8/2006 - maj 24/5/11
La guimbarde, ce petit instrument qui ressemble à un gadget, est mal connue. Et, par-là, pas prise au sérieux. Pourtant, il s’agit d’un instrument de musique à part entière, utilisé sous toutes les latitudes et depuis bien longtemps.
Qu’est-ce qu’une guimbarde ?
« C’est un petit instrument de musique qui fonctionne d’une façon assez mystérieuse. Elle comporte une languette flexible montée dans un cadre de forme spéciale. On la fait vibrer devant la bouche et si on sait s’en servir, on arrive à produire une musique assez riche. La guimbarde est toute petite, portative et pas chère ; elle donne un son pas très fort mais qui porte très loin. » (John Wright). Répandue essentiellement sur trois continents (Europe, Asie, Océanie), elle a été importée en Amérique (principalement aux Etats-Unis) par les émigrants.
La guimbarde n’est ni un gadget, ni une percussion, ni un instrument folk.
C’est à tors que la guimbarde est classée parmi les percussions. Il s’agit plutôt d’un instrument de la famille des bourdons (comme la cornemuse et la vieille à roue), dont le son de base –obtenu en percutant la lamelle qui vibre- est modifié grâce à la forme qu’on donne à la bouche (qui sert de caisse de résonance) et éventuellement amplifié en aspirant ou en soufflant.
De même, la guimbarde est considérée comme un instrument folk, alors qu’elle est présente dans tous les types de musique ou presque : musique ancienne, musique traditionnelle, rock, blues, chanson française, musique expérimentale, … à quoi il faut ajouter une forte présence dans les musiques de film.
On trouvera ci-dessous une liste, non exhaustive, des disques et des films qui comprennent au moins un morceau de guimbarde. Rares sont les disques qui proposent un usage systématique de la guimbarde, mais il y en a quelques-uns uns, dont le ‘spécial instrumental’ que le label Chant du Monde lui a consacré (voir ci-dessous).
Une fine lamelle qui vibre.
Il y a deux grandes familles de guimbardes : les métalliques et celles en bambou. Ces dernières sont, évidemment, présentes en Asie et on peut difficilement s’en procurer en Occident. Elles semblent antérieures à celles en métal dont l’existence est attestée dans la littérature européenne à partir du XIVème siècle.
Généralement fabriquées en Allemagne ou en Autriche, les guimbardes métalliques qu’on trouve actuellement en Europe sont constituées d’un cadre arrondi (la partie qu’on tient en main), qui se termine par une partie plus étroite qu’on pose contre les dents, sur lequel est soudée la lamelle qu’on fait vibrer au moyen des doigts. Il est important que la lamelle soit particulièrement souple et qu’elle soit soudée correctement. Autrement, elle ne vibre pas correctement. De même, on trouve dans le commerce des guimbardes vernies, de différentes couleurs : c’est joli, mais au détriment du son. Au début du XXème siècle, en Hongrie, les enfants jouaient sur des guimbardes fabriquées par des forgerons tziganes itinérants.
J’ai, un jour, trouvé des guimbardes en fer forgé, dans un magasin d’instruments de musique à Bruxelles, et qui provenaient du Pakistan. Quelle joie, quel son : manifestement, elles avaient été fabriquées par des artisans qui savaient les utiliser ! Malheureusement, ces instruments sont trop peu coûteux pour présenter un intérêt pour un importateur.
Guimbardes en bambou.
Il en va de même pour les guimbardes en bambou. Un fabriquant bruxellois d’instruments de musique me le confirmait. Et quant à les fabriquer en Europe : il avait essayé, mais ses essais étaient restés vains. C’est John Wright qui, lors d’un passage à Bruxelles (pour un concert dans le cadre de Brossela Folk), m’a montré des guimbardes en bambou, que je ne connaissais que par les illustrations du disque spécial instrumental qu’il avait consacré à la guimbarde.
Elles sont allongées (puisque taillées dans un morceau de bambou) et parfois d’un seul tenant : cadre et lamelle vibrante. Souvent, elles sont fournies avec un petit étui rond, également en bambou, qui permet de les protéger pour le transport. Généralement, on percute le cadre (et non la lamelle, trop fragile) avec les doigts, mais certains modèles sont pourvus d’une ficelle qu’il suffit de tirer. Celles que j’ai proviennent du Nord de la Thaïlande et m'ont été rapportées par une collègue (dûment documentée par moi à cette fin). Souvent, ce sont les musiciens eux-mêmes qui les fabriquent, non pas à la demande, mais quand ils en ont besoin, car, on s'en doute, elles sont encore plus fragiles que les guimbardes en métal.
