Chap. 4 - PRINCIPES SYNDICAUX
Dans les entreprises, les syndicats se sont surtout attelés à résoudre une série de problèmes pratiques, liés au (mauvais) fonctionnement des systèmes d’appréciation et aux injustices que cela engendre. Ils ont peu (eu) l’occasion d’étudier leurs impacts sur les conditions de travail et sur les travailleurs ; ou alors à l’occasion de la négociation autour d’autres dossiers (modèle salarial, …).
Compétition et individualisme
« C’est aussi la porte ouverte à la compétition entre individus qui, à terme, peut s’avérer dommageable pour la performance de l’entreprise. Si tout le monde se met à se tirer dans les pattes … »[1].
Dans les années 2010, un « comité d’action » s’est constitué au sein des secteurs Finances[2] du SETCa BHV, dans le but, e.a., d’informer le personnel sur un certain nombre de dossiers, communs à l’ensemble des travailleurs de ces secteurs[3]. Ainsi, en ce qui concerne les appréciations, le groupe de travail constate[4] qu’il n’y a pas de cadre juridique et beaucoup de systèmes différents. Il pose également certains constats et questions :
Des appréciations négatives sont utilisées comme argument lors d’un licenciement, elles sont démotivantes, e.a. suite aux pratiques de quotas, de courbe de Gauss et autres calibrages. L’objectivité du système d’appréciation et de l’évaluateur est mise en question, de même que les critères sur lesquels on se base, p.ex. des « valeurs » … qui changent régulièrement. Les appréciations sont aussi mangeuses de temps et d’énergie, pour un résultat qui va de « peut-être positif » à contreproductif, et un sentiment que cela « ne sert à rien » … mais avec quelles conséquences pour le travailleur ?
La CNE[5] a rappelé, à plusieurs reprises, qu’elle « a toujours été opposée à cet exercice annuel », parce qu’elle « défend des valeurs de solidarité et donc d’équité entre les travailleurs »[6].
La FGTB est très critique à l’encontre des systèmes d’appréciation. « D’après le syndicat socialiste, évaluer les compétences des individus est une approche trop individualiste de l’entreprise qui ne permet pas d’appréhender les dysfonctionnements de la structure dans laquelle ils évoluent »[7]. Gitta Vanpeborgh (service entreprises de la FGTB) ajoute que « le fonctionnement de l’individu, voire de l’équipe, est aussi lié à la structure de l’entreprise et aux moyens octroyés au personnel ». Et de souligner également l’influence des appréciations sur la rémunération et la carrière.
En France, l’UFICT insiste sur le fait que « tout au long de la démarche, nous devons avoir une approche à la fois collective et individuelle »[8]. « Par le collectif, on arrive à mieux défendre l’individuel »[9].
Recommandations pratiques
Une part importante de l’action syndicale, en matière d’appréciation, a été d’attirer l’attention des travailleurs sur les différentes étapes de celle-ci.
Ainsi de la fixation des objectifs : « Discutez toujours de vos objectifs ! Si vous n’êtes pas d’accord, écrivez-le, dans le système ou éventuellement dans les comptes-rendus de réunions, e-mails, etc. … En décembre, c’est trop tard. »[10]. L’emphase a aussi été mise sur les recours en cas d’appréciation insatisfaisante ou de mauvaise appréciation.
Par rapport aux grands principes des systèmes d’appréciation, c’est plutôt au Conseil d’entreprise (dans sa compétence d’avis) et en Délégation syndicale qu’un travail critique et revendicatif a été fait, dans l’optique, là, d’une défense collective des intérêts des travailleurs et de la protection de leur rémunération.
Autre réaction syndicale, en 1989, un tract CNE + LBC lançant une enquête « L’appréciateur apprécié », avec « à la fin de cette large enquête une réception afin de remettre les éventuels prix d’excellence. » !
Travail, l’évaluation en question
Parmi les documents syndicaux que nous avons pu consulter, quelques-uns vont au-delà du tract informatif ou de l’article dans les brochures syndicales. Ainsi, les actes du colloque « Travail, l’évaluation en question », tenu à Montreuil, le 26/1/2012, par l’Ufict[11] CGT Mines-Énergie. Il s’agit, en une soixantaine de pages, des minutes des différentes interventions de la journée (table ronde, débat, témoignages, …).
À travers les témoignages d’acteurs de terrain –cadres et syndicalistes– ce syndicat français y module sa vision de l’appréciation dans le cadre des valeurs qu’elle défend par rapport au travail, en partant du postulat que « l’évaluation constitue la pierre angulaire de la politique RH » et que « tous les salariés aspirent à être évalués … ». Mais pas n’importe quelle évaluation et pas dans n’importe quel cadre : « Comment faire en sorte que ce soit la réalité du travail et son utilité sociale qui soient le moteur du développement de l’entreprise et de son efficacité économique ? (…) Comment faire reconnaitre le travail dans sa réalité, individuelle et collective ? Comment le transformer dans nos entreprises pour qu’il réponde aux besoins de la société, pour qu’il donne satisfaction aux salariés qui le créent, des salariés qui sont aussi des citoyens et des consommateurs ? »
Les différents témoignages nous apprennent que « les salariés évalués ont un bien-être supérieur de 11% à ceux qui ne sont pas évalués », même s’« il existe beaucoup d’insatisfaction liée à la reconnaissance chez les salariés ». Autres aspects développés : « l’entretien annuel est le révélateur de la qualité managériale », tout en sachant que les travailleurs n’hésitent pas à « contourner les règles pour ne pas être mis en difficulté » et que « l’évaluateur sait qu’il n’a pas les moyens de régler certaines questions ». Les syndicalistes entendent nettement « jouer un rôle dans la construction de l’amélioration de l’évaluation, sa valorisation également », tout en revendiquant « des garanties, des contrôles sociaux pour des possibilités de réactions des salariés » … et aussi en conseillant les entretiens collectifs, prévus par la Loi. Ces témoins constatent aussi qu’ «aujourd’hui, un salarié qui n’a pas un entretien individuel hyper bon ne maintient pas son pouvoir d’achat » ! Au-delà de l’appréciation, il faut « donner la possibilité de remettre en discussion la question du travail ».
Nous avons là un document qui interroge la place de l’évaluation dans l’entreprise et ce dans le cadre de la place de l’entreprise au sein de la société.
[1] « FGTB : évaluer les fonctions, oui – l’individu, non ! », basé sur une interview de Gitta Vanpeborgh (service entreprises de la FGTB), (sans réf.), 2005 ?
[2] Principalement constitué des banques et assurances, mais aussi courtiers en assurances et en crédits, et d’autres métiers liés à la finance.
[3] Voir introduction.
[4] Document de travail, septembre 2014.
[5] Centrale nationale des Employés de la CSC.
[6] Tract CNE & CCSP (Bruxelles-Wallonie) Fortis Banque, 2/2002.
[7] « FGTB : évaluer les fonctions, oui – l’individu, non ! », basé sur une interview de G.Vanpeborgh, (sans réf.), 2005 ?
[8] UFICT-CGT Mines et énergie, « Actes du colloque ‘Travail, l’évaluation en question’ », 2012.
[9] Idem.
[10] SETCa-BBTK Bank of New-York (Belgique), Red Rep’ Paper, n°15, 2/2014 (traduction libre de l’anglais).
[11] Union fédérale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens de la Confédération générale du Travail (France).