LA CHUTE D'ICARE
"Ceci n'est pas un Bruegel" titrait Jean-Marie Wynants dans Le Soir du 9/11/2011, à propos de la révélation des conclusions d'une longue enquête à propos du tableau "Paysage avec la chute d'Icare" aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles. Ce tableau a fait l'objet de nombreuses publications et même d'un livre de Philippe Roberts-Jones, à l'époque Conservateur en chef des Musées (Office du Livre, Fribourg, 1974).
Voici ce que j'en écrivais, au début des années 1980 (un petit travail pour le cours d'histoire de l'art, à l'Académie de Bruxelles) :
Ce tableau semble mal porter son nom.
Icare n’y est, en effet, représenté que dans un coin du tableau, par deux jambes et quelques plumes émergeant d’un peu d’écume. « La fuite du temps » ou « Le temps qui passe » conviendrait peut-être mieux.
Bruegel se trouve à un point de passage entre un moyen-âge anecdotique et une Renaissance à grands thèmes. Ce tableau nous le montre particulièrement.
Si on trace une ligne allant de la moitié du côté gauche du tableau au coin inférieur droit, ce qui se trouve en dessous de cette ligne représente le moyen-âge, tandis qu’au-dessus on trouve la Renaissance.
Le laboureur perpétue les gestes du passé. Ses habits, le cheval et la charrue, les sillons qu’il trace sont figurés avec une certaine raideur, une certaine convention, qu’on ne retrouve pas dans le restant du tableau. De même pour les couleurs employées : dominante brune de la terre et alternance gris/rouge des vêtements s’opposent au jaune et au vert du ciel et de la mer. Le dessus du tableau reprend un certain nombre de thèmes renaissants : montagnes, soleil, l’île avec le château, les bateaux. Là, les traits sont moins précis. On devine plus qu’on ne voit les montagnes au fond et la ville au bord de la mer. Ceci avec les bateaux montre la soif de l’inconnu et le goût pour les voyages (Italie).
Une certaine fatalité se dégage du tableau : couteau sur le rocher en bas à gauche, pêcheur, berger pensif. Les sillons que trace le laboureur l’emmènent vers la mort, couchée sous un buisson. La terre représente le passé, la mer l’avenir, encore un peu flou. Le présent serait un mélange des deux. Le temps passe et des choses importantes se passent dans l’indifférence générale. Ainsi Icare …
MIREILLE DABÉE, PEINTRE DES PAYSAGES INTÉRIEURS
Les vocations naissent pendant les vacances, le nez dans l’herbe et en ouvrant les yeux. L’intérêt de Mireille Dabée pour le monde animal et végétal se marque dès l’enfance et elle se souvient d’un des cadeaux qui lui fit le plus plaisir : un microscope, qui lui permit de passer ses loisirs d’écolière studieuse à scruter des ailles de mouches ou de papillons, des gouttes d’eau, etc. … La suite logique fut les études et puis la profession orientée vers la biologie et la bactériologie.
Mais l’art ?
Il s’agit incontestablement de l’attrait du beau. Comment ne pas essayer de traduire en peintures, en dessins, les beautés qu’inspire la nature ?
Comme une cartomancienne qui vient de tirer les cartes, il s’agit tout d’abord, pour Mireille Dabée, penchée sur sa table de travail, de décrypter les taches de couleur que le hasard a fait naître sur les panneaux à peindre. À partir de ce moment commence le lent travail d’élaboration qui va amener progressivement la définition picturale, la projection sur l’espace à peindre, la représentation du mental, des « paysages intérieurs ». D’aucuns y reconnaîtront des formes animales, végétales ou minérales ; ce n’est pas vraiment de cela qu’il s’agit, mais plutôt d’une référence abstraite, profonde, à ces trois formes d’existence.
L’œuvre terminée exprime trois aspects fondamentaux : la biologie, le mouvement et aussi la femme. Il est évident que l’artiste porte en elle son tableau, avec la particularité qu’on ne s’y enfonce pas comme dans un trou noir, bien qu’elle nous montre « l’intérieur ».
