INTRODUCTION
Nous avons souligné [25] le fait que, dans le mail-art, l’important ne se trouve pas dans la chose qu’on transmet à d’autres, mais dans la signification contenue dans cette communication. Par rapport à cela, « la phrase de Marshall MacLuhan ‘le médium est le message’ peut être mal comprise. Des lettres dans des bouteilles ou attachées à des ballons gonflables ou à des vaisseaux spaciaux destinés à d’autres planètes, un avion qui écrit dans le ciel au moyen de fumigènes de couleur, la transmission de messages entre tribus au moyen de signaux de fumée, de tam-tams, de télégraphes de brousse, de télégrammes, sont tous des sortes de correspondance différentes utilisées dans un but spécifique. L’utilisation ‘spécifiquement’ artistique de ces médias est supposée définie par la façon dont ils sont employés. C’est ce qui donne au mail-art son caractère propre. » [B3]
Le mail-artiste utilise un certain nombre de moyens, de supports à son art. Pour lui, tous les moyens sont bons : « image d’art, vie, politique, sexe, philosophie, science, communication, temps, espace, chronique, mysticisme, jeux, secrets et le potentiel de produire signes et changements » [144].
Guy Bleus donne une définition « administrative » des formes que le mail-art peut prendre : objets mail-art, cartes postales mail-art, cachets mail-art, cachets artistiques, copy art [145], papier mail-art, livres d’artistes, magazines mail-art, catalogues mail-art, littérature mail-art, mail-art audio et vidéo, book shop mail-art, archives mail-art, assemblages mail-art, listes de mailing, invitations mail-art, définitions et communiqués de mail-art, lectures de mail-art, rencontres et conférence, histoire et philosophie du mail-art, performances mail-art, posters mail-art, graffiti mail-art, projets mail-art, thèmes mail-art, listes de participants, expositions de mail-art, deadlines [146] mail-art, mail-artistes … et le mail-art network » [ ?].
Cette liste n’est évidemment pas limitative. Des membres du groupe AU, comme Cohen, Shimamoto ou Seiei Nishimura, ont réalisé du land-art basé sur la communication [43]. D’autres mail-artistes ont organisé des projets utilisant des télégrammes ou des aérogrammes [147]. Le AU Networking Space a montré des expos utilisant des drapeaux ou des éventails comme matériaux [148]. On notera également l’existence de mail-art utilisant les mass-médias : l’informatique, comme pour le « Particifax » de Mary Misner, la radio, pour le « Night-exercice » [37] de P.R. Meyer, la page de journal, comme Ko de Jonge [149], etc..
« Les mail-artistes, en tant qu’expéditeurs, ont le contrôle absolu sur la production et la distribution des objets qu’ils envoient. Ils écrivent ce qu’ils veulent et choisissent le médium qu’ils désirent. Ils choisissent les dimensions, le poids, ce qu’il y a à l’extérieur et à l’intérieur, mais ils n’ont aucun contrôle sur l’objet après qu’il ait été posté. » [B1]
Presque tous les mail-artistes ont leurs propres cachets, timbres, techniques, messages, leur propre projet, etc.. Ces projets peuvent être personnels ou collectifs.
Un projet personnel peut être, p.ex. : faire chaque jour un travail artistique (comme le « Data Project » de Pete Horobin (GB)), répondre chaque jour à toute la correspondance reçue, participer chaque jour à un projet collectif, etc. … Parmi les projets collectifs, on peut citer les mail-art shows, les mail-art evenings ou les festivals de mail-art. Un travail réalisé dans le cadre d’un projet personnel peut très bien servir de participation à un projet collectif.
Ces projets personnels et participations à des projets collectifs sont évidemment fonction des goûts de chacun : lesmail-artistes affichent volontiers quelques marottes, voir une certaine maniaquerie ou même des obsessions bizarres. Parmi celles-ci, on peut signaler la violence utilisée comme système de défense ou de dénonciation, la sexualité comme provocation, le détournement systématique des objets et systèmes, de leur fonction première.
