1. Chap. 1 historique

HISTORIQUE

Différents systèmes existent depuis longtemps …

Étrennes

Le patron fait croire à chaque travailleur qu’il lui remet une « bonne enveloppe » et lui interdit d’en parler aux autres. Celui qui reçoit 100 pense donc qu’il a reçu plus que les autres et ignore que son collègue a reçu 1000. Tout le monde est content, mais il n’y a pas d’exemplarité.

Tranches de mérite

Dans les années 1970, à la Sté Générale de Banque[1], existait un système de « tranches de mérite ». Une fois par an, le chef direct attribuait, à chacun de ses subordonnés, de une à quatre tranches, en fonction de son appréciation du travail accompli[2]. Ces tranches s’ajoutaient à celles des années précédentes ; en fonction du nombre total de tranches obtenues, le personnel percevait une « prime de mérite » trimestrielle[3]. Quelqu’un ayant mal travaillé se voyait retiré de une à quatre tranches. Ce système ne connaissait pas de possibilité de recours.

G d’or

Une expérience alternative au culte du secret, dans les années 80, toujours à la Générale de Banque : celle des « G d’or ». Une épinglette en or[4], attribuée aux « plus méritants » et que ceux-ci étaient invités à arborer sur le lieu de travail. L’avantage était évidemment la visibilité de ceux montrés à titre d’exemple, avec, comme corolaire, le jugement des collègues reconnaissant les « vrais » méritants des autres !

Systèmes d’appréciation

Il y a une sorte d’obsession, qu’on va retrouver jusqu’à aujourd’hui, de la part des directions et des responsables HR : pouvoir récompenser les travailleurs désignés comme étant « les plus méritants » via une prime ou une augmentation salariale ; en tenant à l’esprit qu’une prime n’augmente pas la masse salariale de manière récurrente[5]. C’est le culte des « bonus », d’autant plus qu’ils vont être encouragés au niveau de la fiscalité. Certains travailleurs se laisseront prendre à ce qui va parfois se révéler un piège …[6]

Attribuer de tels sursalaires avec un semblant d’équité, nécessite la mise en place de procédures souvent fortes lourdes dont l’application va souvent se révéler laborieuse, ce qui entrainera des adaptations incessantes de ces procédures.

Les systèmes d’évaluation se basent sur la réalisation d’objectifs, ce qui peut présenter diverses variantes (qui peuvent très bien s’additionner) :

    • Évaluation du travail normal (« tâches-clé »)
    • Évaluation d’objectifs individuels
    • Évaluation de la contribution aux objectifs collectifs (de la section, du service, …)

Évidemment, comme dans le même temps, on veut attribuer des primes substantielles « à la tête du client », à quelques privilégiés, on maintient aussi un système d’ « enveloppes », distribuées selon les principes de la parabole des ouvriers de la 11ème heure[7].

Le « projet du nouveau système d’appréciation » (appelé à remplacer celui des « tranches de mérite ») est présenté au Conseil d’entreprise, le 17/10/1985. Il y a deux grandes innovations : l’évaluation « se fera sur base d'une description des tâches et des mesures concrètes convenues entre le collaborateur et son chef »[8] (autrement dit : des objectifs) et l’instauration d’une enveloppe budgétaire, déterminée par la direction et répartie en fonction des résultats de chacun des sièges administratifs + les Services centraux, au sein de ceux-ci selon les résultats des agences et des services, et puis des membres du personnel. Le département Communication et Relations sociales tentera d’expliquer les calculs d’apothicaires qui en résultent, en distinguant les Services centraux des sièges administratifs (et, au sein de ceux-ci, les agences où s’appliquent également des primes commerciales) et des Centres électroniques ![9]

