RADIO AIR LIBRE
Dossier de présentation, 1986
DE L’IMPORTANCE DES RADIOS D’EXPRESSION
ALIÉNATION RADIOPHONIQUE.
Plongées dans leur ron-ron quotidien, les radios n’ont apparemment plus rien à dire.
Ecoutez-les : dans leur majorité, elles diffusent de la musique, beaucoup de musique –à majorité anglo-saxone- accordent peu de temps à l’action et à la réflexion, proposent quelques jeux, un ou des hit-parades et, dans le meilleur des cas, un flash d’information (2’) toutes les heures … On n’y prend aucun risque, de peur de bousculer les auditeurs. « Restez branchés. Écoutez-nous (pas les autres !). Ne bougez plus. »
Les auditeurs n’ont d’autre raison d’être que leur dépendance par rapport à l’émetteur (aliénation radiophonique ?).
Or, c’est très précisément le style « news & music » qui domine les pratiques radiophoniques du monde occidental. L’immense bruit de fond qui sort de ces radios devient dramatiquement un grand bruit blanc. Et c’est la fin de la radio !
LA RADIO COMME CONSCIENCE DE L’INCONSCIENT POPULAIRE.
La radio n’a jamais eu qu’elle-même pour sujet. Dans une apparente contradiction, seules 50% de ses possibilités ont été explorées et 10% de celles-ci passent régulièrement à l’antenne. Mais où ? et comment ?
La radio est aussi symbole et objet de la communication impossible. L’espace hertzien est pourtant médium relationnel à saisir ! Il faut donc employer d’autres moyens que la radio elle-même …
C’est là qu’interviennent les notions de « langage radiophonique », d’ « écriture radiophonique », etc. Que tente-t-on de communiquer ? comment le fait-on ? Quels sont les échanges possibles ? avec qui ?
Répondre à ces questions suppose un auditeur qui ne dorme pas à côté de sa radio ! Il réagira, par exemple, face à quelques propositions extrêmes contenues dans une émission.
Pour lui : une radio destinée à être écoutée et non entendue, une radui qui ne lui dicte pas ses sentiments, mais bien qui lui propose des pistes de réflexions et d’actions.
Une radio qui bouleverse, invente, crée des liens, détruit …
Le quotidien n’est jamais banalité. Les parasites deviennent prodiges. Les bègues perdent leur bégaiement devant le micro et les analphabètes s’approprient leur langage.
LA PAROLE ET LE SON.
La parole, parce qu’elle précède la civilisation, l’échange, la liberté ; parce qu’elle exclut, tranche, rend possible, rapproche, met en évidence et résoud les contradictions.
Le son, parce qu’il est omniprésent autour et en nous, et que … la nature est déjà une musique suffisante.
Il faut donc inventer la radio. Chaque jour …
FAIRE LA RADIO ?
Les radios commerciales sont souvent fort bonnes d’un point de vue technique. Mais pour communiquer quoi ?
Pas « rien », mais la mise en avant de la société de consommation. Les radios d’expression –qui sont nées du besoin de faire connaître les luttes écologiques et les luttes urbaines- étaient à leur début pratiquement inécoutables d’un point de vue technique ; seul le message comptait pour elles.
La montée des radios commerciales a entraîné pour les premières l’obligation de s’interroger sur le langage radiophonique. Comment le dire ?
Une des conséquences de ceci est que les radios d’expressions sont aussi généralement celles qui ouvrent une place à la création et à l’expérimentation. Elles ont, dans ce domaine, plus de possibilités et moins de contraintes que les radios de service public.
Le peu de moyens financiers disponibles pousse à employer des moyens simples, mais efficaces. (Une heure de production sur Radio Air Libre coûte 100 fois moins que sur la RTB-F.)
LES ACTEURS SOCIAUX À LA RECHERCHE DE MOYENS DE TRANSMISSION DE LEURS INFORMATIONS.