Ainsi, une revue porno peut très bien devenir le support de collages ou dessins et être envoyée comme objet mail-art [150]. Cette utilisation à des fins artistiques de la pornographie, de revues pornos illégales ou de photos extraites de celles-ci, peut très bien amener des problèmes aux artistes qui les emploient ; p.ex. les problèmes qu’a connus l’éditeur de Pure (Ill-US) [151]. Les mêmes ennuis frappent ceux qui jouent sur l’ambiguïté de la violence ou de la sexualité employées comme propositions extrêmes, dans leurs réalisations ou leurs performances [152].
LES SUPPORTS PAPIER
Si depuis le début des années 80, les supports sonores et magnétiques en général ont pris de plus en plus d’importance dans le mail-art, tout ce qui circule sur support visible (enveloppes, photocopies, fanzines, …) et ce qui s’y rapporte –comme les archives et les expos- reste néanmoins fort important.
LES ARCHIVES MAIL-ART
« Les archives privées sont la première source pour comprendre l’esthétique du networking. » [B1] La plupart des artistes en ont constitué. Elles contiennent « correspondance, catalogues, cartes postales, assemblages, graffiti, timbres, son, vidéo, bouquins, etc. » [107].
Certains mail-artistes, comme Lon Spiegelman (Cal-US), Vittore Baroni (IT) ou David Zack (MX), ont constitué des archives importantes. D’autres ont réuni des documents sur des aspects particuliers du mail-art : cachet (Ruud Janssen/NL), timbres d’artistes (Bernd Löbach/DE), … Des mail-artistes comme Ruggero Maggi (IT) ont réuni des archives par chapitre (cartes postales, timbres, …) et ont chaque fois organisé une exposition pour montrer la matière qu’ils avaient réunie. Chaque expo étant accompagnée d’un catalogue étudiant cet aspect du mail-art.
Guy Bleus (BE), de par son intérêt pour la vision « administrative » du mail-art, peut être considéré comme le « conservateur » de l’esprit du mail-art. (C’est sans doute lui qui a le mieux compris cet « esprit ».) Guy Schraenen (BE) possède une des plus belles collections de documents sur les débuts du mail-art et les mouvements qui ont influencé ces débuts [153]. Des centaines d’autres exemples pourraient être donnés.
EXPOSITIONS
Comme signalé ailleurs [54], le mail-art se fait connaitre, depuis les années 70, par des expositions. Celles-ci sont généralement réalisées autour d’un thème, d’un projet. Des invitations mentionnant format désiré, type de support, deadline [146], etc., sont envoyées soit directement, soit par le biais de revues de fanzines ou de lettres d’informations [154], à un maximum de mail-artistes. Ceux-ci réagissent en envoyant leur participation, en fonction des affinités qu’ils ont avec l’organisateur (ou le groupe organisateur), de l’intérêt qu’ils portent au thème, de l’assurance qu’ils ont que leur travail sera exposé, qu’il y aura un catalogue, etc..
Le pourcentage de réponses aux invitations varie en fonction de la qualité du fichier à qui on les a envoyées. Ainsi, pour le projet « Born to survive » (au moyen d’aérogrammes), Guy Bleus a envoyé 600 invitations et reçu une réponse de 570 artistes, dont certains ont envoyé plusieurs travaux.
Il n’est pas rare de voir un projet rassembler plus de 1000 travaux [155]. Il n’est pas rare non plus qu’un mail-artiste participe à des centaines d’expos mail-art par an [156].
Sauf exception, les travaux ne sont pas retournés à leurs créateurs ; soit ils restent dans les archives de l’organisateur, soit l’expo voyage et est présentée dans plusieurs endroits, soit encore ils entrent dans une collection publique [157]. Par contre, il est très rare que l’organisateur n’envoie pas un catalogue, l’affiche de l’expo, des copies d’articles de presse, ou d’autres documents, aux participants.
