Stage atelier d’écriture à Saint-Lunaire – 15/06/2016
Thème : l’ailleurs
Voici
Voici l’ailleurs que j’attendais, il est ample, aérien parce qu’il s’envole très haut et très loin.
Voici la musique de cet ailleurs qui existe et que je retrouve à chaque écoute.
Voici un ailleurs qui ne m’échappera plus.
Voici l’ailleurs avec lequel je peux m’évader quand je le désire.
Voici un ailleurs sonore qui retentit dans tout mon être et qui me fait vibrer parce qu’il m’exalte totalement.
Voici un ailleurs divin qui me conduit dans les hautes sphères de la spiritualité.
Voici « mon » ailleurs composé par Sibelius dans sa 5ème symphonie, 4ème mouvement. Sibelius regardait par la fenêtre un étang où une dizaine de cygnes s’ébattaient joyeusement, puis brusquement ils ont pris tous ensemble leur envol ; le spectacle était magnifique : un ballet aérien et blanc s’élevait dans le ciel gris, un vol lourd mais majestueux avec les longs cous pointés en avant, et le mouvement syncro des ailes régulier et efficace. Sibelius en a fait une musique et c’est devenu un de mes « ailleurs».
Un galet trouvé sur la plage.
Il était une fois un petit galet apporté sur la plage du Perron au gré des marées. Il n’est pas échoué, il a été « déposé » par la mer. Il est plat, il est rose, il a été poli et repoli ce qui le rend lisse et doux au toucher comme une peau familière. Il devient tiède comme les doigts qui le prennent. S’il est recouvert d’eau, il devient plus foncé et prend la teinte chaude d’une brique.
Pourquoi as-tu ramassé celui-ci plutôt qu’un autre ? Il y en avait des milliers tous différents. Tu l’as remarqué, tu l’as choisi, tu l’as emporté, il t’appartient. Un petit souvenir de plus à ranger chez toi comme tous les autres, mais ce n’est pas n’importe lequel ; c’est celui de moments privilégiés vécus avec les « écrivantes » du Perche au cours de notre stage d’atelier d’écriture à Saint-Lunaire. Ce sont les « écrivantes » du cœur que tu as découvertes ou redécouvertes cette année… et ce n’est pas un hasard si ton galet rose a la forme d’un cœur.
Enquête sur une femme disparue, dépeinte par trois commerçants différents.
Vanessa habitait le quartier depuis une dizaine d’années. Le lundi 3 septembre 2015, Vanessa avait été découverte étranglée dans sa maison 9 rue du Chien-assis. C’est sa voisine, Madame Beauchard, qui l’avait découverte. Elle avait croisé le facteur qui lui avait donné le courrier de Vanessa. Madame Beauchard avait sonné plusieurs fois chez Vanessa, elle lui avait téléphoné : pas de réponse. Les volets étaient fermés et elle ne l’avait pas vue sortir de chez elle. Comme elle avait les clefs de sa maison, elle avait ouvert la porte et l’avait découverte gisant sur le tapis du salon. Madame Beauchard avait immédiatement prévenu les gendarmes qui avaient aussitôt commencé leur enquête chez les commerçants de la rue du Chien-assis.
. Monsieur Raoul, le coiffeur.
Oh ! Vanessa était une femme très agréable. Elle venait toutes les semaines pour un schampoing-broshing et une teinture tous les trois mois, car ses cheveux blancs la contrariaient énormément ; elle avait une cinquantaine d’années, elle en paraissait quarante quand ses racines étaient teintes. Elle parlait beaucoup de son mari qui était parti un matin et qui n’était jamais revenu. La pauvre femme continuait désespérément à l’attendre. On voyait bien qu’elle était triste par moment. Elle n’avait pas d’enfant mais un frère et un neveu qui venaient la voir de temps en temps. Tous les vendredis soir, elle sortait mais c’était un mystère ; elle partait seule, bien habillée vers 19 heures quand je fermais mon salon de coiffure. Elle allait prendre le bus rue des Faucheurs. C’est tout ce que je peux vous dire.
. Madame Joly, la boulangère.
