Nous détaillons, ci-dessous, une série de problèmes rencontrés sur le terrain.
PROBLÈMES DES CDD
Les travailleurs sous contrat à durée déterminée font généralement l’objet d’un suivi, sous forme d’évaluations régulières, différentes du système d’appréciation, dont la finalité est souvent de repérer les éléments susceptibles d’être engagés à durée indéterminée.
Souvent, ils ne participent pas aux conséquences (e.a. financières) comme les autres travailleurs. Parfois parce que la date de paiement est postérieure à leur départ de l’entreprise. Parfois parce qu’il n’y a tout simplement pas d’évaluation finale en fin de contrat. Mais, même s’il y a évaluation et paiement, après la fin du contrat, qui va revenir dans l’entreprise pour un recours contre son évaluation ?[1]
CONSÉQUENCES DES OBJECTIFS QUI DISPARAISSENT
Étant entendu que l’appréciation porte sur le travail normal et surtout sur ce qu’on fait en plus que le travail normal, que ce passe-t-il si les possibilités de faire plus que le travail normal ou certains objectifs fixés disparaissent ?
Exemple 1 - Après des années sans objectifs fixés, un chef, voulant faire comme prévu dans sa formation de manager, donne des objectifs à ses subordonnés. Quelques jours plus tard, on annonce une grosse opération, qui mobilisera toutes les forces jusqu’à la fin de l’année. Du coup, les objectifs fixés sont « mis dans le tiroir ».
Exemple 2 - Un des objectifs fixés concerne un nouveau projet (mise en place d’un nouveau programme informatique, produit, outil de travail, …), mais, en cours d’année, ce projet est abandonné. La « neutralisation » de cet objectif, lors de l’appréciation, peut poser problème, certainement là où on fixe un nombre limité d’objectifs : la suppression de cet objectif et le report de son « poids » dans l’évaluation sur les autres objectifs peuvent entrainer un déséquilibre[2], un objectif mineur peut devenir important. D’autre part, si on a l’idée de neutraliser cet objectif en lui accordant un « bien » lors de l’appréciation, cela risque d’influencer la moyenne[3]
PROBLÈME DES OBJECTIFS FIXÉS FORT TARD
En général, les objectifs individuels s’inscrivent dans le cadre des objectifs fixés au niveau de la section/de l’équipe, eux-mêmes faisant partie des objectifs du service, du département, etc. Si ces derniers tardent à être fixés, on en arrive parfois à fixer les objectifs individuels quand la moitié de l’année est déjà passée ; autrement dit : si on retire les congés d’été, il reste moins d’une demi-année pour réaliser les objectifs annuels ! Et que dire des objectifs fixés en septembre ?
CHOISIR ENTRE OBJECTIFS OU RÉCUPÉRATION ?
Une des conséquences de la flexibilité accrue des horaires est que certains travailleurs accumulent de nombreux jours à récupérer, car on leur demande de prester plus pour réaliser p.ex. un grand projet. Comment récupérer un ou deux mois, l’année suivante, en plus des congés, si on fixe des objectifs pour une année normale. Dans certains cas, il a fallu imposer syndicalement non seulement qu’il soit tenu compte des récupérations lors de la fixation des objectifs, mais que les récupérations soient incluses dans les objectifs des travailleurs et de leur chef[4] !
NON-PAIEMENT DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES
Dans le même ordre d’idée, un travailleur qui fait régulièrement des heures supplémentaires (non payées), par excès de zèle ou par obligation[5], et qui parvient ainsi à être « au-dessus des attentes », risque de se voir attribuer un « TB » ou un « TTB » par son chef, lors de l’appréciation. Ce qui crée une inégalité par rapport à son collègue qui respecte les horaires. Mais il s’agit là d’heures supplémentaires bien mal payées, au regard de l’importance relative de la prime.
De plus, son attitude de braconnier ne permettra pas de détecter une situation problématique (manque de personnel, …) et d’y trouver une solution structurelle et/ou organisationnelle. Son attitude –emplâtre sur une jambe de bois– ne devrait donc pas être récompensée … Mais, certainement dans les grandes entreprises et organisations, ce genre de « solution » est souvent préférée à celles où on fait vraiment face aux problèmes.
APPRÉCIATION ET CLASSIFICATION
La classification doit correspondre à ce que le personnel fait réellement. Plus exactement : qu’attend-on d’une personne qui exerce telle fonction ? Et, de là, que fait-on si une personne est au-dessus ou en-dessous des attentes ?
Une personne ayant régulièrement de bonnes appréciations devrait donc plus facilement entrer en ligne de compte pour une promotion. Pourtant, cet élément est peu utilisé.
