Post-scriptum ...

Maj 2/10/07 – 5/8/08

POST SCRIPTUM …

Le monde des médias ne s'est pas arrêté de tourner après la fin de la rédaction de ce texte. J'ai choisi de faire les mises à jour et les ajouts sous la forme de courts articles dans ce post scriptum ...

« Il ne faut pas croire que la parole serve jamais aux communications véritables entre êtres. »

Maurice Marterlinck, Le silence (in Le trésor des humbles, 1896)

1. SUBVERSION OU … ?

Les médias, certainement s’ils sont subsidiés par le pouvoir, doivent-ils être aux ordres du pouvoir ? Certains prétendent qu’ils doivent être subversifs pour pouvoir remplir leur rôle. Les journalistes défendent farouchement leur indépendance. Mais, ont-ils vraiment le choix, spécialement en Belgique et en France ? Aux Etats-Unis, où pourtant l’argent est roi, les journalistes ont l’habitude de ‘cuisiner’ les acteurs politiques (et les autres). Au Royaume-Uni, il est clair que les journalistes de la BBC attendent de vraies réponses à leurs questions, même si ça reste très poli.

A la RTBF, Jean-Claude Defosset joue l’impertinent de service, d’abord avec le ‘Journal des grands travaux inutiles’, ensuite avec ‘Questions à la Une’, et ce à une heure de grande audience. C’est un rendez-vous que les gens se rappellent : « n’oublies pas, ce soir … ». S’inspirant du modèle britannique, Alain Gerlache, ancien enseignant, n’hésita pas à mettre quelques personnalités (généralement politiques) sur la sellette, le vendredi en début de soirée, … avant de devenir le porte-parole du premier ministre libéral du gouvernement Verhofstat I ! Dans son genre, l’émission ‘Strip-tease’ (« qui déshabille la société »), a également introduit une forme de reportage non-conformiste, qui s’est exporté de Belgique en France.

Il y a des antécédents. De décembre 1981 à septembre 1987, Michel Polac anime l’émission ‘Droits de réponse’, sur TF 1, le samedi, à l’heure habituellement consacrée aux ‘variétés’. Dans le journal Le Monde des 29-30/7/07, à l’occasion d’un article consacré à cette émission, Martine Delahaye interrogeait Philippe Gavi, journaliste et co-fondateur de Libération, en 1973, sur le fait de savoir si une telle émission était concevable à la télévision avant 1981 :

« Bien sûr que non ! Pour bien comprendre, il faut rappeler ce qu’était l’avant-81. On ne peut absolument pas imaginer, aujourd’hui, le conservatisme dans lequel on baignait ! Une speakerine pouvait être condamnée pour avoir montré ses genoux, et même lorsqu’on innovait en télévision, le ton restait toujours policé.

L’élection de François Mitterrand, en mai 1981, s’accompagne d’un grand désir d’expression jusqu’alors censuré : pour une totale liberté de parole, de mœurs, de consommation, etc. S’engage donc à la télévision comme une réplique adoucie de Mai 68, dont ‘Droit de réponse’ sera la parfaite illustration – de même que la légalisation des radios libres. (…) »

En avril 1987, TF 1 est privatisée. Philippe Gavi : « L’émission (…) s’arrête lorsque l’argent, les banques, la publicité prennent le dessus et que Francis Bouygues, nouveau propriétaire de TF1, met fin à ‘Droit de réponse’. »

Néanmoins, les grands réseaux de médias commerciaux n’ont pas toujours été au service du commerce, dans le sens de la déclaration du président de TF1. L’histoire récente des radios, qu’on appelait alors ‘périphériques’ (parce qu’elles émettaient en dehors de la France, juste de l’autre côté de la frontière), nous offre quelques surprises. Ainsi, Léo Ferré a animé des émissions de radios sur Radio Monte-Carlo (RMC), l’abbé Pierre lançait son fameux appel du 1/2/1954, en faveur des pauvres, sur Radio Luxembourg, et, en 1968, Jean-Paul Sartre, interdit d’antenne sur les médias publics, s’exprimait sur Europe 1 ...

(Note de 2012 : selon un extrait du livre 'L'éclatement de l'ORTF ...' de Sophie Bachman, que m'envoie Philippe Delchambre, Sartre était interdit d'antenne sur les chaines publiques -l'ORTF, avant la privatisation- depuis 1964. C'était sa proximité avec la rédaction du journal Libération qui était en cause.)

