Ascension du ballon l'Aube

Dimanche 3 juin 1928

Le Petit Troyen,

du 12 juin 1928.


A 7 heures, de nombreux membres actifs du C. A. de l'Aube travaillent déjà à la mise en place du ballon et au remplissage des sacs de sable. Le gonflement du ballon s'effectue normalement, et à 11 h. 45, M. Fleury, remplaçant au pied levé M. Petit, membre actif défaillant, monte avec nous dans la nacelle. Mais au passage, notre pilote Darsonval constate le peu de lest qu'il emporte, juge imprudent un départ dans ces conditions et déclare ne pouvoir emmener pls de deux passagers. M. Fleury abandonne.

Après quelques essais de départ, le " lâchez tout " est donné à 11 h. 55 aux accents de la " Marseillaise ". Minute impressionnante et impatiemment attendue. La terre semble s'abaisser, se resserrer, et bientôt la foule troyenne n'est plus à nos yeux qu'un monde lilliputien. La proximité d'un peuplier oblige le pilote à jeter du lest, ce qui permet de passer quelques mètres au-dessus, et à partir de ce moment, nous nous élevons très rapidement.

Midi : Chanteloup. La sirène de l'Hôtel-de-ville de Sainte-Savine arrive très nettement jusqu'à nous.

12 h. 15 : 1.400 mètres, château de Montgueux. A cette altitude, la terre nous apparaît comme une immense cuvette, aux décors cubistes admirablement éclairés par un soleil éclatant. Pas un nuage en vue, tout est pur.

12 h. 45 : La température est plus fraîche et le calme plus grand. L'altimètre marque 1.600 mètres; nous passons au-dessus de Dierrey-Saint-Julien. Jusqu'à ce point, la direction de " L'Aube " est nettement celle de Fontainebleau. Nouvelle direction ouest-nord-ouest.

13 heures : 1.600 mètres. Villecerf.

13 h. 30 : 1.420 mètres. Soligny-les-Etangs.

14 heures : Le passage de la Seine se manifeste par une descente à 1.420 mètres à Herme.

14 h. 30 : 1.220 mètres. Laissons Provins à notre droite.

14 h. 50 : Coupons la route de Provins à Nangis à Maison-Rouge; apercevons la Tour Effel.

15 h. 30 : 1.200 mètres. Coupons la route de Rozoy à Mormant.

16 heures : 1.300 mètres. A Liverdy, à droite de la ligne Mormant-Gretz, à partir de ce moment nous reprenons la direction ouest.

17 heures : 1.250 mètres, à Boissy-Saint-Léger.

17 h. 15 : La condensation commence par suite du passage de la Seine. 1.100 mètres. Du camp d'aviation d'Orly s'élève un monoplan qui vient faire le tour du ballon et nous saluer.

17 h. 35 : Nouvelle condensation et descente à 700 mètres au-dessus de Meudon.

Nous apercevons le gonflement d'un ballon dans le parc de l'observatoire.

18 heures : Nous passons au-dessus de Versailles à 900 mètres, et nous pouvons admirer les jardins du château si artistiquement dessinés.

18 h. 25 : Saint-Cyr école, à 450 mètres, Darsonval laisse volontairement s'accentuer la descente. La terre semble remonter. Nous nous suspendons vivement aux cordages pour éviter le choc toujours un peu brusque de la nacelle touchant terre.

18 h. 55 : Premier contact avec le sol, nous remontons légèrement pour redescendre 300 mètres plus loin, à ce moment Darsonval jette du lest et à cette nouvelle montée nous effleurons un poirier qui provoque un mouvement de balançoire très accentué et assez désagréable. Le mal de mer est proche. Ce que voyant, le pilote après une montée à 150 mètres décide d'atterrir à la première manifestation de descente du ballon. L'altitude demeurant constante et l'horizon apparaissant chargé de bois et de nombreux vergers, Darsonval préfère ne pas aller plus avant.

19 h. 15 : Nous prenons contact avec le sol, montée légère et 50 mètres plus loin nous touchons la terre pour ne plus la quitter, le pilote ayant galamment fait manœuvrer le panneau de déchirure.

Le ballon se couche. Nous descendons de la nacelle, ravis de notre voyage. Nous sommes à La Pissotte, commune de Beynes, à 15 kilomètres de Mantes et à 225 kilomètres de Troyes.

Les habitants accourent et aident à dégonfler et rouler l'enveloppe du ballon.

Pendant ce travail, nous avons l'agréable surprise d'être rejoints par l'auto qui suivait notre ballon et où le fils du pilote (Hubert, 15 ans ou Jean-René, 7 ans) avait pris place. Après une visite au Maire pour les certificats d'usage, nous reprenons le chemin de Troyes, en auto cette fois.

Partis avec 110 kilos de lest, nous avons atterri avec 35 kilos, poids suffisant pour rester encore en l'air un nombre d'heures appréciable.

Nous ne pouvons que réitérer nos félicitations au pilote, pour la manière dont il a stabilisé " L'Aube " et atterri d'une manière impeccable après nous avoir fait faire un aussi joli voyage.

Contrairement à ce que beaucoup de profanes peuvent penser, le vertige est chose inconnue en ballon. Il reste de cette belle randonnée une impression agréable, que nous recommencerions très volontiers, peut-être ce simple compte rendu amènera-t-il, comme il faut le souhaiter, de nouveaux et nombreux membres actifs au " Club-Aéronautique de l'Aube ". - LES PASSAGERS DE " L'AUBE ".