Les groupes-porteurs de la radio sont peu nombreux et peu importants, ou bien ils ont une multitude d’autres activités. Les groupes dont nous transmettons les infos n’ont souvent pas la force d’organiser un service presse efficace. Il faut donc aller chercher l’information où elle se vit, inviter les acteurs sociaux à venir s’asseoir devant les micros, participer à l’action (et non rester en reporter-spectateur).
Il ne s’agit pas d’être le premier sur une info (information événementielle), mais d’en proposer quelques implications : analyse, réflexion, confrontation d’idées.
La musique ne sert pas à boucher les trous, mais à illustrer, à renforcer, voire à s’exprimer elle-même. On ne peut donc, dans ce domaine également, se contenter des produits de consommation courante. Ceci implique la création de réseaux d’échanges, les contacts suivis avec les réseaux de petits labels (qui luttent contre les monopoles des « major companies » américaines).
Il ne s’agit donc pas de « mass-médias », mais bien d’unités locales, interconnectées, d’information-échange.
LIBRES.
Radio Air Libre a, et a toujours eu, des problèmes techniques, financiers, de programmation, humains, politiques, etc. C’est le propre de toute radio d’expression.
Aucun compromis n’est acceptable, pour être et rester « une radio ouverte à l’interrogation et à la réflexion, destinée à tout ceux qui sont intéressés par une approche du monde critique, démystificatrice et en même temps créatrice » (Charte de Radio Air Libre).
Nous ne nous faisons pas d’illusions : ces problèmes sont le propre de toute radio non soumise à un pouvoir ; nos contacts avec nos nombreuses sœurs radios d’expression, partout dans le monde, nous le prouvent chaque jour. Mais il faut que dans chaque pays, dans chaque contrée, existent ces petits espaces de libertés, ces endroits où tout est encore possible …
C’est la vie même du mouvement alternatif et de sa culture –dont nous sommes le reflet- qui en dépend.
LES RÉSEAUX D’INFORMATIONS ET D’ÉCHANGES.
Les radios locales sont-elles des caricatures des « grandes » radios ? Certaines radios commerciales collectionnent en tous cas tous les clichés possibles, que ce soit au niveau du langage, de la musique, même des publicités.
A l’opposé, dans l’émission « Passe-Murailes » de Radio Air Libre, se sont les pensionnaires des prisons de St-Gilles et Forest (lieux par définition clos) qui ont le leadership de l’information concernant le problème du SIDA en prison –et ce pour toute la presse belge. Ceci est un exemple.
Quel est le contenu d’un flash d’information de la RTB-F qui, en 2 minutes, vous annonce tout ce qui se passe dans le monde ? Autrement dit : on ne vous dit rien !
exemple :
- On va faire une enquête sur les causes de l’explosion de la navette spatiale.
- Football : club A contre club B = 1-0.
= On ne m’apprend rien : si la navette a explosé, il est normal de faire une enquête.
= Je m’en fous. Ce n’est pas de l’info, c’est de l’annecdote.
Il n’est de secret pour personne que certaines « grosses » radios commerciales (avec « salle de presse ») enregistrent les flash-infos de la RTB-F, dont elles font le principal de leurs informations. Et que font les petites radios commerciales ?
La conception même du travail d’information est –nous l’avons vu plus haut- très différente pour les radios d’expression. De plus en plus, celles-ci se rendent compte de l’importance des contacts entre elles, entre autre pour briser le sentiment d’isolement qu’elles connaissent.
Au sein de l’ALO (Association pour la Libération des Ondes), Radio Air Libre a toujours été parmi les radios qui ont le plus favorisé une dynamique entre les radios d’expression.
Des contacts privilégiés existent entre Radio Air Libre et les autres radios d’expression à Bruxelles (Panik, 104, 1180, Marolles, RZAB), mais aussi avec certaines radios d’autres pays de la Francophonie (Québec, France, Suisse), et avec certaines radios d’Amsterdam. Ainsi, l’an dernier, 4 animateurs de Radio Air Libre ont été faire un stage à Radio Basse-Ville à Québec, et vice versa.