La règle qui prévaut, en matière d’expos mail-art, c’est qu’il n’y a pas de jury, c’est-à-dire que l’organisateur doit exposer tous les travaux qu’on lui envoie. Il n’y a donc pas de censure esthétique, même si les travaux envoyés sont en opposition avec les critères ou options esthétiques de celui qui expose.
Mais il n’y a pas que des expos de travaux envoyés sur un thème. Il y a aussi celles qui présentent un ensemble de travaux reçus récemment par l’organisateur, ou bien un choix de travaux (sur base d’un thème ou bien d’un type de médium : cartes postales d’artistes, livres d’artistes, etc.) extraits de ses archives [158].
Les expositions consacrées aux travaux d’un seul mail-artiste sont rares [159]. Généralement, elles rassemblent au moins quelques artistes.
Lors des expositions, les travaux sont exposés soit individuellement, soit sous forme de panneaux, soit « fondus » dans un mural [160].
En 1985, une première expo de mail-art a été présentée en Chine populaire, ainsi qu’en Israël (il s’agissait, dans les deux cas, de mail-art étranger, puisqu’il y a très peu de mail-artistes dans ces pays). La même année, John Held a publié un catalogue de toutes les expositions mail-art qui ont eu lieu dans le monde entre 1970 et 1985 [161].
À signaler également, l’organisation d’« apartment exhibitions » [162], dont la pratique est née, dans les pays de l’Est, de l’impossibilité d’exposer dans des galeries officielles, mais qui se pratiquent aussi dans les pays occidentaux. Ce type d’expos correspond de même au désir de vivre dans une galerie, de vivre dans l’art. Pour les mêmes raisons, des expos trouvent refuge dans des églises [163] ou des centres culturels indépendants.
Un des matériaux les plus difficiles à exposer reste le son, et les expos de sons sont rares.
L’ENVELOPPE ARTISTIQUE
L’enveloppe est le premier « terrain » de prédilection du mail-artiste. C’est l’endroit le plus public où peut s’exprimer le mail-art et son désir de transgresser les lois postales, ainsi que le catalyseur de toute l’activité de « détournement ».
Tout ce qu’on met sur l’enveloppe peut donner lieu à activité artistique : façon dont on dispose les timbres [164], timbres d’artistes, cachets administratifs et d’artistes, autocollants, inscriptions, collages, dessins, etc.. Il y a aussi le « recyclage » d’enveloppes, lorsque des artistes utilisent successivement la même enveloppe, en y ajoutant chaque fois des timbres de leur pays, leurs cachets et leurs inscriptions. Il y a là création par consensus tacite de véritables œuvres d’art collectives.
Il y a aussi l’utilisation de la poste et de l’enveloppe à d’autres fins, p.ex. dans la « correspondance indirecte », un procédé où le but recherché est de faire revenir un pli à son expéditeur [165].
TIMBRES-POSTE D’ARTISTES
« Depuis que l’artiste Fluxus américain Robert Watts a édité ses timbres Fluxus en 1964, beaucoup d’artistes ont utilisé les timbres comme médium pour la transmission de leurs messages créatifs. » [166] Les timbres créés par Watts étaient sa forme de participation à l’idée de G. Maciunas de créer un état Fluxus représenté aux Nations-Unies.
L’utilisation de ces timbres est e.a. suscitée par le désir de voir les réactions de l’Administration des Postes par rapport à de tels timbres. Ce petit bout de papier, ou cette petite surface, est le lieu où se synthétise tout le jeu que le mail-artiste réalisé avec le Service des Postes : satire, impertinence, iconoclasme p.r. aux sujets représentés sur les timbres officiels, apport d’un message politique, pacifique, artistique, etc. … Ceci ne va pas sans réaction de la part de la Poste [167].
Quelquefois, l’Administration des Postes, elle-même s’y trompe, et des plis voyagent avec pour seul affranchissement des timbres d’artistes !
