Rébellion, transgression ou intégration ?

En toute logique, les teen movies devraient être des films de rébellion. Mais le cinéma n'est pas un art de la logique.  

Rébellion ? 

Cela peut sembler paradoxal, mais les teen-movies présentent peu de cas de pure rébellion, contre les adultes, l'école ou le "système", comme disaient nos parents quand ils étaient jeunes. 

Le seul discours ouvertement antisocial se trouve dans Wild in the streets et de manière moindre dans Pump up the Volume, Footloose, 1969 ou dans Le Lauréat (contre la morale bourgeoise) ou plus récemment dans La nouvelle de la classe

Rares sont les films où les cadres sociaux sont remis en cause : la seule violence collective contre les adultes est dans Over The Edge, le seul lycée détruit est dans Rock'n Roll High School, la seule conduite antisociale est dans Be Bad ! (et encore : par amour et par schizophrénie) et le hard rock a clairement un rôle subversif dans Trick or treat (du moins au début du film). Dans Heaven help us, la révolte des élèves d'un lycée catholique est assez bon enfant (de chœur) et finalement justifiée et excusée. Inversement, on jubile quand les délinquants incontrôlables de Class 1984 s'en prennent à leur tour plein la tête. 

La raison principale est liée au genre lui-même : dans des comédies, le drame a peu de place. Les films de révolte sont plus faciles à trouver au début de l'histoire des teen movies, jusqu'aux années 70.

L'Apocalypse : destruction du lycée par explosion intentionnelle sur fond de concert rock (Rock'n Roll High School). Une radicalité très rare dans les teen movies.

Dans Over The Edge, la jeunesse agit quasiment comme le prolétariat : humiliée, elle s'organise, se révolte et met à bas les symboles de l'exploitation adulto-policière (voitures, centre social, école...). Point commun avec le film précédent : les Ramones sont dans la bande-son.

Quant aux parents, on pourrait s'attendre à une multiplication d'oppositions dans les teen movies. 

Pas tant que cela en fait : certes, les portes claquent, on détourne un peu les règles et le ton monte souvent, mais ce n'est que passager et bien maîtrisé pour fournir des rebondissements à peu de frais. 

Rares sont les films qui s'en prennent à la figure parentale et en général, ils sont plutôt anciens (La fureur de vivre, La fièvre dans le sang, Le lauréat, Wild in the streets qui  présente un des rares cas de rébellion violente contre une mère tyrannique). Mieux : la plupart d'entre eux se terminent par une réconciliation générale (Freaky Friday, 10 bonnes raisons de te larguer, LOL, Gidget, Dirty Dancing, Dirty Girl, Presque célèbre, Le kid de la plage...). Rebel without a cause semble être à la fois un film fondateur et indépassable : le héros se révolte contre ses parents (et encore, il en veut à son père pour son effacement devant sa mère). Une très grande part des teen movies reprendront ce cliché de la parentalité en défaillance (voir la section sur les personnages) quand elle n'est pas carrément absente (Le lagon bleu en étant la plus belle métaphore). 

Il faut aussi dire que la mère est complètement folle dans Wild in the Streets. La plupart du temps, les parents sont soit rassurants, soit absents dans les teen movies américains.

Dans les teen movies frenchies, la rébellion anti-parentale est en revanche un passage obligé. L'exception culturelle française ? (15 ans et demi)

Les symboles de l'ordre social ne sont pas non plus malmenés. 

La police est moins souvent contestée que raillée, quand elle tient une vraie place dans un film (ce qui est assez rare). Même dans les slashers, elle est complètement impuissante et incapable (Scream, Halloween). Dans certaines comédies, elle peut même être complice des délires ados (Porky's et surtout les deux flics fous de Supergrave). 

Quant aux profs, ils sont plus perçus comme de vieux bavards un peu casse-pieds qui ne comprennent rien, que les tenants d'un ordre à renverser, tout comme les vieux barbons qui ne comprennent rien aux jeux vidéo et qu'on ridiculise pour les vaincre (Joystick). Quand les héros de Breakfast Club osent manifester leur point de vue en fin de film, c'est sous la forme d'une lettre bien polie à leur principal, juste avant de rentrer chez les parents. Bref, bien peu de rébellion là-dedans. La seule prof réellement détestée fait tout pour se faire haïr (Mrs Tingle). Et quand ils font trop de zêle, ils en deviennent ridicules (La folle journée de Ferris Bueller). Rare sont les portraits de profs intelligents et sensibles, même s'il faut gratter derrière les apparences (The edge of seventeen). 

Comment se rebeller contre des figures de l'autorité traditionnelle quand celles-ci sont défaillantes ?

Deux profs pour le prix d'un dans La Folle Journée de Ferris Bueller : le premier est dépassé...

et le second est hargneux mais guère plus efficace.