2. LE MYTHE DE L’INDEPENDANCE

À New York, lors d’un banquet, le 25 septembre 1880, le célèbre journaliste John Swinton se fâche quand on propose de boire un toast à la liberté de la presse. « Il n’existe pas, à ce jour, en Amérique, de presse libre et indépendante. Vous le savez aussi bien que moi. Pas un seul parmi vous n’ose écrire ses opinions honnêtes et vous savez très bien que si vous le faites, elles ne seront pas publiées. On me paye un salaire pour que je ne publie pas mes opinions et nous savons tous que si nous nous aventurions à la faire, nous nous retrouverions à la rue illico. Le travail du journaliste est la destruction de la vérité, le mensonge patent, la perversion des faits et la manipulation de l’opinion au service des Puissances de l’Argent. Nous sommes les outils obéissants des Puissants et des Riches qui tirent les ficelles dans les coulisses. Nos talents, nos facultés et nos vies appartiennent à ces hommes. Nous sommes des prostituées de l’intellect. Tout cela, vous le savez aussi bien que moi ! »

(Cité dans : Labor’s Untold Story, de Richard O. Boyer et Herbert M.Morais, NY, 1955/1979).

3. SONDAGES D’OPINION

On a l’impression que certains responsables politiques (le président français Sarkozi, p.ex.) n’agissent qu’en fonction du nombre de points que leurs actes ou leurs déclarations pourraient leur faire obtenir dans les sondages. Mais, qui est à l’origine de cette ‘politique des sondages d’opinion’ ? Quelqu’un qui est surtout connu comme auteur de livres comme La condition humaine et L’espoir, et comme premier ministre de la culture de la culture d’un pays qui inventera aussi les centres culturels : André Malraux !

Au lendemain de la Libération, André Malraux devient –brièvement- ministre de l’Information du Général de Gaulle. Dans sa biographie André Malraux, une vie dans le siècle (Seuil, 1973), Jean Lacouture cite parmi les « fruits foisonnant de ce cerveau en fusion » … la généralisation des sondages d’opinion : « Ainsi fit-il accorder au sociologue Jean Stoetzel les premiers crédits dégagés en France pour une telle entreprise, et porte-t-il la responsabilité partielle d’une épidémie qui n’a pas fini d’orienter la vie publique de ce pays.». Malraux l’évoque également dans ses Antimémoires. Notons que Malraux songeait déjà, au même moment, à l’enseignement de masse par la radio et à la culture populaire par l’image. Et, en janvier 1946, une étude consacrée aux maisons de la culture est entamée …

4. DORMEZ EN PAIX, BRAVES GENS ... ?

Dans un texte paru dans le n° 14 de Syndicat (31/8/12), périodique de la FGTB, Nico Cué, secrétaire général des Métallos wallons et bruxellois se fend d'un texte sur les médias dont je ne résiste pas à vous donner les larges extraits suivants :

"Les médias fonctionnent de plus en plus comme les histoires pour enfants. Ils anesthésient, détournent des réalités et canalisent nos peurs vers des adversaires étranges, éloignés ou extraodinaires : le loup, la sorcière ou Michèle Martin*.

Cet été, ils nous ont épargnés les discours révoltés sur les conditions de vie de la population grecque, un rabâchage instructif sur la détermination des mineurs d'Asturies et de Castille ou trop d'explications sur la persistance de la contestation étudiante au Québec contre la marchandisation de l'enseignement.

Nous avons également échappés aux détails du constat sans appel du philosophe allemand Jürgen Habermas pour qui le "pacte budgétaire" européen nous conduit dans "une voie post-démocratique". Ils ne nous ont pas saoulé de commentaires sur la police sud-africaine qui, en tirant sur des grévistes en colère, en a laissé 34 sur le carreau.

Les déclarations du patron de la BNB** ont coupé la torpeur estivale en deux. Pour le coup, rien sur l'index; c'est le gouvernement qu'il a fâché en annonçant la récession. On découvrira en automne que cela représente un effort budgétaire de ... trois milliards de plus. Pas trop de pédagogie non plus autour de la fraude au Libor*** (...) avec lequel nous avons été roulés pour tous les prêts que nous avons contractés auprès de nos coûteuses institutions financières ... Pas plus sur les grandes difficultés de second pilier des pensions. Et surtout n'emmerder personne en rappelant que la FGTB l'avait prédit !".