Par contre, si dans une entité où les évaluations sont habituellement basses, le personnel n’est également pas reconnu à sa juste valeur au point de vue classification, cela crée des frustrations importantes.
TRAVAILLEURS MALADES OU HANDICAPÉS
En principe, chacun devrait recevoir des objectifs. Des objectifs fixés, selon la règle, en fonction des capacités de la personne. Mais, si on fixe un objectif général –le même pour tous les travailleurs de l’entité– que fait-on des travailleurs handicapés (sourds, …) ou souffrants d’une maladie invalidante (diabète, sclérose en plaques, …) ? Si on les exclu de l’appréciation (et de la prime qu’elle a comme conséquence), ces travailleurs se sentent doublement discriminés ; leurs efforts pour travailler le plus normalement possible ne sont pas récompensés. Suite à l’intervention syndicale, ces travailleurs ont pu participer au système d’appréciation, comme les autres travailleurs.
Si la maladie est reprochée, lors de l’entretien individuel, alors que les travailleurs en question font souvent de gros efforts pour venir travailler « malgré tout », on n’est plus dans un problème d’appréciation, mais bien dans celui de la place des handicapés et malades chroniques dans l’entreprise : là où la législation prévoit une adaptation spécifique du travail au travailleur concerné, on se heurte souvent à des normes de productivité qui ne tiennent pas compte de ces handicaps.
TEMPS PARTIELS
Dans le même ordre d’idée, on constate que les travailleurs à temps partiel sont généralement mal appréciés. Or, si les objectifs étaient correctement fixés[6], cela ne devrait pas être le cas.
CONCURRENCE
Il peut y avoir problème, si on a reçu un objectif de coopération avec des collègues, mais que ceux-ci refusent de coopérer ou considèrent leur travail comme leur « chasse gardée ». Même type de problème pour celui qui a reçu l’objectif de former un ou des autres collègues, si ceux-ci ne sont pas très réceptifs (ou si le « formateur » n’a pas les compétences pédagogiques nécessaires).
SUPPORT ADMINISTRATIF EN AGENCE
Dans les années 1980, des personnes venant des services administratifs ont été envoyées en agences, pour renforcer celles-ci. Cela n’a pas toujours été un succès au point de vue commercial … Elles ont souvent été orientées vers des tâches de soutien, au sein de l’agence : suivi administratif, contacts avec l’administration centrale, …
À partir du moment où les objectifs en agence ont été orientés principalement vers l’ « apport brut » de chaque commercial, ces personnes se sont trouvées d’office exclues du système d’appréciation (alors même qu’en déchargeant les commerciaux des tâches administratives, elles permettaient à ceux-ci de se concentrer sur leurs objectifs commerciaux !).
Ce genre de cas a renforcé la conviction syndicale qu’il fallait absolument défendre le principe d’une prime de base payée à tous les travailleurs, et moduler celle-ci en fonction de l’appréciation : moins en cas d’insuffisant, plus pour ceux obtenant plus que « B ».
OBJECTIFS ET OBJECTIFS COMMERCIAUX
Dans les secteurs commerciaux, il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a aussi des objectifs commerciaux, qui donnent droit à des primes commerciales, à côté des objectifs fixés dans le cadre des appréciations dont il est question ici. La réalisation et l’évaluation de ces objectifs commerciaux sont aussi source de problèmes, qui s’ajoutent aux problèmes de l’appréciation … Ce qui ne fait que renforcer le stress, la démotivation, etc..
APPRÉCIATION TARDIVE OU INCOMPLÈTE
Le timing de la procédure d’appréciation et de la fixation des objectifs est assez serré. Il est anormal de recevoir des objectifs plus de six mois après le début de l’année. De même pour les appréciations : comment (si besoin) améliorer sa façon de travailler et réaliser les objectifs d’une année s’il reste moins de six mois à prester ? Comment aller en appel quand la procédure d’appel est clôturée ?
Sans éviter les problèmes liés à la mutation, voir au décès, de l’appréciateur, avant la fin de la procédure[7]. Dans certains services, le problème est particulièrement grave en 1988 ; il est évoqué lors de la Délégation syndicale du 25/8/1988. Dans sa réponse, la direction indique qu’elle espère que la fixation des objectifs 1988 sera terminée « vers le 16 septembre »[8].