Par rapport à des timbres officiels où les artistes ne se reconnaissent pas, il y a leur volonté de créer des timbres à soi (c’est-à-dire d’un « état de soi ») [168]. C’est ce qu’expriment certaines mentions sur les timbres : « Beeb Post (Mimi Acosta), Banana Post (Anna Banana), Ego Post (Peter Below), Panpost (Mark Bloch), Doo Da Post (E.F. Higgins III), Tristan Local Post (Harley), Ewok Post (Gunther Löbach), Atlantis Free Post (Pawel Petasz). » [166]
Pour créer leurs timbres, les mail-artistes modifient de vrais timbres de l’Administration des Postes : « prolongement » du timbre [169], ajout de moustaches ou lunettes au personnage représenté ou « déplacement » de son œil dans un autre coin de l’enveloppe ; ou encore : mettre une photo du nouveau chef d’État à la place de l’ancien, inclure un petit collage, une petite photo (p.ex. porno) ou modifier un élément du « vrai » timbre. Il y a des timbres pièces uniques, comme œuvre d’art miniature [170], ou des timbres réalisés au moyen de photos (B. Tisa), p.ex. une photo de l’artiste …
Les timbres peuvent se faire très facilement, via la photocopie (noir et blanc, ou couleur), mais le problème des perforations se pose ; problème que les artistes résolvent de diverses façons [171]. Il y a aussi les cachets en forme de timbre.
Certains artistes, pour leur donner un aspect très professionnel, vont jusqu’à faire réaliser leurs feuilles de timbres par des firmes spécialisées, en offset et, souvent, en couleur (Cavellini). Quelquefois aussi, les timbres sont imprimés directement sur l’enveloppe.
Les artistes éditent des feuilles de timbres, soit avec des timbres d’un seul artiste ou mouvement, soit de plusieurs artistes (G. Schraenen) ou au nom de plusieurs artistes (V. Baroni, H. Fricker). Parmi les éditions de timbres qui ont fait date dans l’histoire du mail-art, citons celle des timbres Zeropost, en 1974, par Endre Tót (HU) [172].
Certains artistes [173] envoient leurs feuilles de timbres à d’autres afin qu’ils les emploient sur leur courrier.
CARTES POSTALES
Les cartes postales artistiques sont très prisées par les mail-artistes. Ils en réalisent beaucoup et se les envoient.
Il s’agit de cartes postales réalisées à la main, ou des cartes postales existant dans le commerce et sur lesquelles l’artiste est intervenu (collage, inscription, etc. …), de cartes postales comprenant un dessin, un collage, un ou plusieurs cachets d’artiste, une inscription, un graffiti. Il y a des cartes postales produites en petites quantités, au moyen de photocopies, ou réalisées en photo ou en gravure (sur bois, linogravure, …) ; p.ex. par les mail-artistes de l’Est [174]. Quelquefois, les mail-artistes font imprimer leurs propres cartes postales.
Certains projets mail-art consistent à envoyer une carte postale à des participants qui doivent la compléter et la renvoyer [B3]. Il y a des « chain-letters » qui fonctionnent exclusivement avec des cartes postales, et des expos qui leur sont consacrées, avec, parfois, des milliers de cartes différentes en provenance de partout dans le monde [153].
CACHETS
Rares sont les mail-artistes qui n’ont pas leurs cachets en caoutchouc. Ces cachets sont de plusieurs types :
Certains mail-artistes réunissent de véritables collections de cachets [176], proposent des échanges, possèdent des centaines d’empreintes de cachets d’artistes du monde entier [177], réunissent des cachets que leur envoient les mail-artistes et en impriment de grandes feuilles qu’ils renvoient ensuite, avec une liste d’adresses et d’autres documents, aux expéditeurs [178]. Les cachets eux-mêmes –« marque » personnelles par excellence– peuvent donc circuler à travers le monde.
