RÔLE DES SYNDICATS[1]
Réactions syndicales :
Pas d’objection à « quelque chose de plus »
Contrer les dérives
Stabilisation
Défense individuelle
À première vue, les syndicats semblent s’être peu intéressés à ce qui touche aux appréciations, sauf quant à la défense des travailleurs lors de procédures d’appel (« insuffisant » …). Pourtant, à y regarder de plus près, il y a beaucoup de chose qui ont été faites, tant au niveau pratique qu’idéologique. Mais cela s’est souvent fait à travers ou en rapport à d’autres dossiers[2] : égalité (e.a. salariale) entre hommes et femmes, politique salariale, classification de fonctions, promotions, … Sans oublier la surveillance de l’application correcte, la lutte contre les dysfonctionnements et les effets pervers des systèmes d’appréciations, ainsi que la dénonciation des inégalités[3] qu’ils génèrent, ce qui se reflète p.ex. dans une série de tracts syndicaux en 1988, après un premier bilan.
Ces systèmes sont apparus parallèlement à la montée de l’individualisme, significative des « années Tacher », selon le principe que chacun est l’auteur de sa vie, mais aussi de la diabolisation des valeurs collectives[4]. On assiste donc bien à une opération d’ordre idéologique, concomitante à la « révolution conservatrice » des années 1980 …
Peut-on parler d’une avancée/opération/percée idéologique néo-libérale ? Cela n’est pas apparu ainsi à l’époque. Après coup, on peut néanmoins affirmer que les systèmes d’appréciation y ont participé.
Le peu de réaction syndicale, à ce sujet, s’explique par le fait que les syndicats avaient fort à faire sur d’autres fronts : crise, chômage, pouvoirs spéciaux, mesures antisyndicales (sous couvert de lutte contre le terrorisme – utilisé comme argument pour lutter contre l’opposition aux mesures antisociales, assimilé au terrorisme !). Cette faible réaction est d’ailleurs tout à fait relative : la position officielle du SETCa/BBTK fédéral et interprofessionnel est de défendre le « vrai » salaire barèmisé, socialisé (prélèvements sociaux, donnant droit à …) et encadré (CCT, …) et est contre les rémunérations aléatoires, « à la tête du client », individualisées …[5] Mais, après les « trente glorieuses », les syndicats n’étaient pas prêts à affronter les bouleversements créés par les néo-libéraux !
Dans les entreprises, le SETCa/BBTK voit souvent un aspect intéressant dans le dialogue organisé, au moins une fois par an, avec le chef : savoir ce que mon chef pense de moi, lui dire ce que je pense du travail, ou mes aspirations … Autrement dit, « un dialogue sur le fonctionnement de la personne concernée et les circonstances dans lesquelles il doit travailler »[6].
Par contre, vu le côté inévitablement subjectif de la cotation, il ne devrait pas y avoir de lien entre le résultat de l’appréciation et la rémunération; position défendue par certaines sections syndicales (comme le SETCa/BBTK à la Générale de Banque et ensuite chez Fortis Banque). Parmi d’autres remarques, formulées au Conseil d’entreprise de Fortis Banque, en décembre 2006, le SETCa/BBTK indique ne pouvoir « accepter que l’accent soit mis principalement sur la réalisation des objectifs annuels, au détriment de la façon dont on exécute ses tâches-clés, puisque cela aura des conséquences négatives pour un bon nombre de personnes » et répète « que les objectifs individuels doivent contenir une description qualitative et ne peuvent être une énumération quantitative »[7].
Rôle des syndicats/vis-à-vis du personnel : pédagogie et défense individuelle
- Expliquer le système
- En contrôler l’application « correcte » (selon les règles)
- Informer sur les dangers et les points d’attention
- Informer sur les procédures de recours
- Rôle d’ « avocat » lors des recours : on a surtout insisté sur ce dernier rôle.
Rôle des syndicats/vis-à-vis de la direction : amendement (sur le système et ses aspects financiers)
- Plaider pour une réforme du système et de son application, en fonction des mauvaises expériences constatées
- Tenter d’avoir son mot à dire (avec danger : cogestion d’un système auquel on n’est pas favorable)
- Fixer le système et ses conséquences financières au niveau du modèle salarial.
De même que les objectifs fixés sont parfois flous et peu précis, on a rencontré de nombreuses appréciation qui ne répondait pas aux critères. Citons, à titre d’exemple : « L’intéressé a manifesté sa bonne volonté et son intérêt à liquider toutes les opérations en suspens ».
Si ce n’est pas trop grave en cas de bonne évaluation, cela peut devenir dramatique lors d’une mauvaise évaluation.
INSUFFISANTS
Soulignons l’importance accordée aux procédures et recours pour les « I » … alors qu’ils ne représentent qu’un petit pourcentage des évalués. Si, dans certaines entreprises, le nombre de travailleurs dont les prestations sont jugées insuffisantes par rapport aux objectifs, est assez important, chez Fortis Banque, les garde-fous mis en place semblent avoir fonctionné (voir annexe 3).