Variante : un premier entretien d’évaluation a lieu au printemps, le travailleur prépare sa réponse, en vue de la finalisation[9] … qui n’a jamais lieu ! Résultat : il apprend son score lors du paiement de la prime …
En février 1999, un travailleur questionne son chef : « avant de passer à l’appréciation 1999, ne convient-il pas de terminer celle de 1998 ? ». Après avoir changé une fois de section et deux fois de chef en 2000 –sans aucun entretient ‘de passage’, précise-t-il– il repose la même question en février 2001, en ajoutant qu’il doit toujours avoir l’entretient lui permettant de communiquer ses remarques sur l’appréciation 1999 (sur l’année 1998) et qu’il attend toujours les réponses à ses questions concernant l’appréciation 1998 (sur l’année 1997) …
Là, on a un exemple de travailleur qui veut faire les choses correctement –et n’y arrive pas– là où la plupart de ses collègues ne s’y intéressent pas ou estiment que cela ne vaut pas la peine d’y consacrer du temps ! La démarche d’appréciation est-elle pur formalisme ? Pourquoi, alors, y consacrer autant de temps, d’énergie et de moyens ?
FUSION PUBLIC-PRIVÉ
La CGER[10], le plus important employeur du secteur financier public, avait développé un système d’évaluation, adapté à son cadre social. Ce dernier prévoyait e.a. une « promotion dans le grade »[11] pour les membres du personnel ayant obtenu, pendant plusieurs années successives, de bonnes appréciations.
Lors de la fusion avec la Générale de Banque, en 1999, les sections syndicales de la CGER, qui avaient pu obtenir de meilleures conditions (e.a. financières) pour le personnel que celles de la Générale de Banque, se sont rapidement rendu compte que les règles en vigueur à la CGER, appliquées par une hiérarchie issue de la Générale de Banque et selon les principes en vigueur chez cette dernière, risquaient d’amener de véritables catastrophes. Pour les prévenir, une série de garanties firent l’objet de conventions de transfert[12].
En ce qui concerne les appréciations, il fut convenu que tous les employés[13] de la CGER ayant travaillé de la même façon que l’année précédente, devaient obtenir la même note d’appréciation : majoritairement un « TB ». Ce qui était logique, mais fut ressenti comme une injustice par les travailleurs méritants issus de la Générale de Banque. En effet, dans une logique de quotas, si vous devez donner conventionnellement un « TB » à tous vos employés de l’ex-CGER, il ne reste rien pour ceux de l’ex-Générale de Banque qui ont travaillé tout aussi bien …
APPRÉCIATION ET ACTIVITÉS SYNDICALES
Même si, dans les grandes entreprises, il y a des délégués qui sont libérés à 100% pour leurs activités syndicales, la majorité des délégués sont actif, dans des proportions variées, professionnellement et syndicalement. Nous n’entrerons pas ici dans l’analyse visant à savoir si et dans quelle mesure ce cumul représente un avantage ou un inconvénient pour les intéressés. Mais, qu’en est-il de ceux qui consacrent la majorité ou l’entièreté de leur temps de travail aux activités syndicales ?
À la Générale de Banque, ceux qui avaient plus de 80% de temps syndical ne recevaient pas d’appréciation (et donc pas la prime qui y est liée). À la CGER, l’approche était différente, le travail syndical étant considéré comme une contribution au bon fonctionnement d’ensemble. La prime se basait sur la moyenne des scores obtenus par le personnel. C’est le même principe qui sera retenu, par la suite, au sein de Fortis Banque[14], puis de BNP Paribas Fortis. Le score moyen ou le score le plus attribué étant souvent plus élevé que ce que les intéressés auraient pu obtenir dans leur service …
CRISES, FAILLITES, ETC.
Si des groupes financiers comme Fortis et Dexia ont failli disparaitre, en 2008, c’est principalement la faute de décisions stratégiques inappropriées de leur haute direction respective, dans un contexte international (crise des subprimes, …) qui aurait mérité plus de prudence. Par contre, on peut dire que, si une grosse partie des activités de ces groupes existe toujours, sous une autre forme et d’autres noms, c’est précisément grâce au grand professionnalisme et aux compétences du personnel. Personnel confronté, spécialement dans les agences, à la grogne et parfois l’agressivité des clients et des petits actionnaires.
Or, chez Fortis Banque, suite à l’adoption, en 2007, du nouveau modèle salarial (dans lequel l’appréciation joue un rôle), l’année 2008 devait être la première année de son application. Allait-on demander au personnel d’assumer les conséquences financières des problèmes de l’entreprise sur lesquels il n’avait pas prise ? La position syndicale a été claire : « L’effort du personnel, spécialement celui confronté journellement aux interrogations de la clientèle, ne devra pas être oublié lors des appréciations 2009 »[15].
En pratique, le volet « banque » a été neutralisé dans l’appréciation, au profit des deux autres volets. Mais cela a fait l’objet d’âpres négociations en délégation syndicale.