Risky Business est un cas un peu à part d'ironie un peu cynique envers le libéralisme et le sens de la carrière. Le jeune héros finit en effet par envoyer le recruteur d'Havard par un "what's the fuck ?" (en gros, "rien à battre") et par monter un réseau de call-girls particulièrement rentable. Il ne fait qu'appliquer les exhortations de ses parents et de ses enseignants : les autres élèves présentent fièrement des réalisations technico-commerciales qui leur font gagner quelques dollars, là où lui en ramasse plusieurs milliers. Et sans aucune gêne morale... On est là très proche du "greed is good" ("l'avidité, c'est bien") de Gordon Gekko dans Wall Street (Oliver Stone, 1987).


La désinvolture du candidat face au recruteur d'Harvard

La transgression

Cette question centrale du groupe est sans doute l'ingrédient principal qui peut expliquer le succès de ces films auprès des adolescents.

Tentons une dernière hypothèse : le teen movie est-il un cinéma de la peur ? Ces films seraient un concentré des angoisses des ados, effrayés par le désir, par le risque de la solitude, par l'accès à l'âge adulte et ses renoncements et par l'insertion sociale ou professionnelle de plus en plus incertaine.

Quoi qu'il en soit, les teen movies sont bel et bien le reflet des préoccupations de nos sociétés modernes des modalités de passage à l'âge adulte. En cela, les ados des teen movies semblent interroger notre société sur ses tabous et ses dépendances. 

Piquer la voiture du papa du copain, qui a un compte à régler avec lui , puis la détruire, dans un acte manqué : la transgression reste cependant dans le cadre familial (La folle journée de Ferris Bueller)

Toutes les quêtes des jeunes héros imprègnent totalement leur vie et semblent en même temps inatteignables. 

Le rapport à la sexualité est particulièrement révélateur : la tentation, voire l'incitation, sexuelle est partout, mais absolument hors de portée dans la pratique. La frustration anime la plupart des héros des teen movies. Cette opposition entre l'objet du désir et sa conquête suffisent à la plupart des scénarios. Elle est au cœur d'un film comme Easy A, où ce qu'on dit sur la vie amoureuse est uns et des autres est plus important que la vie amoureuse elle-même. 

La contradiction n'est d'ailleurs pas la moindre des caractéristiques de l'adolescence... Dans Projet X, toutes les limites sont franchies par le héros (drogue, alcool, destructions matérielles, violence verbale et physique) sauf celle du sexe.

De la transgression, donc. Mais bien sur les mêmes objets qui fascinent et révulsent à la fois toute la société, dont les teen movies sont une forme de reflet grossissant. Dans nos sociétés où il n'existe plus vraiment de rite de passage à l'âge adulte, aurait-on de jeunes héros qui fabriquent les leurs ? Les teen movies seraient-ils des allégories de ces rites de passage, de la même manière que la littérature de jeunesse selon l'écrivain Erik L'Homme ?

L'important, ce n'est pas ce qu'on fait (ou pas), mais ce qu'on dit de soi, et qui circule à la vitesse de la lumière sur les réseaux sociaux. (Easy A)

Intégration ?

Et si nos ados des teen-movies, en voulant franchir ces étapes (par l'accès à la sexualité en particulier), ne cherchaient qu'une chose : s'intégrer à l'ordre social ? 

Comme le dit un des jeunes acteurs de Wild in the Streets à son père : "si personne ne veut vieillir, pourquoi les enfants veulent-ils grandir ?". Cette phrase était prémonitoire à la date du film (1968). 

Mais la morale est souvent sauve à la fin du film : les ados, après une période d'agitation, intègrent assez sagement leur futur costume d'adulte au moment du générique final. Le héros malin de Dope met toute son intelligence pour éviter d'être happé par les gangs de L.A., afin de pouvoir intégrer Harvard. Cette même obsession d'accès à l'université, sésame magique d'un avenir radieux, est un obstacle tellement connu et difficile qu'il est logique qu'il soit récurrent dans les teen movies américains (L'esprit d'équipe, Risky Business, Admis à tout prix...). Et finalement, décrocher un job devient le vrai rite de passage à l'âge adulte (Get a job).

Prêt à n'importe quoi avec n'importe qui pourvu qu'on soit à la fac... (Admis à tout prix)

Il est souvent surprenant que la quête sexuelle, même complètement débridée, aboutit souvent à des mises en couple très standards, voire carrément au mariage (American Pie) et même au renoncement à l'amitié entre garçons (la belle scène finale de Supergrave). 

Certes, le genre de la comédie implique une happy-end, mais pourquoi nos héros ne continuent-ils pas sur leur lancée, dans un militantisme de la libération sexuelle ? 

La sexualité est en effet rarement une fin en soi, mais plutôt un moyen de chercher le grand amour, celui dont on croit qu'à 15 ans, il pourra durer toute la vie. Il est donc bien peu question d'hédonisme mais bien de sentiments nobles, voire de rite de passage vers l'âge adulte, de symbole d'accès à l'autonomie affective. 

Il est par conséquent logique que les parents n'y soient d'aucune utilité et que les risques réels (viol, grossesse non désirée, MST, SIDA...) y soient très rarement abordés : la figure de la fille-mère (For keeps) est rarissime alors que celle de la lolita est omniprésente. 

