Systèmes d’appréciation du personnel : de récompense aux travailleurs les plus méritants à système de gestion du personnel basé sur un « incentif », puis d’élément du salaire fonctionnant comme un élément supplémentaire au contrat du travail, pour en arriver à l’indépendantisation des travailleurs ?
En 2014, au sein du SETCa[1] Finances BHV, un groupe d’action avait lancé une recherche de documentation en vue d’une campagne d’information ayant pour sujet l’évaluation des travailleurs. « Si on est bien d’accord pour y voir une méthode de gestion du personnel, plutôt qu’une forme de rémunération, nous avons trouvé peu d’analyse de ce genre de systèmes. Ici en Belgique, les syndicats ont souvent réagit à des propositions patronales (éviter l’arbitraire, encadrer le système, diminuer l’impact financier et l’écart entre prime normale et exceptionnelle, ‘fixifier’ du salaire variable, éviter les mauvaises appréciations ou leurs conséquences), mais peu ou pas d’analyse. »[2]. À ce moment, le groupe avait « trouvé du matériel français récent et résolument contre (Sud prône le boycott) et du matériel américain plus ancien et favorable à de tels systèmes »[3].
Un peu plus tard, le CEPAG[4] abordait les évaluations des travailleurs dans le cadre d’une série de séminaires « Travail, précarité, résistances », e.a. lors du Carrefour syndical du 13/2/2015 « Travail, précarité, résistances : les pratiques d’évaluation des travailleurs en question »[5]. Béatrice Hibou[6] y situait les systèmes d’évaluation au sein de la « bureaucratisation néolibérale ». Quant à Sylvie Monchatre[7], elle évoquait « ce que l’évaluation fait au travail », e.a. les effets de l’évaluation sur le travail et les travailleurs.
Devant le peu de sources critiques, le présent travail se base essentiellement sur l’expérience et l’évolution chez le principal employeur privé du pays, des années 70 à aujourd’hui. On y trouvera donc beaucoup d’exemples pratiques témoignant du vécu des travailleurs.
Les archives et la documentation, compilées sur cette quarantaine d’années, comprennent divers types de documents : évaluations individuelles, documents « officiels » de la direction (journaux d’entreprise et brochures explicatives), tracts et brochures syndicales, articles de journaux et revues, études et dossiers.
À partir de là et en tenant compte des nombreux aspects, le but a été de trouver les grandes lignes d’une approche syndicale.
Disons d’emblée que le travail syndical a principalement consisté, dans une approche normative, à corriger les effets négatifs, le mauvais fonctionnement et la mauvaise application de ces systèmes et à en limiter l’impact (e.a. salarial), dans un domaine où règne le culte du secret.
Au départ de « on est payé pour (bien) travailler » -selon un contrat d’emploi- et on touche une prime si on a fait quelque chose d’exceptionnel, on est passé à des descriptions de fonction et d’objectifs de plus en plus précis et développés, ayant un impact sur le salaire (salaire « au mérite », …) et sur la carrière. En même temps, on est passé d’un salaire à la notion de récompense (« reward & benefits »).
GLISSEMENT SÉMENTIQUE : DE SALAIRE À RÉCOMPENSE
De même qu’on est passé de « service du personnel » à « gestion des ressources humaines », parler de salaire et de rémunération semble être devenu obscène, au profit de la notion euphémique de « récompense », couplée à celle de « bénéfice »[8] (« Reward & Benefits », proche de celle de dividendes attribués aux actionnaires …).
Non seulement le personnel est devenu une simple ressource[9] (au même titre que l’électricité et le papier pour le photocopieur), mais son salaire (le produit, pour lui-même, de son travail) est devenu une simple récompense !
De plus, comme le souligne Corinne Gobin, la réalité du travail dans l’entreprise fait que « on est obligé de mal faire son travail (pas assez de moyens, de bons matériaux, de collègues, pas assez de temps, temps perdu par la suspicion) » ce qui entraine la souffrance, de même que le fait de n’être pas payé pour ce que l’on fait ou le fait de se sentir abandonné[10].
Rappelons que les barèmes sont négociés, les récompenses sont à la discrétion de la hiérarchie/patron.
La description de plus en plus précise des objectifs abouti à une sorte de cahier de charges, comme on en ferait pour une firme extérieure ou un externe indépendant ; l’appréciation s’apparentant de plus en plus au « service level agreement » (en abrégé : SLA).
[1] Syndicat des Employés, Techniciens et Cadres de la FGTB. BHV : régionale de Bruxelles-Hal-Vilvorde au sein de ce syndicat.
[2] Mail à E. Martinez, 28/10/2014.
[3] Idem. Sud est un syndicat français (voir plus loin).
[4] Centre d’Éducation populaire André Genot de la FGTB wallonne.
[5] Notes de cette journée : voir Latteur Nicolas, « Pourquoi sommes-nous évalués ? Les pratiques d’évaluation des travailleurs en question », CEPAG, 2015.
[6] Politologue, directrice de recherche au CNRS.
[7] Sociologue, maître de conférences, Université de Strasbourg.
[8] Au 19ème siècle, en période de « crise », on diminuait les salaires de façon à assurer les bénéfices. Aujourd’hui, au sein des entreprises, on tente de mettre en place une série de moyens pour maitriser l’évolution de la masse salariale, tout en faisant miroiter des primes aux travailleurs « les plus méritants ».
[9] Et, comme toute ressource, celle-ci a un coût … et est soumise aux politiques de « réduction des coûts » !
[10] Gobin Corinne, « La gouvernance de l’Union européenne : du social comme dynamique de droit social au social comme dynamique de déshumanisation », Powerpoint, 2017.