On trouve des guimbardes au Japon et en Chine. C’est en Asie qu’on peut trouver la plus grande variété de guimbardes. Il en existe même qui ont jusqu’à cinq languettes ( !) à Taiwan. On a aussi connaissance de guimbardes en ivoire, en bois (Hawaï) ou taillées dans un os, mais je n’en ai jamais vue qu’en photo. Par contre, un timbre-poste norvégien présente une guimbarde métallique.
Sous son apparente simplicité, la guimbarde est-elle l’ancêtre d’instruments plus élaborés ? Certains le pensent : « Comment l’homme a-t-il pensé à passer d’une guimbarde, simple lamelle que l’ont fait vibrer, à des instruments plus complexes où plusieurs lamelles, ou anches libres, sont placées côte à côte dans le même instrument et vibrent sous l’effet de l’air insufflé. On pense alors à l’orgue à bouche oriental ou l’harmonica et aux accordéons. » EB (mensuel de la Médiathèque, Bruxelles, mai 2007).
Le bon usage …
Dans les pages de la jaquette de son CD, Trân Quang Hai signale que « la guimbarde est, comme bon nombre d’instruments, entourée de légendes et de mythes. Son âge très ancien et son originalité sonore ont certainement contribué à ce qu’elle soit l’instrument de prédilection des chamanes de la Sibérie, qui s’en servent lors de leurs incantations ». Il poursuit, en faisant la liste des usages ‘sérieux’ de la guimbarde : « Instrument lié au pouvoir chamanique (Sibérie), au divertissement collectif (gamelan genggong balinais), à la distraction personnelle, à des cours d’amour (Asie du Sud-Est, Chine), instrument des bergers, des musiciens virtuoses (Yvan Alexeiev, Spiridon Chichiguine), des musiciens attirés par la recherche électro-acoustique (John Wright, Trân Quang Hai), des chercheurs (Geneviève Dournon, Hubert Boone, Frederic Crane, Leo Tadagawa), et des acousticiens (Emile Leipp), la guimbarde occupe une place originale parmi les instruments de musique du monde entier ».
Jews harp & C°
Il y a beaucoup à dire sur le nom de cet instrument dans les différentes langues. Parfois, c’est un vrai casse-tête pour celui qui lit les pochettes des disques, à la recherche de quelques découvertes. Les pochettes et jaquettes de disques sont parfois avares de renseignements sur les enregistrements qu’elles sont sensées présenter. Les instruments utilisés n’y sont pas toujours indiqués, ou de façon incomplète, ou incorrecte (certaines guimbardes se cachent sans doute sous l’appellation ‘percussions’). Et que penser de mouth harp ? s’agit-il d’un synonyme de jews harp ou d’un harmonica ? Il faut souvent agir par tâtonnement, par recoupement : tel musicien, qui a joué de la guimbarde sur tel disque, n’en a-t-il pas jouer sur d’autres ? A ceci s’ajoute le fait que certains sons de synthétiseurs sont forts proches de ceux de la guimbarde, de quoi décourager ceux qui se basent sur leurs oreilles !
Un peu de vocabulaire
Le mot français guimbarde vient du provençal guimbardo (danse, de guimbá, sauter ; du gotique wimôn) et désigne familièrement une vieille voiture en mauvais état. C’est aussi le nom d’une danse ancienne à deux temps (XVIIème-XVIIIème siècle).
Il n’y a probablement pas de rapport entre les Juifs et la guimbarde, mais la pochette du disque de l’Ensemble Ferenç Sebö (voir ci-dessous) signale « les hongrois appellent encore cet instrument la harpe juive parce qu’il accompagne l’itinérance des tziganes et de tous les errants en général ».
Voici une petite liste pour vous aider :
Aman khuur (Mongolie)
Angkuoch (Cambodge)
Berimbao (Espagne)
Berimbau (Portugal)
Chang (Afghanistan)
Dàn môi (Viêtnam)
Doromb (hongrois)
Drembà (Roumanie)
Genggong (Bali)
Guimbarde (français)
Jew’s harp ou jaw’s harp (anglais)
Karinding (Java de l’Ouest)
Khomus (Yakoutie)
Kouhuang (Chine)
Kouqin (Chine)
Marranzanu (Italie)
Maultrommel (allemand)
Mokena (Tonga)
Mond harp, harpje (néerlandais)
Mooria (Nouvelle-Zélande)
Morchang (Inde)
Mukkuri (les Ainous du Japon)
Munngiga (Suède)
Munnharp (Norvège)
Rab ncas (Viêtnam, Laos, Chine)
Sciacciapensieri (italien)
Susap (Nouvelle-Guinée)
Trompe du Béarn (France)
Vargan (Russie)