L'évolution de l'héroïne de Fast Times at Ridgemont High est révélatrice : après deux rencontres (dont elle a pris l'initiative) puis un avortement, elle finir par un amour platonique mais réel avec un garçon de son âge qui préfère attendre "le bon moment". La jeune Terry dans Just one of the guys se travestit en garçon suite à une injustice dont elle s'estime victime en raison de son sexe, mais il ne s'agit finalement pas d'un manifeste féministe : le but est juste de décrocher un stage tout en tombant amoureuse de manière très classique. Dans 1:54, le héros ne milite pas pour l'homosexualité et le film n'est pas un manifeste : il veut juste qu'on arrêt le harcèlement dont il est victime afin de vivre comme les autres.

Même les cinglés d'American Pie ne pensent qu'au mariage

Même intégration au plan scolaire : nos héros font ce qu'ils peuvent pour être diplômés et en général, ils y arrivent (Elle est trop bien, Superblonde). En général, un bonheur n'arrive jamais seul : c'est fromage (diplôme) et dessert (grand amour et/ou dépucelage).

Le seul film où leurs exploits les font exclure de l'université est American College. Mieux : une jeune adulte pas vraiment à l'aise et traînant un passé douloureux de ridiculisation au lycée ne trouve pas meilleure thérapie que d'y retourner (College Attitude).

Mais rares sont quand même les teen-movies où les héroïnes entrent dans les ordres à la fin (Le dortoir des anges).

C'est finalement optimiste : même s'ils ne fichent rien, ils sont tous diplômés (Elle est trop bien). 

L'intégration ne se fait pas seulement vers l'âge adulte. Elle se fait d'abord et avant tout entre pairs. 

Il est très rare de voir un teen-movie sans "bande" : le groupe de copains et de copines, d'ami(es), essentiellement pris dans l'univers scolaire. Si le groupe n'est pas le héros du film, il en est le principal ressort : la solidarité (American Pie, Porky's, Le Péril Jeune) est le lien primordial. 

Ce désir d'intégration est le ressort scénaristique principal, voire pour les plus ambitieux "devenir populaire". La reconnaissance de la personnalité du héros se fait dans les yeux de ses pairs, pas dans ceux des adultes. Dans Les Beaux Gosses, le héros finit par s'intégrer en douceur au groupe d'ados à la fin du film, après être passé par une série d'épreuves quasi-initiatiques. La mise à sac du quartier est la garantie de devenir enfin populaire dans Projet X. Aux péripéties comico-désastreuses succède une fin presque apaisée : l'ado est intégré. Ce lien est néanmoins mis à l'épreuve dès que l'univers scolaire disparaît (St Elmo's Fire). 

Cette intégration passe souvent par l'adoption des codes (essentiellement vestimentaires) du groupe que l'ado veut intégrer : le nerd doit par exemple se débarrasser de ses lunettes, de sa chemisette dans la poche de laquelle sont alignés les stylos et de ses baskets mal assorties au pantalon tergal (Les Tronches) ou de son uniforme (Animal House) et la jeune fille doit adopter un tenue plus grégaire (Lolita malgré moi, Heathers). C'est un accessoire vestimentaire qui permet le maintien de l'amitié et un ensemble d'épreuves de passage à l'âge adulte dans Quatre filles et un jean

Le balancement entre désir d'intégration / intégration (souvent vestimentaire) / prise de conscience - révolte - reprise d'autonomie par rapport au groupe est assez fréquent dans les scénarios : l'accès l'identité assumée, donc à l'âge adulte, suit souvent ces passages obligés.

La bande, quasi un personnage à part entière du teen movie (Le Péril Jeune)

Après des amours chaotiques et mélangés, les trois étudiants endossent leur identité sexuelle d'adulte dès la sorti de la fac (1 fille 2 garçons 3 possibilités)

Breakfast Club est même un film sur la création de relations entre ados, que tout opposait au départ et qui ne sont réunis qu'accidentellement pour une punition. Le sujet du film n'est rien d'autre que la découverte de l'autre comme un être ressemblant. Quand les héros quittent le lycée, la punition achevée, ils tirent leur force de liens qui viennent tout juste d'être créés entre eux.

La non-intégration (ou la volonté pathologique d'être intégré et populaire) au groupe majoritaire d'ados peut être aussi un sujet de film : si la plupart du temps, c'est un ingrédient comique (10 bonnes raisons de te larguer, Lolita malgré moi, College Attitude, Easy A), il est prétexte à un déchaînement de vengeance violente dans Carrie, à de l'amertume compte tenu du prix à payer (Can't buy me love, Lucas) ou à de l'humour très noir (Heathers).

"Maman, il faut que tu comprennes que je ne suis pas comme toi. Tout le monde à l'école trouve que je suis bizarre et moi je veux être normale, je veux être comme les autres camarades, je veux profiter de la v..." (interruption violente de la mère par jet de vaisselle). (Carrie)