a. Premiers constats

POINTS POSITIFS

L’appréciation est l’occasion d’ouvrir un dialogue, de faire le point, au moins une fois par an, avec le chef direct, de lui communiquer une série de choses : ambition de carrière, besoin de formation, orientation vers des tâches spécifiques, … De toutes les études et enquêtes, c’est le point positif qui ressort en premier lieu, au point qu’il éclipse souvent les autres (le fait d’avoir droit à une prime, …). S’il est parfois craint, c’est, en général, un moment attendu.

C’est parfois aussi l’occasion de « rectifier le tir », par rapport à une perception erronée de la hiérarchie quant à la personnalité du travailleur ou son attitude au travail[1], élément pouvant avoir une influence sur la cotation.

STATISTIQUES

Les statistiques, reçues au Conseil d’entreprises, permettent certains constats[2] :

Plus on monte dans la hiérarchie, plus on est « excellent ». On peut évidemment se réjouir du fait d’être dirigé par des personnes exceptionnelles, mais on peut aussi s’interroger sur le fait que des gens de qui on attend des prestations exceptionnelles, en échange d’un salaire élevé, puissent être en aussi grand nombre « largement au-dessus » de ces attentes …

Comme, plus on monte dans la hiérarchie moins il y a de femmes, les femmes obtiennent globalement moins de cotations « TB » et « TTB ». Certains en tireront comme conclusions que les femmes travaillent moins bien que les hommes ou qu’elles sont moins impliquées dans leur travail.

Plus logique : vu l’expérience acquise au fil des ans, les attentes de la hiérarchie de la part de travailleurs avec une grande ancienneté[3] est évidemment plus grande que pour un plus nouveau ; il est donc beaucoup plus difficile pour eux d’être « au-dessus des attentes »[4].

Certains départements, e.a. les départements opérationnels, affichent des scores moins élevés, peut-être parce que les activités permettent moins d’« exploits » ou que le travail y est plus standardisé.

Quand on cumule les différents facteurs (femme, employée, plus de 50 ans, travaillant dans un département opérationnel), on a plus de 90% de chance d’obtenir un « bien » à sa prochaine appréciation.

Les éléments qui ressortent des statistiques détaillées, obtenues au Conseil d’entreprise, peuvent aussi susciter l’inquiétude : en cas de mutation, celui qui donne satisfaction et est considéré comme un bon élément par sa hiérarchie, ne risque-t-il pas de s’entendre dire « mais vous n’étiez que bon » ? En effet, si une majorité de membres du personnel reçoit plus qu’un « B », la norme devient donc « plus que B » … Autrement dit : un « B » a moins bien travaillé que les deux-tiers[5] des travailleurs de l’entreprise !

Ces éléments peuvent aussi influencer les « mercenaires », ceux qui recherchent les services où ils ont le plus de chance d’obtenir une promotion, une appréciation excellente, etc.[6].

Mais, le culte du secret fait qu’il est difficile de savoir où sont les surhommes !

Le fait d’avoir obtenu, après des années d’insistance, des statistiques détaillées, a permis d’affiner l’analyse syndicale et, de là, obtenir plus d’homogénéité et même une forme de normes, et d’inscrire certaines garanties dans des conventions. La crainte étant, côté syndical, qu’une pression à la baisse se fasse sur les cotations, dans un esprit de disette budgétaire. Ainsi, le SETCa insistait sur le fait que le score 4 (Bon) n’est pas la norme, « étant donné qu’en 2006, presque 80% du personnel ont presté au-delà des attentes et que personne ne croit que le personnel a moins presté collectivement en 2007 »[7]

Dans un article[8] sur le bien-être au travail, publié au printemps 2009, le SETCa/BBTK note qu’« en matière de gestion de la performance (« performance management »), les chiffres sont également étonnants. 20% des personnes interrogées ne reçoivent pas une évaluation régulière de leurs prestations ! 19% estiment n’être pas évalués de façon équitable. 26,5% ne se sont pas senties valorisées, lors de l’évaluation de leurs prestations de l’année passée. Des chiffres effrayant pour des éléments essentiels de la relation de travail. »

LOURDEUR

Le système est lourd et chronophage. D’où la volonté, affirmée à plusieurs reprise au cours des ans, d’une simplification, sans vraiment y parvenir[9]. Il comprend généralement trois étapes :

    1. Fixation des objectifs

Il est demandé à chaque travailleur de proposer des objectifs (idéalement, ce devrait être sur base de sa participation à la réalisation d’objectifs de section, de service, …). Premier entretient avec le chef, pour « mettre ensemble » les objectifs proposés par le travailleur et ceux proposés par le chef. Le chef fait un travail de synthèse qui est proposé au travailleur, pour remarques, lors d’un deuxième entretient, avant de fixer officiellement les objectifs.

    1. Évaluation des objectifs

Premier entretient où le chef communique à son subordonné les différents éléments de son appréciation. Le subordonné communique ses remarques, pendant et/ou après l’entretient. Lors d’un deuxième entretient, le chef communique son appréciation définitive.