Ben oui ! Vanessa, je la voyais tous les jours. Elle prenait une demi- baguette et des gâteaux quand son frère et son neveu venaient lui rendre visite. Elle n’était pas très causante mais aimable sans plus.
. Monsieur Duchemin, le buraliste.
Ah ! Vanessa, on la connaît bien. Chaque semaine, elle venait acheter sa cartouche de Marlboro, elle fumait comme un pompier, et puis elle jouait au loto, un jour elle avait même gagné une jolie somme. Quelquefois, elle venait s’accouder au bar et commandait un Martini ; sa voisine, Madame Beauchard, venait la rejoindre de temps en temps. Elles rigolaient bien toutes les deux, je peux vous le dire, deux femmes seules, il ne faut pas s’imaginer que c’est triste, je vous le garantis ! et puis c’était un deuxième Martini et elles parlaient de plus en plus fort. Au bout d’une heure, elles repartaient toutes les deux bras dessus bras dessous, je ne sais pas si elles rentraient chez elles ou si elles allaient au cinéma ou au restaurant.
Un voyage
Je voyageais sur un voilier depuis quelques années. Je naviguais, je naviguais avec des buts imprécis divers et variés qui ne me suffisaient pas. Je ne pensais pas à la destination finale, je naviguais….certes, j’essuyais bien quelques tempêtes mais je n’ai jamais été naufragée. Maintenant que j’ai un certain recul et que cette période est loin derrière moi, je me demande si ce n’est pas pendant les tempêtes que je m’en sortais le mieux. Quand le vent tombait et restait absent pendant quelques jours, la mer étale était lisse comme de l’huile, les voiles pendaient lamentablement, je trouvais ces moments très ennuyeux et pour avancer il fallait bien mettre en marche le moteur avec le bruit et les odeurs que je détestais. Je n’étais pourtant pas pressée d’avancer pour arriver où….je ne le savais toujours pas, mais il fallait y aller ! En fait, c’était la houle, les creux de 6 mètres, le vent qui gonflait les voiles que j’aimais – me battre contre les éléments avant d’arriver au port.
Le voyage sur ce voilier que j’avais nommé « L’ailleurs » a duré pendant des années. Les escales étaient courtes, je rencontrais toujours les mêmes gens. Je n’étais pas très motivée et je désirais autre chose en ne sachant pas très bien quoi. Ma vraie destination était toujours mystérieuse et inconnue de moi. J’attendais un signe qui ne venait pas. Je ressemblais un peu au Hollandais volant du Vaisseau Fantôme de Richard Wagner : cet homme errant et bizarre qui va de port en port pour trouver la femme qui lui donnera son amour et le sauvera de la mort.
Et puis un jour, durant une escale dans un port que je ne connaissais pas encore, un voilier est venu s’installer près du mien. Je ne l’avais jamais vu. Comme moi, il parcourait les mers depuis des temps et des temps et il ne savait pas non plus où s’arrêter exactement. Il errait comme moi de port en port. Nos interrogations, nos réticences, nos peurs, nos espoirs enfouis se sont révélés identiques et nous avons décidé de continuer notre voyage ensemble en sachant très bien cette fois où nous voulions aller. J’ai même quitté mon navire et j’ai embarqué sur le sien, qui s’appelait « Ailleurs II », avec tous mes bagages, mes fantasmes et mes attentes.
Nous avons vogué ensemble dans un bonheur total ou l’amour unifié. Les tempêtes n’étaient qu’extérieures. S’il leur arrivait d’être intérieures, elles exprimaient nos passions et nous emportaient plus loin dans notre voyage personnel, mais à deux.
Lily et Jude
Nouvelle d’après « Le grand marin » de Catherine Poulain.
Lily a du mal à s’endormir. Elle doit être trop fatiguée. La journée a été rude. Elle a mal aux reins, elles étaient lourdes les caisses qu’elle portait cet après- midi. C’était sympa quand Jude est venu l’aider. Pourquoi est- il venu lui donner un coup de main, ce n’est pas son genre d’aider les autres. Elle s’est aperçue qu’il la regardait d’une drôle de façon aujourd’hui. Ils ont même échangé des regards – des regards plein d’embruns, des regards de fatigue, des regards intenses, des regards avides….avides de quoi ? Peut-être d’amour….Lily…Elle s’interroge. Ah bon ! tu crois..