SOUS-TRAITANCE
Lorsque leur travail est sous-traité, les travailleurs sont souvent outrés d’apprendre que les niveaux de satisfaction exigés[16], en marge des contrats de sous-traitance, sont de 90 ou 95%, alors qu’eux n’obtiendraient qu’un « B » à leur évaluation, pour une réalisation du même travail à 100% !
La frustration est d’autant plus grande si le travailleur doit former la personne qui va faire le travail à sa place …
EXEMPLES EXTRÈMES DE DÉRIVES
Suite à un différend personnel (une dispute, liée ou non au travail) entre le chef et son subordonné, ce dernier ne fait plus rien de bon, aux yeux de son chef, et reçoit donc une mauvaise appréciation, alors que l’année ou les années précédentes, il avait reçu un « TB » du même chef, pour des prestations équivalentes.
Dans une section où on fait le « service minimum »[17], en matière d’appréciation, le chef prend sa retraite au mois de juin et est remplacé au mois de septembre. Le nouveau chef n’est pas d’accord avec les objectifs fixés par son prédécesseur. Au lieu de fixer de nouveaux objectifs, il donne une mauvaise appréciation à l’ensemble de l’équipe !
Un subordonné reçoit une mauvaise appréciation (« I »), sur base d’un document entièrement vierge : pas d’objectifs fixés ! Comment donner une appréciation, positive ou négative, si on ne fixe pas d’objectifs ? De plus, en cours d’année, la personne n’a fait l’objet d’aucun entretient de fonction, d’aucune mise en garde formelle[18] ! Justification de la cheffe : « je lui ai fait, à plusieurs reprises, des remarques » (orales) …
Dans une association internationale basée à Bruxelles, la responsable des relations avec les membres de l’association se voit reprochés les mauvais résultats obtenus par son département dans l’enquête annuelle de satisfaction des membres : ceux-ci se plaignent par rapport à une activité dont ce département ne s’occupe plus, depuis des années, mais qui est toujours reprise sous son étiquette dans l’enquête, malgré les réclamations répétées de la responsable.
[1] Idem pour les pensionnés et les « départs volontaires » de personnes en contrat à durée indéterminée.
[2] Exemple : Si on avait attribué une importance de 40% à l’objectif supprimé et 20% à chacun des 3 autres objectifs fixés, chacun de ceux-ci voit son importance augmenté de façon considérable (+ 65%), avec des conséquences plus grandes en cas de difficulté à réaliser un de ces 3 objectifs …
[3] Si on fait une moyenne des différents résultats pour attribuer une cotation globale, dont dépend la prime ou un autre avantage (augmentation salariale, …).
[4] Comment venir à bout de deux ans de jours à récupérer sans en faire un objectif et donner les moyens pour le réaliser ?
[5] Tâches-clés trop importantes, surcroit de travail, objectifs trop élevés …
[6] Si on fixe les objectifs en fonction d’un temps partiel et pas en partant d’un temps plein, mais ça ne semble pas être une évidence pour certaines hiérarchie.
[7] Ainsi de ce travailleur qui reçoit de son chef de service, en septembre et octobre, l’appréciation préparée par son chef de section, décédé au mois d’août …
[8] Délégation syndicale du siège de Bruxelles et Administration centrale, réponse à la question 1167.
[9] La période d’évaluation et de fixation des objectifs correspond à celle où beaucoup de travailleurs prennent leurs derniers jours de congés extra-légaux (vacances de Pâques), ce qui explique, sans doute, partiellement le pourquoi de l’oubli de la finalisation de l’appréciation après les congés …
[10] Caisse générale d’Épargne et de Retraite, fondée en 1865, comme organisme public d’épargne et de pension, privatisée à partir du début des années 1990, au bénéfice du groupe Fortis. Après avoir intégré la SNCI (Société nationale de Crédit à l’Industrie), en 1998, la CGER comptait 10000 personnes sous contrat.
[11] Donnant droit à un barème plus élevé.
[12] Juridiquement, c’est la Générale de Banque qui a absorbé la CGER. Financièrement, c’était le contraire …
[13] La hiérarchie était nettement moins développée à la CGER qu’à la Générale de Banque.
[14] « Les mandataires syndicaux dont le mandat occupe au moins 75% de leur temps reçoivent la cotation la plus donnée au sein du personnel de l’entreprise. Pour cette année, cette cotation est A++. » Fortis Banque, mail HRM, 25/4/2002.
[15] Déclaration du SETCa/BBTK au Conseil d’Entreprise du 25/9/2008.
[16] « SLA » = Service Level Agreement.
[17] On fixe des objectifs généraux et on ne s’en préoccupe pas trop par la suite …
[18] Même si, en l’absence d’objectifs fixés, une telle mise en garde n’a pas beaucoup de sens.