Petit détour par la Grande-Bretagne où on remarque qu'elle est prète à livrer Julien Assange (tête de file de Wikileaks) à l'extradition, alors qu'elle avait refusé de le faire pour Pinochet ... Ensuite, il écrit : "Au moment de la reprise, les travailleurs se réveillent en sursaut. Ce cauchemar estival n'est qu'un petit morceau de la réalité. Dans la vrai vie, la crise n'a pas changé de visage. Elle est moins liée aux disfonctionnements de la Justice qu'à ceux d'un capitalisme outrancier et à un système idéologique foireux pour qui l'austérité est une religion prêchée depuis les chaires de vérité électroniques ou de papier du système médiatique. Sa logique est absurde : quand sa rigueur morbide produit des miracles, c'est la preuve de son efficacité; quand, au contraire, elle aggrave les problèmes -comme en Grèce et en Espagne-, c'est le signe de la nécessité d'une austérité plus forte encore."

Pour terminé par un appel à manifester "pour répéter qu'une autre logique politique est possible et surtout nécessaire !".

Voilà, on aimerait lire plus souvent des textes pareils !

*Epouse du prédateur-pédophile Marc Dutroux, sa libération conditionelle et conforme aux règles judiciaires, début septembre 2012, a (re)déchaîné les passions, e.a. sur les médias sociaux et dans la presse.

** Banque nationale de Belgique.

*** On a appris que plusieurs grandes banques se sont entendues pour manipuler cet indice qui sert de référence à la fixation des taux des prêts interbancaires ...

5. L'INFORMATION A LA CROISEE DES CHEMINS

Et c'est Marc Janssen, président du CSA (Conseil supérieur de l'Audiovisuel) belge francophone qui l'écrit dans l'éditorial du n° 48 (juin 2011) de Régulation, publication du CSA ! Il fait référence aux 'Etats généraux des médias d'information', organisés par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (= Communauté francophone de Belgique) : "Cette initiative ambitieuse, déployée sur plusieurs mois, suscite depuis son lancement un mélange d'espoirs et de doutes, de volontarisme et de perplexité - selon les acteurs, selon les moments" écrit-il, en oubliant de mentioner que ce n'est pas la première fois que des états généraux ou d'autres initiatives équivalentes sont organisées, ces dix ou vingt dernières années, ... sans réelement aboutir à des résultats concrèts.

Ce qui est néanmoins intéressant, c'est qu'il souligne un des enjeux de ces Etats généraux : "comment (re)définir aujourd'hui la notion même de 'média' ?". Il ajoute : "Si la presse écrite et la presse audiovisuelle se trouvent aujourd'hui partiellement en concurence*, elles n'en restent pas moins des acteurs de nature, de diffusion et d'impacts très différents, soumis à des cadres réglementaires n'ayant que très peu en commun. Historiquement, les médias audiovisuels obéissent à des contraintes très strictes en matière de pluralisme, d'indépendance des rédactions, d'impartialité ou de pratiques publicitaires, par exemple. Les médias de service public ont même des prescrits relatifs à la qualité et la diversité des contenus." C'est vrai que, dans un tel cadre, il est difficile d'être un média d'opinion critique, indépendant et impertinent !

* C'est en oubliant que les groupes de médias couvrent souvent les différents moyens : journaux et revues, radio, télé, édition et diffusion de musique (y compris les différents aspects des droits d'auteurs et C°), publicité (production et régie), vente en ligne, etc. ...

6. BILAN RADIO

Tant qu'on y est, ajoutons que le CSA a publié, début 2012, un (premier) panorama du paysage radiophonique de la Fédération Wallonie-Bruxelles : 70 pages qui abordent les différents aspects de la radio. Disponible au CSA ( info@csa.be ) ou téléchargeable sur www.csa.be ...

7. UN TROISIEME SOUTIEN-GORGE GRATUIT ...

Mais que venait faire cette publicité dans l'émission spéciale d'information consacrée aux attentats de Bruxelles, le 22/3/2016 à 11 heures, sur la RTBF (la Une) ?

En fait, cela nous montre comment se fait la mise en ondes et ce qui guide les priorités : quand c'est l'heure des pubs, c'est automatique, les pubs passent à l'antenne, même si cela coupe la parole d'un présentateur à l'antenne ...

Dans notre exemple, manifestement, le technicien d'antenne a coupé la pub et remis le signal venant du studio du journal télévisé à l'antenne. Mais, après quelques secondes, la pub a repris le dessus ... avant d'être définitivement neutralisée !