Jude est sur la couchette à la même hauteur que Lily de l’autre côté de la travée. Il s’est retourné de son côté. Elle le regarde dormir. Son visage est apaisé par le sommeil. Sa peau est un peu craquelée avec le soleil, le vent et l’eau salée. Il n’a pas dû se raser depuis dix jours, sa barbe est brune comme ses cheveux un peu longs. Jude ouvre les yeux. Il voit Lily et la regarde. Ils se regardent. Rien ne bouge sur leurs visages. Les regards s’intensifient et deviennent profonds. Ils plongent l’un dans l’autre par le regard.
Puis Jude tend son bras vers Lily. Elle lui prend la main, il serre très fort la sienne. Ses yeux brillent dans la pénombre et continuent d’observer ceux de Lily. Jude se soulève sur un coude, il esquisse un sourire auquel Lily répond. Est-ce une invite réciproque ?
Jude enjambe la travée et se retrouve sur la couchette de Lily qui se pousse contre le mur pour lui faire un peu de place. Ils ne se sont pas quittés des yeux, ils ne peuvent pas faire autrement ; ils sont rivés l’un à l’autre. Leurs bouches se trouvent, leurs corps se touchent, leurs élans se mélangent. Ils n’échangent pas un mot, ce n’est pas utile. Ils savent, ils sont d’accord pour faire l’amour avec toute leur fougue, leur passion retenue depuis ils ne savent plus quand.
Poème sur l’Adieu.
Adieu les champs chahutés par le vent
Adieu les blés murs et bronzés de juillet
Adieu les chants d’oiseaux du concert de l’été
Adieu mon refuge de vie toujours désiré
Adieu la cheminée bombardée d’étincelles
Adieu les nuits d’été aux voûtes étoilées
Je pars pour un autre ailleurs que je ne connais pas encore.
L’ailleurs en soi
C’est bien « l’ailleurs en soi » que tu as éprouvé lorsque tu as sauté en parachute en 2005. Cette sensation unique d’être dans le vide. Ce cri d’horreur que tu as poussé lorsque tu t’es jetée du petit avion…et puis la chute libre où ton corps semblait se disloquer, s’émietté dans l’éther. En bas les petits rectangles des champs, les petits légos des habitations, les voitures en tête d’épingle.
Tu te sentais happée dans une passivité totale…et puis l’ouverture du parachute qui fut dans l’instant un moment d’éternité où tout a basculé. Toujours dans le vide mais avec une impression de sécurité encore jamais ressentie. Tu planais, tu volais comme ces grands oiseaux qui parcourent le ciel. Cette sensation maximale de liberté, tu ne l’avais connue que dans tes rêves, mais là, le virtuel était devenu réalité. Tu te sentais légère, portée, soutenue par des bras invisibles. Tu aurais voulu que le temps s’arrête et que ce vol continue à tout jamais. Ton corps était suspendu et descendait doucement vers la terre où t’attendaient ceux que tu aimes.
Quel beau cadeau d’anniversaire ! il t’a procurée une décharge d’adrénaline pour une période de trois mois environ.
Le rocher de La Loreleï (d’après un poème de Heinrich Heine)Légende et réalité d’un personnage.
Il était une fois, sur les bords du Rhin, un énorme rocher qui s’avançait dans l’eau sombre. Cet endroit était réputé très dangereux pour les mariniers parce que, autant le gros rocher était bien visible, autant de nombreux récifs immergés ne l’étaient pas et les bateaux venaient s’y échouer régulièrement.
Mais la légende explique différemment ces naufrages.
