Radios libres
C’est en 1978 que les premières radios libres sont apparues en Belgique. Où en est-on, près de 20 ans après les débuts de la radio des irréductibles Couvinois1 ? Le bilan est sans doute mitigé.
Certes, le monopole de la radio d’Etat a disparu, au profit de la coexistence de la radio publique et de radios privées. Mais, ces vocables englobent des réalités fort différentes. C’est vrai chez nous, comme dans les autres pays européens. Dans la brèche, ouverte par les pionniers d’une libéralisation des ondes, se sont très vite engouffrés des opérateurs commerciaux. A la liberté d’expression, sans doute malhabile, des premiers radioteurs, s’est rapidement superposée la puissance du "music and news", techniquement mieux fait. Si les premiers ont été reconnus dès 1981, les seconds ont réussi à les occulter, grâce au laxisme des autorités (ce que nous avons appelé la "prime à l’illégalité").
En fait, c’est la radio elle-même qui a évolué. Même la radio publique a ses chaînes commerciales : Radio 21 (côté francophone), Radio Donna (côté flamand) … La manière de présenter les informations et les musiques a généralement glissé vers plus de conformisme. Le ronron des radios majoritaires a fait oublier que certains continuent à faire la radio autrement.
Même si leurs budgets sont très limités et qu’elles n’ont que peu de moyens d’auto-promotion, les héritières des premières radios libres continuent à perpétuer une certaine idée de la radio : espace de liberté d’expression, informations en profondeur plutôt qu’événementielles, variété de musiques, langage radiophonique différent, participation de groupes de citoyens qui n’ont habituellement pas accès à la radio, éducation aux médias, orientation multiculturelle, …
Malgré les difficultés financières, les tracasseries administratives, le bénévolat quasi intégral, des radios comme Radio Air Libre, RZAB, Radio 1180, OSR, Atelier Radio Arlon et quelques autres, sont toujours en ondes. D'autres, apparues plus tard, comme Radio Panik, Radio Campus et Radio Lazer, ont plus de 10 ans d'âge. Il en est même de plus récentes, comme RUN.
Et c’est bien ça qui est le plus formidable : ces radios ne sont pas nombreuses, n’ont pas beaucoup de moyens, mais elles existent, elles perpétuent un certain type de radio, un certain type de relation radio-auditeurs, et divers autres aspects qui ne sont pas possibles sur une radio publique ou commerciale. Plus que cela, les plus dynamiques d’entre elles échangent leurs meilleures émissions et sont en contact avec des radios d’un peu partout dans le monde. La Banque européenne de Programmes radios, une structure souple, créée, en 1987, par l’Association pour la Libération des Ondes, permet de diffuser, en Belgique des émissions réalisées sur le terrain, en France, au Québec, en Afrique, etc., et d’exporter, hors de nos frontières, des émissions des radios d’expression de Belgique francophone. On peut citer l’exemple des campagnes européennes contre le SIDA et contre le racisme.
En participant, tant que faire se peut, aux travaux d’organisations internationales actives e.a. dans le domaine des médias, des droits humains, etc., les animateurs de radios associatives d’expression de chez nous ont créé des liens, au niveau international, qui vont bien au-delà du travail habituel de la radio. Ceci nous motive également à poursuivre notre travail.
Paru dans HARMO-NICA n°9, mai-juin 1997 (feuille de notes du réseau de solidarité Nicaragua en Belgique).
Note:
1) Les habitants de Couvin avaient utilisé la radio libre comme moyen de lutte contre l’implantation d’un barrage dans leur vallée.
Radioscopie
Autobiographie radiophonique : 20 ans de radios libres en Belgique
par Guy Stuckens
1. LA VIEILLE GRUNDIG DE MES PARENTS.
J’ai récupéré la vieille Grundig de mes parents. Elle me sert de table de nuit, depuis des années, d’abord à l’appartement, lorsque je vivais seul, maintenant dans notre chambre. C’est une radio qui date du milieu des années cinquante. Je ne sais pas exactement quand mes parents l’ont achetée : avant ou après ma naissance ? Par contre, je sais que, jusqu’à mes 12 ans (1), c’était la seule source de sons "extérieurs" à la maison.
Ainsi, je me souviens qu’à la mort du pape Jean XXIII, mon père a descendu la radio, qui n’était pas vraiment portable (on n’avait pas encore inventé les transistors), de son atelier du deuxième à la salle à manger, afin de nous permettre d’écouter (religieusement) le reportage.
