1. Chap. 1

Chap. 1 - CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

Une recherche sur Internet, dans la première moitié des années 2010, avait permis de repérer deux types de documents : des études américaines, datant majoritairement des années 1950-60, concernant le fonctionnement des systèmes d’évaluation, et quelques tracts syndicaux français[1] plus récents, disant, en substance, de refuser toute évaluation[2] … mais pas d’études récentes[3] analysant ces systèmes. D’où l’idée de théoriser à partir de l’expérience vécue, sur une longue période (une quarantaine d’années), chez le principal employeur privé de Belgique.

Vocabulaire

Nous avons choisi d’utiliser les termes « système d’appréciation », car cela nous semble le mieux exprimer de quoi il s’agit, de préférence à d’autres appellations françaises ou anglophones : évaluation[4], cotation, notation, signalement, entretien de fonction ou fonctionnel, entretien annuel, réunion de bilan, bilan de compétence, entretien d’évolution, réunion de fonctionnement, … mais aussi EIA (entretien individuel annuel), entretien de développement des compétences, entretien d’augmentation, de pilotage, bilan des hommes … et aussi parfois ce à quoi ces systèmes sont sensés donner droit : (gratification de) mérite, etc.

Un tel système amène aussi d’autres notions : salaire « au mérite », « à la performance », …

De même, nous utiliserons les termes Insuffisant (I), Bien (B), Très bien (TB) et Excellent (TTB), même si les entreprises changent parfois de marqueur et de signification de ceux-ci, d’une année à l’autre. Pour noyer le poisson ?

Les changements continuels d’appellation peuvent créer la confusion. Ainsi, il n’est pas sûr que celui qui a obtenu un « 5 » (= TB) l’année passée, et reçoit un « 5 » (= B) cette année-ci, ne perçoive la modification, certainement si son supérieur tente de le convaincre que « rien n’a changé » ou que cela n’a pas d’impact financier !

La création de sous-catégories, permet de préciser le degré, e.a. au niveau Insuffisant. Exemples : 3 = un peu, 2 = beaucoup, 1 = très insuffisant, ou bien « améliorable » et « problématique »[9]. De même, le « B » se subdivisant en « Moyen », « Bon » et « Bon+ ». Les conséquences financières et pour la suite de la carrière étant différentes en fonction de ces sous-catégories.

En général on définit :

I = en dessous des attentes

B = conforme aux attentes

TB = supérieur aux attentes

TTB = largement supérieur aux attentes.

Encore faut-il définir ce qu’on attend de chaque travailleur, avec comme conséquence qu’une personne de qui on attend peu peut plus facilement obtenir une « bonne appréciation » qu’une personne dont on attend beaucoup ! Avec, comme corolaire, une déception quant au fait de se retrouver en dessous de la moyenne des travailleurs, malgré tous les efforts faits pendant l’année de référence.

D’autre part, si on se réfère à la classification de fonction, les exigences sont déjà fort élevées. Ainsi, la classification pour les employés du secteur bancaire[10] défini un employé de 4ème catégorie –catégorie la plus commune dans les années 1980– comme « commis surqualifié », ayant e.a. « une valeur professionnelle au-dessus de la moyenne, de l’initiative, le sens des responsabilités » ; précisant, pour chaque métier, les exigences comme « la connaissance approfondie de l’ensemble des modalités » des opérations dont est chargé l’employé.

Se pose, ensuite, le problème de la manière dont on va « mesurer » le travail réaliser. Dans la plupart des services administratifs, un dossier n’est pas l’autre et un client n’est pas l’autre … Rare sont les services où on peut « mesurer » la production de façon relativement précise. Dans les années 1970-1980, il y avait, dans les banques, de grands services « Opérations diverses » où étaient encodés les virements bancaires et les chèques à l’encaissement. Dans de tels services, il y avait des normes de production : p.ex. encodage de minimum de 800 virements par jour ; on peut donc considérer que celui qui, sur base annuelle, encodait moins de 800 virements par jour était en dessous des attentes, là où celui qui en encodait 1200 par jour, avec peu d’erreurs, était au-dessus des attentes. Mais que penser de la personne plus expérimentée, chargée des recherches et des rectifications … et qui, de ce fait, n’atteignait plus les 800 virements minimum ?

Au fil des ans, le périmètre d’évaluation va s’élargir au-delà de la volonté de récompenser ceux qui ont travaillé mieux que les autres. Comme le note Nicolas Latteur, « L’évaluation porte sur la réalisation de certains objectifs préalablement définis. Mais elle peut concerner la personne même du salarié, ses attitudes et comportement attendus. Souvent, il lui est également demandé de définir lui-même certains objectifs ou de s’auto-évaluer selon les critères en vigueur. »[11]

[1] P.ex. : tract intersyndical SUD-CGT, secteur ministères, « Cette année encore, boycottons les entretiens d’évaluation professionnelle ! », 2013.

[2] Sans informations sur les conséquences.

[3] Depuis, nous en avons trouvé quelques-unes, dont il sera fait mention plus loin.

[4] Le mot « évaluation » est abondamment utilisé, comme on peut le voir dans les textes cités dans cette étude.

[5] F = faible.

[6] IS = insuffisant, S = suffisant, LS = largement suffisant, TB = très bon, E = excellent.

[7] Contrairement à une cotation qui correspond à des prestations en dessous des attentes (Ins), le A- correspond à des prestations moyennes (qui « ne correspondent pas tout à fait aux attentes ; une amélioration est nécessaire sur plusieurs points »).

[8] À noter qu’ici « B » ne signifie pas « bien », mais un peu insuffisant ; « C » étant plus insuffisant.

[9] Chez Beobank (en 2012-2013).

[10] À défaut de mieux, cette classification sectorielle devenue, à bien des égards, obsolète, est restée d’application jusqu’il y a une dizaine d’années …

[11] Latteur Nicolas, Le travail, une question politique, Editions Aden, Bruxelles, 2013.