On est passé d’un modèle d’entreprise où on travaille ensemble pour le bien commun, à une situation de concurrence entre travailleurs, pour atteindre des buts individuels suivant des objectifs fixés par quelqu’un d’autre. Cela renforce le sentiment d’insécurité dans son travail, la démotivation, le stress et peut engendrer des problèmes de santé et, souvent, des résultats moindres. Or les systèmes d’appréciation coûtent cher (rien qu’en temps y consacré, …) pour un faible résultat.
D’un point de vue gestion du personnel, les systèmes d’appréciation créent plus de problèmes qu’ils n’apportent de choses positives, là où ils devraient servir à motiver, à obtenir de meilleurs résultats pour l’entreprise.
Si un système d’appréciation est considéré comme un outil indispensable, par beaucoup de responsables du personnel, il ne suscite pas l’enthousiasme unanime des évalués. Si certains y voient un chalenge, une stimulation (recherche de la performance), un (petit) plus au niveau financier et l’occasion d’un échange/dialogue intéressant avec leur chef direct, pour beaucoup de travailleurs, c’est plutôt l’indifférence. L’existence d’un système d’appréciation n’influence pas leurs prestations : ils travaillent de la même façon, avec ou sans appréciation ; tout au plus, ils considèrent qu’il s’agit là d’une corvée dont on s’occupe une fois par an … La recherche d’une reconnaissance de leur travail prime sur l’aspect financier lié à l’appréciation.
Ce sont souvent les travailleurs les plus actifs qui posent ou se posent des questions, souvent liées aux valeurs, sans y obtenir de réponses satisfaisantes : tous ont-ils les mêmes chances (équité) ? faut-il être hypocrite (honnêteté intellectuelle) ? qui établit et change les règles et dans quel but (crédibilité du système) ?
Beaucoup de questions se posent également quant aux possibilités de recours : utilité ? impartialité du collège d’appel ? conséquences sur le « travailler ensemble », sur les relations avec le supérieur hiérarchique ? sur qui peut-on compter si on n’est pas syndiqué ?
Les différents problèmes, rencontrés par les travailleurs dans le processus d’appréciation, comme le manque d’emprise sur son travail, entrainent la déception, la méfiance, un sentiment d’injustice, même parmi ceux qui ont une « bonne » appréciation. Ceci va à l’encontre du but recherché : pousser les travailleurs à donner le meilleur d’eux-mêmes. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, le découragement risque de marquer les travailleurs : ça ne vaut pas la peine de consacré autant de temps et d’énergie pour un résultat aussi minime.
Autrement dit : les résultats sont décevants par rapport à l’investissement consenti à tous les niveaux de l’organisation, en temps, en énergie et en budgets. Ils sont mêmes négatifs dans un certains nombres de cas (résultats moins bons qu’avant).
Les systèmes d’appréciation participent à la mise en concurrence et à l’individualisation des travailleurs, alors même qu’ils coexistent avec d’autres méthodes basées sur le travail d’équipe. L’impact de cette contradiction est peut-être plus important que les problèmes, la complexité des systèmes d’appréciation et leur « évolution » constante.
L’intérêt marqué par les jeunes travailleurs pour d’autres valeurs –comme l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle[1]– devrait inciter les gestionnaires du personnel et les directions à revoir leur position sur cette forme de management.
S.Monchatre fait remarquer que ces procédés rendent possible la réintroduction d’un salaire à la tâche[2]. Il y a aussi quasi toujours incompatibilité avec les différents aspects de la « flexibilisation du marché du travail » mis en place depuis 30 ans.
De plus, il y a un réel danger dans le fait que ce « deuxième contrat », qui s’ajoute au contrat d’emploi signé à l’embauche, prépare une mutation de la relation travailleur-patron. Une mutation encouragée par les autorités européennes : « La distinction binaire traditionnelle entre ‘salarié’ et ‘travailleur indépendant’ n’est plus le reflet de la réalité économique et sociale du travail. »[3]. Ainsi, le contrat de travail pourrait glisser vers le droit civil et commercial (au lieu de droit du travail)[4], dans un monde où « (…) la firme n’est qu’un écheveau de contrats entre acteurs dont l’orientation commune est la maximisation des profits pour le propriétaire »[5] .
Au-delà d’un regard critique, quels enseignements tirer de tout ceci ?
S’il y a peu de littérature syndicale et critique spécifique à propos des systèmes d’appréciations et donc quasi pas de possibilité de présenter des « exemples à suivre », en matière d’appréciations, il y a néanmoins plusieurs aspects qui peuvent être soulignés.
À quelques exceptions près, les syndicats ne se sont pas opposés à la mise en place de systèmes d’appréciation et n’ont pas mobilisé le personnel contre ces systèmes. Ils n’en ont pas eu l’occasion. Ils ont agi en fonction de leurs possibilités dans différents domaines :
Dans un esprit allant vers plus de démocratie au sein de l’entreprise, revendication d’une possibilité d’évaluer la hiérarchie et la direction.
D’un point de vue plus idéologique, les syndicats ont continué à mettre en avant les grandes idées qui guident leur action : protection de la rémunération, équité, égalité hommes-femmes, aspiration à plus de justice sociale, …
Guy Stuckens
[1] « How the slash generation is re-inventing the work-life balance », Rémy Martin in The Word Magazine, n° 10, juin-juillet 2017.
[2] Voir : Latteur Nicolas, « Pourquoi sommes-nous évalués ? Les pratiques d’évaluation des travailleurs en question », CEPAG, 2015.
[3] Livre vert de la Commission européenne, 2006.
[4] Cfr. Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17/6/2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
[5] Bauraind Bruno et Bucci Mario in « Multinationales du 21ème siècle : espaces de luttes ? », Gresea Écho n° 89, jan-fév-mars 2017.