XÉROGRAPHIES [179] ET COPY-ART
Moyen de reproduction pratique, rapide et peu onéreux, la photocopie connait un emploi massif et généralisé chez les mail-artistes ; non seulement pour la transmission d’informations, mais également comme moyen d’expression artistique à part entière. D’où l’invention de diverses techniques et utilisations qui mettent en œuvre ce moyen.
Des collages peuvent être photocopiés, rehaussés de couleurs, de cachets, etc., et on trouve quelques grands spécialistes de cette technique (R. Wilderjans/BE). Des mots, des phrases, découpés dans diverses revues, peuvent donner naissance à des textes ou poèmes étranges ; des juxtapositions d’images peuvent, de même, créer des ambiances surréalistes …
La photocopie permet de réaliser beaucoup d’autres moyens mail-art : cartes postales, timbres, revues, … et ce à peu de frais. Malheureusement, dans certaines régions du monde (Europe de l’Est), les mail-artistes ne disposent pas de photocopieuses.
La qualité de reproduction (aplats, …) obtenue sur certaines photocopieuses permet de réaliser des revues de grand intérêt (Devil/Paradis [180]). De même, la photocopie couleur est fort appréciée des mail-artistes. Relativement chère, elle est peu employée, sauf par quelques artistes des U.S.A. (Midnight/Lo-US) et par certains pour les jaquettes de cassettes autoproduites (Solomonoff & Von Hoffmannstahl/NJ-US, Black Box/BE).
Certains projets, de même que certaines expos sont réservés exclusivement au copy-art.
CHAIN-LETTERS
Les « chain-letters » sont ces lettres qui reprennent une liste de 5-10 adresses ; il faut envoyer quelque chose (une cassette, un fanzine, une carte postale, une photo ou un dessin érotique) au premier de la liste, barrer son nom, inscrire ses coordonnées en bas de liste, faire une dizaine de copies et les envoyer. À quelques exceptions près, les mail-artistes s’en envoient l’un l’autre, car elles sont un des moyens de connaitre le travail des autres, de faire connaitre son travail et … de compléter ses listes d’adresses. Les mail-artistes n’hésitent d’ailleurs pas à s’envoyer les adresses de leurs meilleurs contacts, voire des listes d’adresses.
REVUES, FANZINES [181], PUBLICATIONS
Une multitude de revues, fanzines et publications circulent dans les circuits mail-art. Certains mail-artistes se spécialisent dans l’échange de telles revues.
Un certain nombre de ces revues sont à la frontière entre le mail-art et le non-mail-art. Il s’agit principalement de revues d’art, de poésie, de musique, etc., qui publient régulièrement des travaux de mail-artistes, ou consacrent une partie de chaque numéro au mail-art. En montrant ces travaux, en parlant de ceux qui les font, elles contribuent à faire connaitre le mail-art et ses diverses formes à un public plus grand [182].
Quant aux revues de mail-art proprement dites, souvent « petites, faites avec les moyens du bord, généralement en photocopie, elles sont bourrées d’infos sur les petits labels, sur les fanzines, sur le mail-art, pleines de petits dessins, de poésie étrange » [183]. Quelquefois conçues comme numéro unique, elles peuvent aussi avoir une existence éphémère ou une parution régulière [184]. Régulièrement, les mail-artistes qui travaillent principalement avec ce type de revues, voient leurs travaux publiés dans plusieurs de ces revues [185].
Parmi les revues qui sont en marge du mail-art, il faut citer celles qui sont consacrées à certains courants artistiques actuels (Force Mental/BE), celles qui ont trait à la musique et auxquelles participent des mail-artistes spécialisés dans ce domaine : articles sur les groupes de musique mail-art, sur le réseau des petits labels, etc. (Anonyme/FR, Room 101/FR) et celles qui appartiennent au courant punk.
Une revue mail-art peut être le projet d’un mail-artiste ; c’est-à-dire que le mail-artiste qui l’anime réunit des travaux de divers mail-artistes (p.ex. sur un thème donné), les met en page et publie le tout. Parfois, il y a des numéros spéciaux consacrés à un seul mail-artiste [186].