En 1988, la direction publie les « principes d’évaluation » : « Tout membre du personnel a le droit de connaitre de manière précise les missions essentielles que comporte aux yeux de sa hiérarchie, la fonction qu’il occupe (et) l’opinion qu’a sa hiérarchie sur ses prestations. Le système d’évaluation mis en place par la banque doit permettre de fournir une réponse adéquate à ces deux exigences (et) d’octroyer un complément de rémunération à ceux dont les prestations ont atteint des niveaux particulièrement remarquables en matière de tâches et/ou d’objectifs au regard de critères préalablement définis. Il suppose le respect des principes suivants : l’évaluation est un processus permanent basé sur un dialogue régulier entre l’évalué et sa hiérarchie ; ce dialogue doit être réel et franc. »[10], etc.. Plus loin, il est précisé que « chaque objectif doit être accessible, compte tenu des moyens mis à disposition (…) ; quantifiable, mesurable ou qualifiable ; considéré comme un engagement ferme. Sa poursuite ne peut mettre en péril l’exécution des tâches-clés de la fonction. »[11], etc..

Après une année de test et une année de mise en place officielle, une partie importante (2 heures) du Conseil d’entreprise du 16/6/1988 est consacrée aux nombreuses questions des syndicats par rapport au nouveau système d’évaluation. Dans ses réponses, la direction indique e.a. que « chaque année, le chef doit consacrer entre 6 et 8 h à l’appréciation de chaque travailleur »[12].

« Les commerciaux ont été mieux appréciés que les administratifs. L’appréciation des cadres est nettement meilleure que celle des employés. Le Comité de direction en a été avisé, car une telle situation ne peut plus se représenter. Le système ne prévoit pas qu’un cadre doit nécessairement obtenir une meilleure appréciation qu’un employé. Chacun, y compris les cadres, doit conclure un contrat avec son chef direct et il doit être apprécié en fonction de ce contrat. Il est impossible d’éliminer toute subjectivité de la part du chef. »

Notons que la direction parle clairement de contrat. Relevons aussi qu’elle affirme qu’ « une mauvaise appréciation doit mener à une formation du travailleur ».

Côté syndical, on pose déjà la question « pourquoi un apprécié ne peut-il apprécier à son tour son appréciateur ? ».

[1] Comme les autres principales banques belges « généralistes », la Société Générale de Banque (devenue, par la suite Générale de Banque, puis G-Banque, a fusionné avec la CGER pour former Fortis Banque, pour devenir BNP Paribas Fortis après le crash de 2008) a fortement augmenté le nombre de membres du personnel, à partir des années 1960, pour devenir le premier employeur privé du pays. Au moment de la fusion avec la CGER (qui venait d’absorber la SNCI), elle comptait 26000 travailleurs sous contrat. Fin 2014, il restait moins de 18000 personnes sous contrat, représentant moins de 16000 équivalents temps plein.

[2] Il ne s’agissait donc pas d’une évaluation basée sur la réalisation d’objectifs préalablement définis, mais d’une appréciation de la manière dont le travail normal a été réalisé. Voir annexe 5.

[3] Lors du passage à un système d’appréciation basé sur des objectifs, cette prime a continué à être payée. Elle a été intégrée, pour les personnes concernées, dans le nouveau modèle salarial, en 2007.

[4] À noter qu’une telle épinglette est plus facile à accrocher au revers d’un veston que sur un vêtement féminin …

[5] Cfr. les politiques de « réductions des coûts ».

[6] Tant que tout va bien, on touche un salaire et/ou des primes très élevés, mais arrive une crise comme celle de 2008 et on se retrouve avec le salaire minimum du secteur !

[7] St-Matthieu, Évangile, chapitre 20, verset 1 à 16.

[8] G-Information, n° 1985-17, 17/10/1985.

[9] G-Information, n° 1986-7, 20/6/1986.

[10] Encart dans G-Information n° 1988-16, 24/11/1988, entièrement consacré à l’ « Appréciation du personnel ».

[11] Idem.

[12] Générale de Banque, procès-verbal du CE du 16/6/1988. Idem pour les citations suivantes.