Ce qui est étonnant, avec les radios de ce temps là, c’est la qualité du son qui en sortait et qui en sort toujours. Il y avait ce petit oeil, qui permet de régler l’antenne intérieure et qui me fascinait. Bien sur, avec l’âge, les lampes ont pris un coup de vieux : depuis plusieurs années, la radio émet d’horribles craquements, pendant un temps trop long, lorsqu’on la met en route. Après, on peut l’entendre normalement, mais, c’est pour ça qu’on l’a mise à la retraite.
Mes premières expériences de techniques de la radios me reviennent à l’esprit : à l’intérieur, ça fonctionne au courant continu. J’en ai fait l’expérience en trifouillant à l’arrière de la Grundig et en restant coller à l’un ou l’autre élément. (Règle numéro 1 : toujours débrancher l’appareil avant de l’opérer !)
2. OHE, LES JEUNES.
Et puis, il y eu "Ohé les jeunes". Au milieu des années 60, il y avait, à la R.T.B.2, deux émissions pour les moins de 20 ans. Claude Delacroix et Michèle Cédric présentaient "Jeunesse 65", puis "66", puis "67", etc. -qui devint ensuite "Formule J"- pour les grands adolescents. Et Roger Simons s’occupait de ceux qui étaient encore à l’école primaire, ou qui venaient de la quitter.
C’était une affaire de famille, puisque sa femme Beb -que nous appelions Babette- s’occupait de la régie (ou de la réalisation, ou de la production, de toute façon : nous en s’en foutait). Et ils avaient un fils de 7 ou 8 ans, Philippe. Il y avait aussi Flock, un canard au rire ravageur à la Donald Duck, à qui il arrivait des tas d’aventures. Ce canard était bien vivant, pour les enfants de mon âge, et, lorsqu’il était malade, pour les besoins de l’histoire, Roger Simons recevait un nombreux courrier et des voeux de prompt rétablissement3. Moi-même, je me souviens avoir été terriblement déçu, le jour où j’ai reçu une photo dédicacée de Roger Simons et de Flock : ce canard n’était pas un vrai canard, mais une poupée en carton-pâte !
"Ohé les jeunes" était une émission à contenu : reportages, jeux (où on pouvait gagner des livres et des BD), interviews, feuilleton radiophonique et musique choisie. Et la participation du public : ceux qui répondaient souvent aux jeux-concours, et n’habitaient pas trop loin, pouvaient venir au studio ! C’est ainsi que je reçu une carte postale m’invitant à venir participer à l’interview de je ne sais plus qui, lors de la prochaien émission. Pendant deux ans, de 1965 à 1967, j’ai été presque tous les mercredis et tous les samedis, à la place Flagey. C’était une expédition, pour moi, car il fallait prendre un bus et marcher un bon moment. Mais cela valait la peine : on n’aurait pu rêver meilleur terrain d’aventure : faire de la radio comme les grands et jouer à cache-cache dans les couloirs feutrés et l’architecture art-déco de la Maison de la Radio. C’est ainsi que j’ai participé activement à l’interviews des plus fameux représentants de l’école Belge de bandes dessinées des années 60 -dont Hergé et Peyo-, mais aussi d’Uderzo (le père d’Astérix) et de Jacky Ickx, qui venait de commencer la compétition automobile.
(à suivre)
Guy Stuckens (été 1997).
Notes :
(*) Guy Stuckens est né à Anderlecht (Bruxelles), en 1955.
Dix ans plus tard, il participe, pendant deux ans, aux émissions pour enfants de la RTB, la radio publique. En 1979, parallèlement à sa carrière professionnelle et à ses études artistiques, il est happé par le mouvement des radios libres. Piqué par le virus de la radio, il sera, dans les années 80 et le début des années 90, responsable d’une dizaine d’associations s’occupant, de près ou de loin, de radio et d’audio-visuel : RZAB, Radio Air Libre, FERL, Banque européenne de Programmes radios, AMARC, Télé-Bruxelles … et l’association culturelle MAM.
Guy Stuckens est un militant de la radio à contenu, que celui-ci soit information, culture, ou les deux à la fois. La radio est un médium qui peut être exploité au niveau du discours ou artistiquement. Elle donne à entendre, clairement ou de façon conceptuelle. Ce n’est jamais la radio qui est importante, mais les situations vécues dont elle est le reflet.
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