NETWORK
En fait, c’est quelque peu abusivement qu’il est parlé de « mail-art network ». Il faudrait, pour être plus correct, parler de networks – à moins d’appeler « network » l’interpénétration des différents réseaux qui participent, ne fût-ce que partiellement, au courant mail-art.
En effet, si, au sein d’un mail-art considéré comme « pur » –c’est ç’est à dire qu’on peut distinguer d’autres formes de communications artistiques ou d’art – on distingue différentes formes (copy-art, cachets, timbres, etc. [93]), d’autres réseaux se développent parallèlement à celui-ci : petits labels indépendants, fanzines, radio ou audio-art, vidéo, graffiti, etc. [93].
Il y a interaction entre ces réseaux et le mail-art : utilisation des canaux mail-art (contacts, adresses, …) par les premiers pour faire circuler leurs productions (qui, de toute façon, ressortissent au domaine artistique ou à la culture alternative, dont ces formes d’expression et d’art font partie – une initiative à caractère commercial serait immédiatement rejetée [94]), vitalisation des canaux mail-art par l’apport de matière (informations, projets, produits, …), par l’augmentation du nombre de contacts et d’échanges, à créditer aux premiers.
Si cette coexistence peut se faire, c’est dû au fait que les mail-artistes eux-mêmes produisent plusieurs formes d’expression destinées à circuler dans le cadre de réseaux artistiques communicationnels : tel mail-artiste publie des plaquettes de poésie (écrite ou visuelle) ou un fanzine, tel autre est également membre d’un groupe de musique et produit des cassettes, tel autre encore réalise des émissions de radio ou sont diffusés du radio-art ou des productions de petits labels ; enfin, certains ne peuvent s’empêcher de toucher à tout à la fois, l’important pour eux étant de participer à un maximum de projets.
« Dans son ensemble, le réseau peut être considéré comme le rassemblement d’individus créatifs, de subcultures et de courants d’avant-garde. » [95] « (Il) offre la possibilité à chaque citoyen du monde d’entrer en contact avec ce que l’art peut être aujourd’hui. » [96] Par le mail-art, chacun peut s’impliquer dans des activités artistiques et créatives. Bien vite, on s’aperçoit que le proverbe « nul n’est prophète en son pays » s’applique au mail-art comme nulle part ailleurs. D’où le désir d’entrer en contact avec d’autres artistes dans d’autres pays. Carlo Pittore (US) affirme que « les seuls qui soutiennent les artistes sont les autres artistes » [97].
Pour beaucoup, le désir existe –et provoque même une certaine excitation– d’être en contact avec le plus possible de mail-artistes dans le plus de pays différents possibles. Ainsi, S. Shimamoto signale que le groupe AU correspond avec 2000 artistes de 43 pays et échange plus de 3000 documents par an [98]. Le fichier-adresses de Creatif Art Revue (BE) compte plus de 700 adresses dans 46 pays [98] ; environ 300 de ces contacts ont au moins envoyé une fois quelque chose à C.A.R..
Le travail dans les réseaux est considéré comme la planche de salut de l’art. Carlo Pittore déclare : « Le Grand Mail-Art Network est un mouvement unique dans le monde de l’art. Nous sommes associés avec le Grand Esprit de l’Art, et nous sommes unis à travers le monde avec les artistes de partout pour encourager et soutenir la poursuite de l’art, pour tous, chaque jour. » [84] Quant aux artistes de AU, ils insistent, dans leur « Mail-art Network Manifesto » sur le rôle prépondérant des réseaux : « Nous sommes persuadés que le mail-art network est le seul chemin par lequel il est possible de libérer l’art de tout type d’autorité ». De ce fait, « le mail-art network pourrait être une Renaissance dans les 20 prochaines années ». Et, par rapport à l’aspect international, ils écrivent que « le mail-art network assure la circulation aisée des idées qui ne sont pas soumises à des impératifs économiques propres à chaque nation ». De même, « pour le mail-art network, il n’y a pas de différences régionales en termes de qualité ou de quantité d’informations ; mieux, la réponse est facilement trouvée puisque l’idée est principalement basée sur une communication à 2 sens (aller-retour) ». [96]
ASPECT LINGUISTIQUE
Si le mail-art est lui-même langage, cela n’empêche que les artistes qui le pratiquent sont obligés de recourir à des langues pour correspondre.
La prédominance de l’anglais dans les rapports internationaux et le fait que cette langue soit aussi la seconde langue la plus répandue, font qu’elle domine également le mail-art. Mais d’autres langues sont employées régulièrement : le français, l’espagnol …
Dans le cas de publications (catalogues, …), la langue prédominante est soit la langue du pays où l’ouvrage est publié, soit l’anglais. Quelquefois, dans le souci de dépasser le problème de compréhension, des introductions sont faites dans plusieurs langues ; ainsi, celle du catalogue « Kein Krieg in meiner Stadt » est en allemand, en anglais, en espagnol, en français et en esperanto. [99]
Le recours fréquent à une langue intermédiaire (l’anglais, dans la plupart des cas) pose néanmoins un problème de compréhension : il est parfois difficile de transmettre des nuances dans une langue qu’on ne maitrise pas parfaitement. Il est de temps à autre nécessaire de faire appel à un traducteur – ce qui fait un intérimaire de plus, d’où un risque de plus mauvaise compréhension. Parfois, on est étonné d’apprendre que telle personne, avec qui on correspond toujours en anglais, s’exprime avec beaucoup de difficultés dans cette langue … [100]
L’aspect le plus amusant de ce problème se manifeste dans les rencontres internationales, festivals, etc.. Ainsi, lors du Festival Cavellini en Belgique (1984), les langues parlées par les participants étaient le français, le néerlandais, l’italien et l’anglais ; et lors du 9ème Neoist Festival à Ponte-Nossa (IT, 1985), les participants venaient de pays où on parle l’anglais, l’allemand, l’italien, le français, etc.. Généralement, au bout de 2-3 jours, chacun parle avec tout le monde un subtil mélange de toutes ces langues ! Mais il y a certainement beaucoup de volonté mise à essayer de comprendre l’autre, de communiquer avec lui [101].
Et c’est là l’important de cet aspect linguistique : la volonté –ressentie comme nécessité– qu’ont les mail-artistes de créer un langage commun, ou plutôt un terrain d’entente, lieu d’échanges, de mise en commun d’idées, et d’amitié.