Les revues mail-art peuvent se présenter sous différentes formes : de la feuille A4 recto-verso en photocopie (Panmag, de Mark Bloch/NY-US) à la pochette d’images (Activity, de Dirk Van Severen/BE), en passant par la plaquette qui raconte une histoire (« Péniches » de D. Patte et J.B. Cornaway/FR) ou le livre d’art (AU book/JP), etc. … Les moyens employés sont très différents selon les cas : stencil à encre (Parallel/BE, Second Manifesto/YU), photocopie ou offset, collages, …
Certains mail-artistes réalisent des revues où ils s’expriment de plusieurs façons : collages, dessins, copy-art, poésie, texte, … (Artzine, de Christophe Baudelot/FR). D’autres utilisent divers types de reproduction : photocopie, stencil à alcool, sérigraphie, etc., sur différents types de papiers ou supports (Camera Obscura/BE).
Il y a aussi de nombreuses feuilles d’information, comme T.A.M.-Bulletin (NL), Participacion (UY), Strange Daze (FR) ou les AU Newsletters (JP), qui donnent des informations sur les projets et expos mail-art, sur les activités des mail-artistes, etc.. Une revue comme Red Line (FR) « assume le travail ingrat mais enrichissant de revue des revues et de critique/appréciation des productions diverses (cassettes, projets, etc.) qui circulent dans les réseaux mail-art et autour » [183].
Signalons également les revues et journaux collectifs (Creatif Art Revue), celles qui annoncent des expositions (Archive Space/BE), celles qui s’inspirent des techniques de la « BD », réalisées par un seul artiste (Journal of Pure Art/Co-US) ou par plusieurs (Art Police/Mn/US) ou font le bilan d’un projet, etc..
Un nombre important de revues mail-art sont consacrées à la poésie, que ce soit la poésie visuelle ou une vision « mixte » de la poésie (collages, poèmes, dessins, poèmes visuels, …). Autre catégorie particulière de publications : les catalogues d’expos, dont certains sur ou comprenant des microfiches [187] ou d’autres supports inhabituels, et les documents d’archives ou témoins d’un projet.
Les catalogues et certaines revues sont d’une grande importance pour connaitre le mail-art et ceux qui le pratiquent. Ainsi, Copy-left de Manfred Stirnemann (CH) dresse un portrait du mail-art par tranche (chaque numéro est consacré à un thème, un sujet) ; Arte Postale de V. Baroni (IT) et Clinch de Günter Ruch (CH), avec des parties entièrement imprimées et d’autres qui rassemblent divers types de documents : travaux photocopiés, originaux et tirages numérotés, autocollants, timbres, petits objets, etc..
Parlons également de magazines comme Smile ou Common Press, dont chaque numéro est publié par quelqu’un d’autre, et qui représentent ainsi un exemple de « pensée multidimensionnelle » et internationale. « Smile » est le nom choisi par Monty Cantsin [188] p.r. à un magazine international aux multiples origines. Le nom est fixé, le type de magazine ne l’est pas. » [189].
Common Press, lancé en 1977 par Pawel Petasz (PL) [190] qui a défini un cadre auquel les futurs éditeurs doivent se conformer [191], se définit comme « une sorte de performance internationale continue, une performance par laquelle chaque participant est encouragé à éditer et publier un numéro du magazine, avec son propre thème et son format. C’est une performance collective ; créée, produite et (avec la participation de) par ses nombreux collaborateurs. » [192]
Très souvent, les revues de mail-art sont publiées dans de très petits tirages (20, 100, 150 exemplaires …), couramment numérotées et parfois signées par leur éditeur.