    1. Si le subordonné n’est pas content de l’appréciation reçue, il peut aller en recours.

Les incessantes restructurations, modifications du temps de travail (horaires), etc., devraient entraîner, plusieurs fois en cours d’exercice, une modification des objectifs fixés. L’expérience montre que cela n’est pas souvent le cas. Cette lourdeur de procédure est en opposition avec les effets recherchés par la flexibilité …

SECRET

Le peu de transparence et le culte du secret semblent être un élément fondamental du système. Ce qui implique qu’il n’y a pas de valorisation collective des « bons travailleurs », qui pourraient avoir valeur d’exemple. On est loin des « tableaux d’honneur », à l’entrée des entreprises des pays communistes[10]. Paradoxalement, le culte du secret interdit d’être fier de son « bon bulletin » !

Le choix –parfois effectué par ou sous la pression d’une personne extérieure à l’équipe, ou qui n’a pas la connaissance entière du « terrain »– d’un heureux élu considéré comme plus méritant, au sein d’un groupe de collègues aux mérites équivalents, ne peut que susciter l’incompréhension.

Celle-ci est renforcée par le culte du secret, puisqu’il n’y a pas de justification(s) à donner au groupe, quant au choix, aux critères qui l’ont justifié : quand je vois tout ce que je dois faire, dans mon service, pour obtenir un « bon », comment est-il possible d’obtenir un « très bien » ou un « excellent » ? C’est un des effets pervers du culte du secret : il renforce le sentiment d’injustice, la démotivation.

Dans ce cadre, qui parait biaisé, la « méritocratie », affichée comme moteur de la gestion du personnel, est source d’inégalités, de jalousies et de divisions au sein du groupe. Parfois, par le biais des évaluations, « le responsable peut désirer sélectionner ceux avec lesquels il a envie de travailler »[11].

Ces pratiques, proches du « fait du prince », permettent d’assoir la domination d’un groupe de managers par une illusion d’équité : tout le monde peut concourir, mais il ne suffit pas de faire un effort ; seuls ceux qui ont vraiment fait des « performances » (aux yeux de qui ?) auront une meilleure récompense.

Le système est présenté comme étant le plus objectif possible – évaluation d’objectifs mesurables, fixés de commun accord (et donc réalisables aux yeux de celui qui doit les réaliser)– mais se révèle, à l’usage, être éminemment subjectif.

Celui qui va régulièrement solliciter l’avis de son chef et lui faire rapport sur les dossiers qu’il traite, risque de donner meilleure impression que celui qui vient à bout de dossiers plus compliqués en toute autonomie. De même, celui qui va régulièrement boire un verre avec son chef de section et son chef de service, risque d’apparaitre comme plus sympathique, plus social même, que celui que ce genre de rituel n’intéresse pas.

OBJECTIFS

La fixation des objectifs est, évidemment, un élément-clé du processus d’évaluation dans son ensemble. Néanmoins, il pose de sérieux problèmes à de nombreux travailleurs.

Ainsi, l’obligation de se fixer un certain nombre d’objectifs, en dehors des tâches-clé, alors qu’on n’a déjà pas suffisamment de temps pour accomplir celles-ci ; l’obligation de reprendre chaque année, dans les objectifs, trois points « d’amélioration » à réaliser dans son travail[12].

[1] Tel ce travailleur affichant habituellement une certaine bonhomie, pour se protéger d’effets négatifs du travail sur sa santé (stress, …) et dont les chefs pensaient qu’il « s’en fout » du travail !

[2] Il faut se méfier des statistiques globales, qui cachent des réalités fort différentes par rapport à l’âge, le sexe, l’ancienneté, la position dans la hiérarchie, le département où on travaille, etc.

[3] Dans certains secteurs comme les banques, il n’est pas rare de rencontrer des travailleurs ayant 20, 30, 40 ans d’expérience dans le même secteur (titres, crédits, …) et acquis une expertise considérable … qui joue contre eux (pas seulement au niveau de l’évaluation, également s’ils veulent changer d’orientation vers un autre secteur de l’entreprise).

[4] Par contre, on peut leur donner comme objectif de transmettre leurs connaissances, leur expertise, aux plus jeunes.

[5] Si on se « base sur les statistiques de l’appréciation 2000, où 52% du personnel était TB (44,5%) ou excellent (7,5%), contre 32% de Bon, 10,5% de Bon+ et 3% de Moyen ». (Document personnel)

[6] À contrario, lorsqu’un travailleur postule à un job dans un autre service ou département, il semble que l’évaluation de cette candidature se fait rarement, par la hiérarchie de cette entité, sur base d’un examen des états de service du postulant, reposant e.a. sur les évaluations des années précédentes.

[7] Tract « Appréciation sous pression ? », SETCa BNP Paribas Fortis (BHV), 14/1/2008.

[8] Direct, publication SETCa/BBTK Fortis Banque à Bruxelles et aux Entités centrales. L’article fait référence à une « analyse de la santé, du bien-être et de la vitalité du personnel de Fortis Banque » du Service médical interne, effectuée avant la « catastrophe » que l’entreprise a vécu en 2008.

[9] Voir chap. 5 – évolutions récentes.

[10] À l’exception des « G d’or » dont on a parlé plus haut.

[11] Bossel Christophe, « Résumé et critique de ‘L’évaluation du personnel dans l’entreprise’ de Jean-Pascal Lapra, Éd. Dunod, 1997 », Lausanne, 2003.

[12] Trouver des aspects améliorables sur lesquels le travailleur à un réel impact relève parfois de l’utopie. Alors, en trouver 3 chaque année …