Côté syndical, on a mis en avant qu’une mauvaise appréciation n’était pas qu’un échec pour le travailleur concerné, mais aussi pour son chef qui n’a pas réussi à « rectifier le tir ». Un des premiers éléments correctifs, introduit suite à la demande syndicale, a été l’obligation d’avoir au moins un entretient de fonction, avant l’attribution d’une appréciation négative. L’idée étant qu’une appréciation négative ne pouvait être que le dernier recours, après avoir tout essayé, si le chef s’apercevait d’un problème de fonctionnement : entretiens de fonction, coaching plus approprié, formation complémentaire, …
DES APPRÉCIATIONS « INSUFFISANT » BÂCLÉES
Lors de la mise en place du système d’évaluation, il est vite apparu que certains chefs n’hésitaient pas à attribuer des évaluations « I » avec une certaine légèreté, sur base d’objectifs assez vagues et d’éléments peu probants, sans remarques et sans entretien(s) de fonction (évaluation intermédiaire) en cours d’exercice …
Comme on vient de le dire, normalement, une mauvaise appréciation ne peut être donnée que s’il y a eu, en cours d’année, des mises en garde (orales ou écrites), des mesures prises (formation, coaching, …), au moins un entretient de fonction intermédiaire, pour éviter que la personne n’ait un « I ». Il serait normal que, lorsqu’on donne une telle appréciation, on donne plus de commentaire, et qu’on n’oublie pas une série de choses positives faites pendant l’année.
Les appréciateurs concernés semblent vouloir punir les subalternes qu’ils n’apprécient pas. Certains n’ont qu’une vague connaissance du système d’appréciation qu’ils doivent appliquer ! D’où des objectifs non développés, des formulaires partiellement vides, des formulations vagues … Que veut dire p.ex. « un peu de travail à faire dans son planning » ?
RECOURS
Beaucoup de questions se posent également quant aux possibilités de recours : utilité ? impartialité du collège d’appel ? sur qui peut-on compter si on n’est pas syndiqué ?
Pour beaucoup de travailleurs, aller en appel de son appréciation génère beaucoup de stress, même accompagné d’un délégué syndical. La peur de se faire mal voir, la crainte que le chef direct-évaluateur va en vouloir à son subordonné, s’il obtient raison, ou demander sa mutation (alors qu’il aime bien son travail et ses collègues) explique la réticence de certains. De même que la crainte de ne pas « être à la hauteur », lors du collège d’appel. Pourtant, du côté syndical, on a toujours insisté pour que ceux qui recevaient un score insuffisant –sur une partie ou l’ensemble de l’appréciation– ailent en appel, arguant que le fait de ne pas faire usage de ce droit équivalait à accepter qu’on est « un mauvais travailleur » !
Souvent, une mauvaise appréciation est le reflet ou la conséquence d’un autre problème : dispute avec le chef ou les collègues, désaccord sur un projet ou la manière de le traiter, etc.. En France, l’intersyndicale SUD-CGT (secteur ministères) soulignait « la souffrance que génère ce dispositif parmi les collègues », dans un contexte de travail où « les suicides et les tentatives de suicide des collègues ont aussi démontré, à leur manière, à quel point une organisation pathogène du travail pouvait avoir des effets désastreux »[8].
Notons aussi qu’il n’y pas que les travailleurs qui ont obtenu une appréciation insuffisante qui enclenchent une procédure d’appel. Il semblerait que la majorité des recours concernent des travailleurs qui estiment qu’ils ont été mal jugés : ils ont fait un effort particulier, pendant l’année écoulée, mais ont obtenu une cotation égale à celle de l’année précédente ; ils ont travaillé de la même façon que l’année d’avant, mais ont obtenu une cotation moindre, etc.. Une majorité de travailleurs allant en recours affirme ne pas le faire « pour l’argent », mais pour la juste reconnaissance de leur travail ; certains en font une affaire d’honneur.
Même s’il y a peu de recours (en % du nombre d’évalués), l’accompagnement de ceux-ci prend énormément de temps syndical. Là où, dans le même temps, les directions veulent souvent limiter le temps syndical …
[1] On peut définir le rôle des syndicats en général comme étant de maintenir le travail dans sa réalité, avec ses qualités et ses défauts, par rapport à une culture managériale reposant sur des mythes et la « novlangue ».
[2] Selon le principe qu’il faut agir sur les aspects où on a quelque chose à dire et tenter d’influencer sur les autres.
[3] E.a. au niveau du montant de la prime : de 0 à 489617 BEF, selon le Syndicat libéral, qui n’hésite pas à parler de « Catastrophe nationale » (tract de 7/1988). La CNE titre « Le rêve de la banque … le cauchemar des employés et des cadres moyens » (tract de 3/1988).
[4] À une époque où on met en avant la privatisation de pans entiers des secteurs publics, la commercialisation de tout, l’envahissement de l’espace public par la publicité qui envahit également les radios et télévisions mêmes publiques …
[5] Précisons que les syndicats de la Générale de Banque avaient refusé de donner un avis, à l’issue de la série de commissions techniques et Conseils d’entreprise où a été présenté et discuté le « nouveau système d’appréciation (mai-septembre 1986). Au début des années 2000, « l’argument principal pour refuser le système d’appréciation est le fait qu’il maintient un lien entre appréciation et rémunération » (tract SETCa-CGSP Fortis Banque, 2/2002).
[6] Direct, publication SETCa/BBTK Fortis Banque à Bruxelles et aux Entités centrales, été 2007 – Article intitulé « Nouveau système d’appréciation » et commençant par : « Une fois de plus, la direction veut modifier le système d’appréciation ».
[7] Idem.
[8] Tract intersyndical SUD-CGT, secteur ministères, « Cette année encore, boycottons les entretiens d’évaluation professionnelle ! », 2013.