3. Chap. 3

Chap. 3 - PRINCIPES PATRONAUX

« Le système d’appréciation est un des moyens mis en place au sein de Fortis Banque pour soutenir une gestion efficace du capital humain »[1]. La gestion de capital est évidemment une activité importante dans une banque ! Côté syndical, on a toujours préféré une gestion humaine du personnel, au fait de considérer le personnel comme une ressource ou un coût (à réduire).

« Moi, je vois dans l’évaluation la récompense de la performance. S’il n’y a pas d’évaluation, il n’y a pas de performance », affirmait le président français Nicolas Sarkozy[2].

À côté de l’utilisation d’un système d’appréciation pour renforcer la stratégie de l’entreprise en matière de gestion du personnel, il est évident qu’il y a un aspect idéologique (non assumé) derrière les justifications avancées pour la mise en place de systèmes d’appréciation. Cela se cache derrière l’affirmation qu’il est quand même naturel de vouloir récompenser ceux qui font un réel effort, qu’il faut encourager, au sein de l’entreprise, une culture qui favorise les plus méritants, plutôt que les principes d’égalité. On parle aussi de « méritocratie », l’idéologie des dominants qui appartient aux « mythes légitimateur » de la domination. « Le groupe dominant est dominant en ce qu’il propage des normes et des valeurs pleinement incarnées par les seuls membres du groupe dominant, mais auxquelles se heurtent quotidiennement les membres du groupe dominé (…) »[3]

Pour ce faire, on va faire porter la responsabilité du bon déroulement du processus d’appréciation à un intermédiaire : le supérieur hiérarchique. Une catégorie numériquement importante dans les grandes organisations, très structurées et fonctionnant souvent de façon très bureaucratique[4]. Malgré les directives, les collèges d’appréciation, etc., les directions HR se dédouanent systématiquement en affirmant que le supérieur hiérarchique direct « reste le seul responsable de l’appréciation qu’il donne »[5]. Il est le responsable, mais sans avoir les clés en main. Si les choses se passent mal, c’est de sa faute ! [6] - Il n’a pas appliqué correctement les directives, les procédures, les notes de service …

Si la direction affirme qu’ « apprécier est une tâche essentielle du chef, à quelque niveau hiérarchique que ce soit »[7] et que « recevoir une réponse quand on pose une question, connaitre la façon dont sont perçues ses prestations et son évolution depuis la dernière appréciation constituent des droits que chaque apprécié ne doit pas hésiter à faire exercer s’il l’estime nécessaire. »[8], encore faut-il que le chef direct soit en mesure de le faire : le temps nécessaire et la possibilité d’accès aux réponses.

Le « nouveau système » (de 1988) est aussi chronophage que ses prédécesseurs et présente les mêmes défauts : « Globalement, ce nouveau système semble peu enclin à stimuler le personnel dans son activité professionnelle. Il est plus arbitraire et subjectif que le système qu’il remplace. On a oublié que beaucoup de chefs n’avaient déjà pas le temps de faire correctement leur travail pendant les heures de service … Alors, où trouver le temps pour des entretiens réguliers avec les subordonnés ? Il faudrait –idéalement– 30 minutes d’entretien par trimestre. »[9]

Or, l’appréciation n’est qu’un élément du « people management ». Dans les formations de « managers » on apprend qu’un chef doit idéalement consacrer une heure par jour à chacun de ses « collaborateurs », pour les « coacher », etc.. Comment faire lorsqu’on a, sous ses ordres, plus de … 7 personnes, qu’il faut s’occuper en priorité des nouveaux (CDD, …), en plus de son propre boulot et des réunions avec ses supérieurs. La direction a beau déclarer que « beaucoup de progrès sont donc à réaliser pour faire de l’appréciation un acte essentiel de management »[10], cela n’empêche le manque de cohérence entre ce qu’on attend d’un supérieur hiérarchique (évaluation, coaching de son personnel, réunions diverses, suivi de dossiers, …) et les moyens mis à sa disposition pour le réaliser !

Ajoutons qu’on peut très bien être très compétent dans son domaine professionnel, sans avoir toutes les qualités nécessaires à un évaluateur pour réaliser des appréciations objectives.

L’appréciation, certainement si elle se base sur l’auto-évaluation des travailleurs, permet aux entreprises de mieux responsabiliser ses employés et cadres. Elle est un élément de la « culture d’entreprise ».

ENTRETIENS

Les entretiens sont évidemment des moments-clé dans la procédure d’appréciation. En général on prévoit un entretien annuel, éventuellement en deux phases : information par le chef, puis réaction de l’évalué. Il y a aussi la possibilité d’un entretien intermédiaire (obligatoire en cas de mauvais « fonctionnement »). Un entretien est aussi nécessaire –mais souvent oublié– en cas de mutation, de changement de travail au sein de son entité, de changement de chef, de changement dans la possibilité de réalisé certains objectifs ou lors de la disparition d’un de ceux-ci …

« La finalité de l’entretien est bien de faire le bilan de l’année écoulée, de se rappeler ce que l’on s’est dit, ce que l’on a vécu, et non l’occasion de corriger et d’expliquer les erreurs de l’année »[11]. Si on attend la date de l’entretien d’évaluation, dans deux mois, pour signaler un problème, « cela équivaut à manager une fois par an »[12].

Chez Bank of New-York (Belgique), il y a non seulement un entretien à mi-parcours, mais aussi des entretiens « one to one » mensuels où les objectifs sont abordés. Le SETCa précise : « si vous avez un problème avec vos tâches, objectifs, volumes … c’est le moment clé pour en discuter ET le mettre par écrit »[13]

[1] Intranet HR, janvier 2004.

[2] Discours à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de la recherche et de l’innovation, Élysée, 22/1/2009 – cité par Barbara Cassin, « Plaidoyer contre l’évaluation permanente » in CNRS Le Journal, 6/5/2014.

[3] Duru-Bellat Marie, « Les voies subjectives de la domination », La Vie des Idées, 2010 – à propos de : Lorenzi-Cioldi Fabio, Dominants et dominés, les identités des collections et des agrégats, PUG, Grenoble, 2009.

[4] Voir ce qui concerne « la bureaucratisation néolibérale » dans Latteur Nicolas, « Pourquoi sommes-nous évalués ? Les pratiques d’évaluation des travailleurs en question », CEPAG, 2015.

[5] Fortis Banque, Intranet HR, janvier 2004.

[6] C’est parfois vrai, comme nous le verrons à travers un certain nombre d’exemples.

[7] Générale de Banque, siège de Bruxelles, « Note à tous les membres du personnel », n.d. (1988).

[8] Idem.

[9] Document personnel, 1988.

[10] Générale de Banque, siège de Bruxelles, « Note à tous les membres du personnel », n.d. (1988).

[11] Roland Eric, consultant en ressources humaines (document sans références, n.d.).

[12] Idem.

[13] Red Rep’ Paper, n°15, 2/2014 (trad libre de l’anglais)