L’ International Youth Media Festival (Amsterdam, novembre ’85) a permis à des représentants d’une vingtaine de radios d’expression de 10 pays européens de jetter les bases d’un réseau européen d’échanges d’informations : l’ Octopus-Link.
Ceci est particulièrement important pour les radios membres, puisque signifie également la disposition d’un réseau de correspondants dans les principales villes européennes. (Ainsi, lors de la rencontre Reagan-Gorbatchev, Jean de Radio Zones à Genève intervenait directement sur Radio Air Libre pour expliquer l’impact sur le quotidien des genevois ; de même, à propos du terrorisme en Belgique, Guy de Radio Air Libre passait sur les ondes de Factum FM à Amsterdam ou de radio Mouvance à Paris – ceci via le téléphone, bien entendu.)
Parallèlement à l’Octopus-Link, des réseaux nationaux ou interrégionaux se mettent en place actuellement. Avec d’autres radios belges, nous avons comme projet la mise en place d’un réseau allant de Paris à la frontière Hollandaise.
L’ AMARC/2 (Assemblée Mondiale des Artisants de Radios communautaires – équivalent de le UER et membre de l’UIT) rassemblera à Vancouver, cet été, des représentants de radios d’expressions venus du monde entier. Un animateur de Radio Air Libre fera partie de la délégation représentant la Belgique.
Le networking, ou travail en réseaux, doit entre autre permettre aux radios des échanges de productions et d’émissions, et ce dans divers domaines.
TAUX D’ÉCOUTE ?
Les radios commerciales ont sans doute la faveur du public, ce qui n’est pas le cas –selon leurs critères- des radios d’expression. Faut-il rappeler que les radios commerciales n’ont jamais respecté les limitations de puissance, ni les réglementations techniques ? De plus, leurs estimations de taux d’écoute se basent sur le nombre de coups de téléphone (1 = 500 auditeurs)¹ et il est sans doute plus facile de téléphoner à une radio pour répondre à un jeu ou faire une dédicace que pour donner une information, un avis …
Les radios d’expression ne disposent pas de telles statistiques de taux d’écoute. Seules les statistiques établies par la RTB-F sont fiables¹ (mais le volet « radio locale » n’a jamais été diffusé à notre connaissance).
Néanmoins, un retour d’écoute (courrier, téléphone, contacts) nous prouve qu’un nombre plus important que supposé d’auditeurs est à la recherche d’autre chose que ce qu’on leur sert tout au long de la bande FM.
De plus, par le biais du networking, des programmes réputés d’accès difficile pour les auditeurs non avertis, peuvent acquérir une audiance appréciable. A nouveau, nous ne citerons qu’un exemple : celui du réseau Radio Network, qui organise l’échange de programmes de radio-art ; peut-être que ces programmes ne sont écoutés que par quelques centaines de personnes sur chaque radio où ils sont diffusés, mais ils sont diffusés sur des dizaines de radios partout dans le monde (de Vancouver à Berlin, de Bruxelles à l’Australie, etc.) et certaines de celles-ci émettent sur des provinces grandes comme la France … ce qui fait des dizaines de milliers d’auditeurs pour des programmes de radio-art !
Guy Stuckens
mars ‘86
¹ Note de 2012 : Il s’agit de la situation en 1986. Par la suite, la RTB-F ne s’est plus basée sur ses propres statistiques, mais sur celles du CIM. Les taux d’écoute, tels qu’ils sont établis et publiés (ce qui n’est pas la même chose !) depuis quelques années, sont devenus plus précis (audience moyenne, par jour, par semaine, temps d’écoute moyen, …), mais servent surtout d’argument de vente pour les régies publicitaires. Voir à ce sujet : https://sites.google.com/site/guystuckens/3-radio-et-medias/2-medias