Ceci nous amène aux livres-objets et aux livres d’artistes. Ces derniers peuvent être des pièces uniques (publiées à un exemplaire) ou de petits tirages composés d’originaux, comme c’est le cas, p.ex., pour Arte Postale ou Total (YU). Pour Total, « chaque numéro est publié en 133 exemplaires, selon le principe suivant : Nenad (Bogdanovic) lance l’invitation dans les réseaux mail-art, pour que chaque artiste lui envoie 133 copies d’un de ses travaux. Cela donne souvent des travaux rehaussés par des artistes, voire des originaux, des timbres d’artistes, des cachets, etc.. Les participations viennent évidemment de tous les pays » [183].
Les livres-objets sont plus rares. Citons le très dadaïste « Armadio e Officina : Osservazioni critiche sulla funzione nel nervo ottico nella semiotica dell’arte » [193] de Nicola Frangione (IT), qui présente une succession de pages entièrement blanches et de pages entièrement noires ! Francisco Felipe (ES) a réalisé « Der Kitzlerbändiger » (1983), avec des cartes perforées d’ordinateur, dont les perforations marquent des données, des messages, portent des découpes ou des dessins, le tout ficelé avec des nœuds savants.
Des expos et des archives sont consacrées à ce genre de revues et d’objets.
OBJETS MAIL-ART
Les mail-artistes s’envoient quelquefois des objets artistiques. Ceux-ci sont généralement de petit format, vu le médium (la poste) et souvent réalisés à partir de peu de choses (bouts de carton, cartes perforées, matériel de récupération, petites boites, etc.). Néanmoins, ces objets sont souvent –comme d’habitude chez les mail-artistes– pleins de signifiant : ainsi, « Hervé Fischer recevant un morceau de bois brûlé de la maison de Klaus Groh, témoignage de l’incendie » [194], un sachet contenant des cheveux ou des poils (l’expéditeur s’est rasé ou fait coupé les cheveux), un morceau de papier avec des marques (« morceau » d’une performance), etc..
Il y a aussi toutes sortes de boites, telle celle réalisée par Entr’act et Camera Obscura, sous le nom « P.O.W. art », et comprenant des fiches adresses de mail-artistes du monde entier, illustrées chaque fois d’un de leurs travaux.
Certains mail-artistes réalisent également des masques, des dessins pour T-shirts, des chapeaux, des objets divers … Certains projets utilisent exclusivement ce type de support [195].
Dans le domaine des emballages, des mail-artistes utilisent divers types de boites –au départ pas prévues pour cet usage– pour envoyer leurs travaux. Ces boites deviennent à leur tour objets artistiques, par la façon dont elles sont utilisées, décorées, détournées [196].
GRAFFITIS
Le mail-art n’a pas la prétention d’englober l’expression qui se signale par le graffiti. Néanmoins, il y a des recoupements, des zones communes entre mail-art et graffiti.
Plusieurs graffiteurs ou graffitistes [197] sont également mail-artistes. Citons Metallic Avau (BE), qui possède une documentation des plus complète sur les graffitis, et dont le périodique, Aérosol (26 numéros en 8 ans), est expédié à environ 1000 personnes, partout dans le monde. Il a organisé, en 1981, une exposition intitulée « Graffiti mail-art », réunissant 258 travaux, en provenance de 27 pays, sur ce thème [198]. « C’est la poste, ici, avec son potentiel de communication, d’anonymat, d’échange et de rencontre, qui joue le rôle du mur. » [199] Metallic Avau a également réalisé le « Mur des Communications », un mural comprenant des participations envoyées spécialement par des mail-artistes [200].
Il faut aussi mentionner le « Shadow Project », lancé par des artistes américains, relayé partout dans le monde, et auquel un nombre important de mail-artistes ont participé : le 6 août 1985, à l’occasion du 40ème anniversaire du bombardement d’Hiroshima, il s’agissait d’attirer l’attention des passants, dans des villes de 35 états des USA, 7 provinces canadiennes et 15 autres pays, sur le danger de la course aux armements ; ceci en bombant des ombres (selon un patron envoyé par les artistes) sur les trottoirs. Le projet italien, animé par Ruggero Maggi, réunissait les participations de 120 artistes ou groupes d’artistes, pour la plupart mail-artistes [201]. Déjà le rendez-vous est pris pour le 6 août 1986.
