0. Introduction

Par Guy Bleus

L’ART COMME MYTHOLOGIE COLLECTIVE

L’histoire de l’art est un ridicule mensonge, dicté par des comédiens, des marchands et des détenteurs de pouvoir. De même, l’histoire du mail-art dégénèrera en un Mensonge admis objectivement. Pourtant, on ne pourra jamais répondre exactement à la question « où et quand a débuté le mail-art ? ». Le mail-art a peut-être commencé au Japon dans les années ’50 ; peut-être aux États-Unis dans les années ’60 ; peut-être en Europe dans les années ’70 … Tout cela dépend de tellement de facteurs différents et, en premier lieu, de ce qu’on entend exactement par le concept de « mail-art ».

Plus grande est une concentration de pouvoir donnée, plus forte sera l’affirmation d’une seule vérité. L’Histoire n’est rien d’autre qu’une histoire qui ne connait pas de compassion. Les noms des sans pouvoir sera effacé par l’éponge de l’anonymat. Pourtant, « le tout est mensonge » (Th. Adorno) : l’Histoire n’existe pas. L’Histoire du mail-art existe encore moins. Chaque mail-artiste possède sa propre vision, sa propre histoire du mail-art. Et une de ces histoires n’est pas plus « vérité » que les autres …

Cette conception de l’histoire de l’art rencontre ce qu’on a appelé « l’art comme mythologie individuelle » : l’artiste qui réalise sa propre histoire et sa propre mythologie. Adapté aux réseaux mail-art, cela signifie la réalisation d’une mythologie collective, où chaque mail-artiste joue son rôle, et où un rôle n’a pas plus de valeur ou d’importance qu’un autre. Chaque jugement de valeur est donc strictement personnel et on ne peut donc généraliser, dans les circuits mail-art, sans porter atteinte aux principes de base démocratiques du mail-art. Un mail-artiste et son travail sont importants, pour un autre mail-artiste, en fonction de l’intensité plus ou moins grande de la communication qu’il a (ou a eu) avec lui, et des impressions personnelles que tout ceci a laissé.

Chaque mail-artiste doit être encouragé à écrire sa propre biographie, afin qu’une biographie collective se crée, un réseau d’informations de vie qui s’entrecroisent. La question de savoir s’il doit exister une relation de vérité entre l’endroit « où » -ou le moment « quand »- cette activité se déroule, reste ouverte. Chacun est libre de transformer les mensonges objectifs de l’histoire de l’art en mensonges ou vérités subjectifs ou intersubjectifs.

Depuis l’urinoir de Duchamp, tout est art. Depuis Beuys, tout le monde est artiste. Cela dépend de quels yeux, de quels cerveaux on regarde le monde des choses. La prise de conscience et la perception sont devenues plus importants que l’objet qui est créé. (cfr. M. Blanchot : « le lecteur fait l’œuvre ; en la lisant, il la crée ; il en est l’auteur véritable, il est la conscience et la substance vivante de la chose écrite ».) L’art n’est plus un jeu qu’on peut jouer selon des règles « déterminées » (mis à part l’artisanal et folklorique art académique), mais bien selon des règles « indéterminées ». On peut modifier ces règles selon les nécessités du temps et la situation. La créativité, l’instinct de conservation, la pensée sauvage et intuitive, et le processus de création sont plus importants (vital !) que les objets de d’art (les fétiches) monétaires. Mais, même ce processus de création ne doit pas être mené d’une façon stérile. L’art est évolution ; l’art également. L’action amène la ré-action. Ce jeu de questions et réponses, de parole et de contre parole, d’art qui n’est jamais « terminé », est le véritable art de notre temps. Il trouve sa principale représentation dans l’art de communication ou mail-art.

(traduit du néerlandais par Guy Stuckens)