Le fait que l’artiste mette ses réflexions par écrit a son importance. Les Éditions Provisoires sont heureuses d’ouvrir cette collection « Les écrits sur l’art » par le présent ouvrage.
Guy Stuckens
Éditions Provisoires
Note d’éditeur pour « Vie et créativité entre science et art » de Mireille Dabée, paru aux Éditions Provisoires, en 1985.
Note de 2016 : l’ouvrage « Vie et créativité entre science et art » a été publié en vue de la conférence de Mireille Dabée a donné, à ce sujet, au Musée d’Ixelles, le 18/9/1985. Toujours à propos de cet ouvrage :
« S’inspirant des expériences relatées par des scientifiques tels que Rhoda Kelogg ou Desmond Morris, guidée par la réflexion, éminemment intéressante à cet égard, de l’esthéticien René Huyghe, Mireille Dabée suit pas à pas l’évolution des signes plastiques depuis la naissance de l’humanité, dégage les liens secrets qui unissent leur fonction symbolique aux lois physiques et psychiques de l’homme et de son environnement. »
Serge Goyens de Heusch (extrait de la préface)
« Thank you so much for the photos, the articles and the excellent thesis. »
Desmond Morris
PIERRE HASSELLE
L'auteur peut-il peindre des paysages intérieurs, les personnages qu'il met habituellement en scène dans ses tableaux ? Pierre Hasselle, peintre de chansons. Peindre avec des mots ? Pourquoi pas ... En fait, c'est bien le concept qui nous intéresse en art. Et les mots permettent d'exprimer les concepts, d'autres moyens également : on s'adresse aux yeux, mais par eux à l'intellect; on peut aussi le faire via les sons. Alors, les mots se justifient, et des chansons faites par un peintre n'ont rien d'étonnant ...
Note du 24/3/1993 à Pierre Hasselle :
Pierre,
J'ai écris ce texte en 1990 (?), en préparation d'un ouvrage que tu comptais sortir alors (?)
(signé) Guy
XAVIER RIJS
Ce qui distingue Xavier Rijs des autres artistes-peintres, c’est la dimension particulière de son travail. Chez lui, ce n’est pas « l’art pour l’art » ; ce n’est pas l’art-utile non plus. Disons que l’utile lui donne l’occasion de réaliser une part de son rêve artistique. Son rêve, car en effet sa peinture envahit tout, elle prend forme humaine, se métamorphose, devient part de la réalité, , s’évanouit à d’autres endroits. Comme un rêve, elle est pleine de références, de significations pas toujours décriptables. La peinture, la matière, la technique s’effacent pour faire place à l’image. C’est l’image qui compte, l’illusion qu’elle crée et peu importe le moyen d’y arriver … à condition qu’il soit tellement soigné qu’on ne l’aperçoit pas.
Xavier Rijs crée l’illusion picturale ; ces tableaux permettent dix, vingt lectures différentes et variables selon l’endroit dont on les regarde. Il tient compte d’un axiome capital ; c’est l’œil du spectateur qui compte et il l’a bien compris, comme en témoignent le décor du spectacle « deux trois petites choses encore … » (avec Guy Degreef pour le texte et Marc Vanneste pour la musique) et, plus récemment, l’espace scénique de « K7 » (d’après J. Crickillon) à l’Hypothésarts : là on entrait véritablement dans son univers pictural, par la porte et un couloir peints, pour n’en sortir que le spectacle terminé, ou plutôt c’était ce passage qui déterminait la frontière entre le monde extérieur et l’espace artistique où tout participait à l’œuvre d’art, acteurs et spectateurs compris.
Son univers n’est cependant pas clos ou replié sur lui-même. Au contraire, il ouvre de larges portes et son travail est souvent réalisé en fonction d’autres artistes : musiciens (comme Marc Vanneste ou Citadelle), poètes et écrivains (Guy Degreef, Crickillon) et gens de théâtre (Hypothésarts). Je dirais même que son principal objectif est de travailler avec d’autres artistes et d’étudier les liaisons entre son travail et le leur.
Ajoutons encore qu’à côté d’expositions personnelles, on peut voir ses travaux dans la Mégarde Inachevée et dans Automne.
G.St.
(texte paru dans la revue Info-MAM en 1983)