Phénomène international (du moins occidental), le graffiti a d’autres points communs avec le mail-art : il est gratuit, ludique et subversif, dans la mesure où il transgresse la Loi (d’où la répression) ; mais transgresser, c’est aussi dépasser les formes d’expression conventionnelles … Le non-professionnalisme et la négation des droits d’auteurs [202] sont deux autres aspects communs aux deux formes d’expression. Certains vont même jusqu’à envoyer des mini-graffitis personnalisés par la poste, p.ex. sous forme de cartes postales (Metallic Avau), ou alors des photos de graffitis réalisés par eux ou par d’autres. Des revues, qui parlent de mail-art, reprennent quelquefois ces travaux [203]. Des catalogues, des jaquettes ou emballages de cassettes sont réalisés selon les techniques du bombage (au moyen de caches, …). Des enveloppes, des chromos détournés, tout peut devenir support pour graffitis.
En décembre 1985, Metallic Avau distribuait et envoyait à ses amis du graffiti-mangeable : des petits sachets en plastique contenant des vermicelles-alphabet (comme on en met dans la soupe) !
Au chapitre des différences, notons que le graffitisme, manifestation généralement anonyme, appartient au domaine de l’ « art public », bien plus que le mail-art, puisque ce dernier est, par force, adressé. Dans les deux cas, néanmoins, il s’agit d’un besoin d’expression –proche de la « force irrésistible » dont parle le droit–, de laisser une trace, de s’affirmer en tant qu’acteur social et de le faire par le biais de la marginalité.
« Accepter que le graffiti est un art voudrait dire que chacun peut devenir un artiste. » [204]
POÉSIE VISUELLE
Il y a des liens importants entre la poésie visuelle et la poésie sonore. Elles circulent via les réseaux mail-art, mais pas uniquement. Bien souvent, les poètes visuels sont aussi poètes sonores, et les deux types de poésie sont exposés en même temps [205].
La poésie visuelle est une forme d’écriture poétique qui désire créer l’émotion poétique, non par la compréhension de mots mis en phrases rimées ou non, mais par l’emploi de mots ou d’images agencés dans un esprit artistique. « La forme d’écriture est en même temps une hypothèse de recherche et une donnée historique. » [206] Il y a plusieurs formes de poèmes visuels : textes calligraphiés, poèmes mécaniques (p.ex. : réalisés grâce à une « machine » à écrire), poèmes typographiques, etc.. Néanmoins, il y a une différence, dans le but poursuivi, entre la poésie visuelle et la poésie concrète, même si celles-ci font partie plus généralement de la poésie « expérimentale » –propre à séduire les mail-artistes– dont Anna et Martino Oberto dressent un « inventaire » : la poésie expérimentale peut être « visuelle, concrète, aléatoire, évidente, phonétique, graphique, élémentaire, électronique, automatique, gestuelle, cinétique, symbiotique, idéographique, multidimensionnelle, spatiale, artificielle, permutationnelle, inventive, simultanée, casuelle, statisticienne, programmée, cybernétique, sémiotique, etc. » [ réf. ?].
La poésie visuelle recourt assez constamment à l’usage de collages. Cette technique permet de récupérer un matériel iconographique et linguistique diversifié. Ainsi, il y a moyen de créer des poèmes visuels à partir de mots ou de titres découpés dans le journal du parti au pouvoir … [207] Il y a aussi les mots. « Les mots, dans un poème visuel, ne sont pas simplement des mots libéré de toute syntaxe et disséminés sur une page. (…) Le mot introduit dans l’espace visuel est (…) une unité se suffisant à elle-même (…). Il n’est pas objet, il est énergie en un point de l’espace. » [208]
LE DOMAINE DU SON
à voir la page 1.6.b