont entrés au Moderna Museet de Stockholm [285bis].
Il faudrait encore citer des tas de noms de mail-artistes qui produisent du son et animent une émission de radio –p.ex. Maurizio Nanucci sur Contraradio à Florence (IT) ou Rafael Flores sur Radio Andujar (ES)– ou d’autres mail-artistes qui diffusent des petits labels ou présentent des fanzines, qu’ils reçoivent par les networks, dans leurs émissions –tels Didier Moulinier sur La Vie au Grand Hertz (Bordeaux/FR), Lucien Suel sur Radio Banquise (Isbergue/FR) ou Joanna Rogers sur Trent Radio (Peterborought/Ont-CA).
À ces noms s’ajoutent encore les mail-artistes qui agissent en tant que producteurs indépendants et envoient leurs productions de radio-art à des mail-artistes qui font de la radio.
LES PERFORMANCES
Les performances n’appartiennent pas au domaine exclusif des mail-artistes, néanmoins, ce « live art » est un moyen (facile) de montrer la vie, de montrer que l’art et la vie se confondent, et aussi de rencontrer le public dans d’autres lieux que les galeries.
La plupart des lieux où les mail-artistes montrent leurs travaux (expos, concerts, etc.) sont des lieux polyvalents où des performances peuvent avoir lieu. Ces lieux sont aussi fréquentés par d’autres artistes.
Presque tous les mouvements artistiques qui ont influencé le mail-art ont utilisé les performances. Outre la réédition de performances réalisées par les dadaïstes, etc., il y a une influence plus directe des performances des Nouveaux Réalistes ou des « events » de Fluxus. Le flirt de certains milieux mail-art avec le mouvement punk entraine la non-distinction entre la performance-concert (basée sur la musique) et la performance-art (où l’artiste intervient uniquement avec son corps). De plus en plus, ce qu’on appelait « concerts » deviennent des performances multimédias où sont mêlés sons, bruits, musique, décors, images, films, vidéo, danse, etc.. L’influence du punk est déterminante dans cette évolution. Il est important de remarquer que ces jeunes artistes (15-20 ans), qui ont commencé à se produire en 1976-77, avaient « une vision de la réalité et de l’art qui était fort différente du travail d’artistes qui n’avaient que quelques années de plus qu’eux » [237]. Si une part importante des musiciens punks ont eu une formation … à l’académie des beaux-arts –au lieu des cours de solfège– cette tendance se retrouve chez les mail-artistes qui emploient la musique. C’est sans doute ce type de formation qui explique la différence dans la façon de considérer le travail devant un public. Des groupes comme Throbbing Gristle (GB) sont fréquemment cités par eux parmi les groupes qu’ils aiment. (285ter)
L’aspect « tract » ou réquisitoire des performances réalisées par les mail-artistes semble être une idée prépondérante : extravagance, prouesse [286], violence [287], boucherie [288] … Il s’agit de provoquer le public afin que son esprit réagisse comme sous l’effet d’un vaccin, lorsqu’il sera, non plus dans la mise en scène artistique, mais face à la réalité [289].
Les documents (photo, son, …) qui témoignent des performances peuvent être envoyés comme mail-art [290].
Tous les mail-artistes ne versent néanmoins pas dans ces formes « extrêmes » de performances. Citons l’exemple de G.A. Cavellini, dont les performances consistent à « écrire sa propre vie sur le corps d’un homme » [291]. D’autres expériences peuvent être citées : un artiste qui participe « spirituellement » à une rencontre de mail-artistes qui se déroule à des centaines de kilomètres de là ; un autre qui envoie, par la poste, les instructions qui permettront à d’autres de réaliser sa performance [292] ; etc..
La spécificité mail-art de telles performances peut s’expliquer par la performance de Juan d’Oultremont (BE) [293] lors du Festival Cavellini en Belgique : un des moyens de devenir « célèbre » par l’art est de participer à l’autohistorification de Cavellini, p.ex. en le tuant ; c’est cet assassinat qu’a mimé d’Oultrement.
VIDÉO-ART
Le problème de la vidéo, pour les mail-artistes, c’est le coût relativement élevé de la production, ce qui a pour conséquence le peu de vidéogrammes qui circulent dans le mail-art.
« Avec le vidéo-art, la qualité technique est variable et les normes dramatiques habituellement souhaitées sont délaissées. Bien sûr, ceci fait que les ‘professionnels de la TV’ considèrent souvent ces vidéos comme de la camelote. » [294] Néanmoins, utilisés par des artistes, des moyens très simples peuvent donner des résultats pleins de puissance artistique. Ainsi, Rafael Flores (ES) a réalisé des vidéos où il utilise systématiquement les gros plans (sur des insectes qui se déplacent) ou les plans surexposés ; les bandes-son de ces vidéos sont faites par des groupes de musique industrielle espagnols.
Parmi les genres de vidéos mail-art, distinguons « productions vidéo, documentaires, collages visuels, performances, vidéo rock, faites par des artistes de différents pays » [294]. Les mail-artistes apprécient particulièrement les vidéos pour l’archivage de leurs performances ; celles-ci peuvent ainsi voyager.
G.X. Jupitter-Larsen a réalisé une expo vidéo où aucune vidéo n’était montrée ; il a également détruit des cassettes vidéo dans une galerie … Peter R. Meyer (SE) a fait une adaptation de son Night Exercise pour la TV et ce avec la participation d’une vingtaine de mail-artistes, dont R. Summers, G. Bleus et P.R. Meyer lui-même.
Le mail-art peut encore s’exprimer par d’autres médiums. Ainsi, Hapunkt Fix et Vic Pavel (DE) ou Benedict Tisa (NJ-US) travaillent la photo ; les premiers en réalisant des collages de négatifs ou en intervenant aux acides sur des négatifs récupérés dans une firme de cinéma porno, Tisa en envoyant des photos-cartes postales. [296]
À l’image de Joseph Beuys, certains mail-artistes emploient le film (super 8, 16 mm) comme médium artistique, pour réaliser des films d’art (ce qui est différent des films sur l’art).
Certaines expositions s’adressent exclusivement aux photos, aux Polaroïds [297], aux films, aux vidéos. Certaines « chain-letters » s’intéressent exclusivement aux photos ou Polaroïds pornos.
Mail-art, ce peut encore être autre chose. Par exemple : récolter des indices de la vie d’un artiste, mouchoirs en papier, allumettes, … jusqu’à la poussière qui s’est accumulée pendant un temps donné dans sa chambre … [298]
Il y a encore l’autohistorification [188], l’autoportrait (c’est-à-dire l’image que l’artiste se construit), les objets trouvés, les voyages (« ce qui se passe lorsque des artistes se rencontrent, leurs relations avant/après » [104]), etc..