Dans ce rocher, une grotte servait de repaire à une sirène d’une beauté incroyable, elle s’appelait Loreleï. Elle était grande, mince, revêtue d’une longue robe dorée moulant ses formes parfaites. Mais surtout elle possédait une chevelure dorée comme sa robe qui descendait jusqu’au bas de ses reins. Elle en prenait grand soin et, en fin de journée, au moment du coucher du soleil, elle sortait de la grotte et montait sur le point culminant du rocher. Elle s’installait là face à l’astre déclinant mais encore resplendissant. Sa robe et sa chevelure dorées brillaient de tous leurs feux. Elle se mettait alors à chanter une chanson étrange et très mélodieuse qui résonnait dans la montagne. Elle déplaçait sa chevelure sur un côté et la peignait avec un peigne d’or ; son mouvement était lent, régulier et très harmonieux. Ses cheveux ondulaient avec la brise du soir et retombaient sur le rocher où était assise alanguie la sirène. Vu du fleuve, le spectacle était magnifique. Et la légende dit que les navigateurs qui passaient près du rocher étaient subjugués par cette vision. Au lieu de s’en éloigner pour éviter les récifs, ils s’en approchaient au contraire pour voir de plus près la sirène aux cheveux d’or et invariablement leur navire heurtait les rochers immergés et ils ne pouvaient plus s’en dégager.
C’est pourquoi ce rocher fut appelé « le rocher de La Loreleï ».
Le départ
Les prémonitions de Houelbecq se sont avérées justes. Nous sommes en 2050. Nous avons un président de la République islamique. Toutes les femmes doivent porter le voile. Elles ne travaillent plus. Elles élèvent leurs nombreux enfants et restent à la maison. Les hommes ont plusieurs épouses. La natalité augmente. Le chômage a disparu. L’économie française se redresse, l’Arabie saoudite renflouant les caisses. La France n’est pratiquement plus endettée.
Mais les Daromont ont décidé de quitter cette France qui n’est plus la leur. Ils vont partir au Canada, à Montréal.
Ils ont trois enfants : deux garçons de 14 et 17 ans Olivier et Emmanuel, et une fille de 20 ans Barbara.
Ils parviennent à vendre assez rapidement leur appartement parisien dans le 8ème arrondissement et leur maison de campagne dans le Perche.
Paul, le père, est ingénieur en informatique et travaille déjà avec le Canada ; il est en pourparlers avec la filiale canadienne de sa société pour trouver un nouveau job.
Sa femme, Alice, est gynécologue, et devrait pouvoir exercer à l’hôpital Notre-Dame de Montréal.
En ce qui concerne les enfants, pas de problème pour qu’ils continuent leurs études.
Le grand jour du départ arrive. Ils ont trouvé une maison aux environs de Montréal. Les meubles sont déjà partis en container. Les adieux à la famille et aux amis ont commencé depuis une semaine. Tout le monde est très triste. Quel changement de vie ! L’éloignement des proches est le plus redouté. Les parents âgés qu’ils ne reverront peut-être plus… Les enfants quittent leurs copains. Certes, les technologies modernes permettent de ne pas perdre contact mais ils sont tous très stressés.
L’aéroport Charles de Gaulle, les visas, les bagages, les attentes et hop ! la famille Daromont s’envole pour l’aventure canadienne.
Quand ils arrivent dans leur maison près de Montréal – mauvaise surprise ! Les meubles ne sont pas arrivés et le chauffage ne marche pas ! Il fait -30° dehors ! Ils sont obligés d’aller à l’hôtel. Le moral est au plus bas. Ils ne comprennent rien au langage canadien avec leur accent pas possible. Les tempêtes de neige se succèdent.
Paul a rendez-vous avec la société canadienne qui est d’accord pour l’embaucher mais seulement dans deux mois. Alice a rendez-vous à l’hôpital Notre-Dame, il n’y a pas de poste à pourvoir pour l’instant. Les enfants commencent leurs cours dans 10 jours après les vacances d’hiver canadiennes ; les garçons vont terminer leurs humanités et Barbara entre en faculté de Psycho.
Au bout de 15 jours, les meubles arrivent enfin et le chauffage marche. L’installation dans la maison peut commencer. Tout va beaucoup mieux. Ils vont bientôt pouvoir quitter l’hôtel et être chez eux.
Mais Alice ne va pas très bien. Elle est très fatiguée, un peu déprimée et, depuis leur arrivée, elle n’arrête pas de tousser. Elle va aux consultations de l’hôpital Notre-Dame où elle apprend qu’elle a une broncho-pneumonie assez grave. Elle est hospitalisée. Avant d’être médecin, elle sera donc patiente à l’hôpital Notre-Dame de Montréal.