Le maillot de bain rouge...par Fredaine
Le maillot de bain de ses trois ans et demi était tout rouge, avec un crabe bleu brodé sur le ventre. Offert par sa tante Adélaïde, il était magnifique ; elle l’enfila aussitôt. Mais il était tricoté en laine. Dès que la petite fille se fut assise sur le sable humide de la plage bretonne, elle s’aperçut que cette laine était un instrument de torture qui grattait horriblement. Elle courut vers la mer pour calmer les démangeaisons. Las ! Le maillot devint lourd comme du plomb, il pendait lamentablement jusqu’aux genoux de l’enfant désespérée. Honteuse, elle n’osait plus remonter sur la plage.
Pourtant tante Adélaïde avait cru bien faire : la Bretagne est réputée être fraîche, n’est-ce pas ? Et puis, à l’époque le Lycra n’existait probablement pas encore…Dès que la tante les eu quittés, le maillot rouge fut rangé pour toujours.
Mais la fillette y pensait encore l‘hiver suivant, dans la tiédeur de son lit. Elle aimait les nuits d’hiver, car alors elle pouvait enfiler sa chemise de nuit en pilou bien chaud, d’un rose très pâle. L’empiècement rond brodé de petites fleurs bleues l’enchantait, les manches longues et le col boutonné haut lui assuraient des nuits douillettes. Mais ça, c’était la nuit …
A la rentrée scolaire, tout autre chose l’attendait ! En classe, de la onzième à la terminale, du lundi au samedi, c’était l’uniforme bleu marine. Absolument obligatoire, il conférait une belle unité à l’établissement, il effaçait toute différence sociale. Manteau bleu marine, jupe bleu marine, corsage beige en tergal, socquettes blanches et souliers bleu marine (ou noires à la grande rigueur). Aucune fantaisie n’était tolérée, toute fanfreluche était confisquée. Même pour le cours de gymnastique, l’uniforme régnait : un bloomer (qu’elle adorait) en coton bleu ciel, pâli à force de lavages, et un chemisier blanc.
La jupe bleu marine posait problème. En hiver, on aurait dit qu’elle prenait un malin plaisir à griffer les genoux de la petite, nus, rougis et gercés par le froid. De plus, en solide lainage, portée tous les jours, la jupe était bien sûr souvent sale… et parfois même tachée. Lorsque, dans les couloirs glacés du matin, les élèves défilaient en rang devant la surveillante générale, elles redoutaient les remarques acerbes : « Mesdemoiselles, j’ose espérer que vous faites nettoyer vos vêtements de temps en temps ? » La petite fille imaginait alors le monceau de vêtements à faire nettoyer chez elle : cinq jupes et deux culottes courtes à chaque fois. Certainement ce professeur ignorait tout des familles nombreuses, la pauvre !
Puis le dimanche, au temps des jeannettes, c’était encore un uniforme bleu marine.
Ce n’est qu’une bonne vingtaine d’années après les études scolaires qu’elle a pu à nouveau porter du bleu marine.
Dans une famille nombreuse, les vêtements passent souvent d’enfant à enfant. Ce qui avait survécu jusqu’à la fillette, cinquième de la série, était passablement râpé, déformé. Par exemple : les socquettes qui, invariablement, glissaient jusqu’au bout des doigts de pieds, dans les vilains souliers achetés au marché !
Mais, il y avait aussi du bon dans ces héritages : ne garde-t-elle pas un souvenir ému d’un merveilleux manteau à chevrons gris pâle ? La double rangée de boutons était recouverte d’un ravissant velours vert foncé, tout comme le col, si doux qu’elle n’avait jamais envie de le quitter.
Elle se souvient aussi des talents développés par sa mère pour vêtir sa progéniture. Les longues heures de couture étaient souvent accompagnées du cliquetis de la machine à coudre qu’elle entend encore aujourd’hui.
Des mains de la magicienne sortirent nombre de « robes pour aller danser » de ses filles. Souvent superbe, le vêtement était parfois qualifié « d’importable » par la destinataire déconfite, en raison d’un détail qui tue. Comment ne pas rougir de confusion quand on doit porter une robe dite droite, c’est-à-dire en forme de sac, orné (le sac) d’un nœud stupide sur chaque épaule ? Le comble étant le tissu à fleurs…
Mais comment oser l’avouer à sa chère maman qui a consacré tant de temps à l’ouvrage ?
Fredaine
Le tablier de Scarlett
C'était en pleine période de la guerre de 194O/45, dans ce village d'Echouboulains, où j'ai passé toutes mes années de petite fille et d'adolescente. Entre 1942 et 1948 dans l'école dirigée par la seule Institutrice du village, « Madame Lérot », dont je me souviens même du nom... puisque tous les Instituteurs étaient soit à la guerre, soit prisonniers.
Nous étions au moins 4O/5O élèves filles et garçons mélangés. Les garçons de 7 à 14 ans en faisaient voir de toutes les couleurs à Mme Lérot : par exemple. les fils du garde-forestier, lesquels habitaient en pleine forêt, apportaient presque chaque jour, un nouvel animal en classe : des lapins de garenne, des oiseaux, 1 écureuil, etc.qu'ils passaient en douce entre chaque main d'enfant avec des petits cris étouffés jusqu'à ce que l'oiseau s'envole au milieu de la classe. Mme Lérot mettait bien une heure à rétablir l'ORDRE.
Tous ces souvenirs de classe sont encore présents à mon esprit. Lorsque j'arrivais à l'école le lundi, toutes les filles, mes camarades, me regardaient déjà avec envie, touchaient mon tablier bleu ciel qui avait l'air en effet d'une robe, à plis religieuses et col claudine, avec 1 ruban -ceinture dans le même tissu popeline que maman nouait à l'arrière par un noeud énorme. Maman elle-même très coquette, voulait pour sa fille les plus belles robes et le tablier qui était obligatoire à l'école, elle les faisait faire sur mesure par une couturière.
J'avais aussi le même gros noeud dans les cheveux, mais en taffetas, lequel attachait « mes anglaises" sur lesquelles maman passait un temps fou le matin avant mon départ pour l'école.
Oui bien-sûr j'étais contente de porter ces jolis tabliers, mais triste à la fois d'être différente des autres petites filles, avec la peur aussi de risquer de le salir ... ou de le déchirer...
J'ai conservé cette coquetterie toute ma vie, sur le modèle de maman laquelle, se paraît encore la veille de sa mort, de son rouge à lèvres « rouge baiser ».
Scarlett