A la suite de la lecture du dernier livre de Paul Auster " Excursions dans la zone intérieure. J'ai proposé aux participants d'écrire un souvenir en reprenant la contrainte de la deuxième personne. S de B.
La sirène
Comme à chaque 15 août les cloches sonnent, et ton coeur aussi, à leur rythme, résonne, résonne et tu trépignes car tu crois encore (et pour longtemps) que cette joyeuse cacophonie est en ton honneur.
Comme toujours ta mère a écumé les plages grecques de tes vacances longuement, essayant de constituer une petite assemblée enfantine, angoisse de chaque été aucune de tes petites camarade parisienne ne passant ses vacances en Grèce, pour partager ta fierté et t'aider à souffler tes 9 bougies anniversaires. Neuf bougies tu es presque une grande. En secret depuis des semaines, tu économises ton argent de poche de toute petite personne et ton minuscule pécule t'a servi à acheter enfin au "bazar américain" temple du mauvais goût bon marché, un immonde maillot,de bain en jersey de culotte de couleur banane, cloqué de surcroit et d'à peu près 8 tailles trop grandes. Trop grand oui, mais fascinant car entier une pièce !
Finis les minuscules bikinis que Papa te fait porter avec accrochée sur le côté la pierre bleue contre le mauvais oeil que tu hais.
Tu vas étonner Papa et Maman, ils comprendront enfin la sûreté de ton goût, tu pourras ainsi parader devant les grands garçons de 13ans qui produisent ces douloureux ricanements éraillés dus à la mue, devant les autres filles.
Enfin et pour toi seule tu les entendras ! Papa et Maman que tu as espionné entre tes cils, ont aussi soigneusement caché un petit paquet renfermant c'est certain, un cadeau précieux t'étant destiné.
Tu as déjà le verbe haut et adores les dorures.
L'excitation est à son paroxysme, tu as déjà fait pipi 5 ou 6 fois, Maman s'inquiète " que se passe t'il Diana tu as mal au ventre ? Tu n'aurais pas goûté à ton gateau ?" ,
Bien sûr que non, tu n'en as que faire du gateau chocolat au lait petits Lu que ta jeune fille au Pair concocte chaque été croyant te ravir, alors que tu ne rêve que de la Forêt noire du salon de thé favori de ta grand mère... Il faut s'adapter... C'est quand même du chocolat et tu aimes ça.
Le moment de la plage arrivera après le déjeuner, donc après le cadeau.
C'est une montre, ta première, une Longines à bracelet de cuir blanc, ton rêve ! Tu es si fière tu en vires au carmin et commences à transpirer. Ton bonheur exalté´par ton triomphe et les regards admiratifs des enfants est entrain de te gonfler,comme un ballon.
PLAGE
Le moment attendu d'endosser ta nouvelle peau de sirène, ce maillot cloqué, à porté de main.
Tu te caches pour l'enfiler, il pendouille entre les cuisses, tu te présentes sûre de ton effet aux rayons du soleil et aux regards admiratifs...ta montre au poignet.
Ton univers d'enfant s'écroule. Tout s'accélère brusquement.
Maman est tranfixée, le regard horrifié.
Papa se lève et s'avance vers toi de façon presque menaçante!
La sirène effrayée recule affolée et se jette à l'eau. Repêchée par la main soudain immense de Papa, tu es déposée sur le sable.
La main arrache le maillot banane de sirène et te flanque une fessée !
Ta montre est fichue.
Tu es aveuglée d'humiliation, de malheur et de colère, et là , soudain tu les entends enfin ces rires graveleux aux râclements de gorge disgracieux, tous pour toi, comme tu l'avais prévu !
Tu viens d'avoir un avant goût de l'inventivité de la vie en matière de surprise.
Tu détestes les surprises depuis.
Dep
Michou
Tu as 8 ans, souviens toi Michou.
Tu es un peu garçon manqué, tu sautes partout et tu ne peux pas rester en place. Tu passes tes vacances d’été en Touraine dans la maison de campagne de tes parents : l’Alouette. Elle est située entre deux petits villages, Pont de Ruan et Artannes, pas très loin de Tours.
Là, tu prends vraiment contact avec la nature, ce sera un acquis pour toute ta vie. Tout est une découverte, les animaux de la ferme de Madame Barillé (son ouvrier agricole espagnol ressemble à Tirone Power, toi et ta sœur le trouvent très beau !), les chèvres de Monsieur Courson dont les petits fromages frais sont délicieux, il a aussi des pêches de vigne dans son jardin, tu n’as jamais retrouvé ce goût très particulier qu’elles avaient. Le jardin devant ta maison te paraît immense alors qu’il est d’une dimension très moyenne, tu aimes grimper dans les tilleuls, le magnolia t’impressionne avec ses feuilles brillantes et ses grosses fleurs blanches qui sentent la rose ancienne et qui attirent les abeilles.
Tu possèdes un cyclorameur jaune, sorte de tricycle dirigé avec les pieds et mû par la force des bras, tu trouves que c’est très pénible d’avancer avec cet engin là. Tu as aussi une grande trottinette tricycle bleue avec des pédales, tu ressembles à une grande sauterelle quand tu es juchée là-dessus. Tu vas à la pêche sur les bords de l’Indre avec ton père et ta grande sœur ; on t’attache à un arbre avec du lest pour que tu ne tombes pas à l’eau. Tu fais des bouquets de tulipes sauvages vieux rose piquetées de points noirs pour ta maman.
Tu développes rapidement une phobie pour les chauve-souris. Ta mère avait eu la bonne idée de te dire que ces petits animaux s’agrippaient dans les cheveux ;
Le soir après dîner, au moment où elles tournent en rond dans le jardin en rasant nos têtes, ta maman t’envoie, pour t’endurcir, vérifier si la porte du fond du jardin est bien fermée à clés ; tu cours effrayée les mains sur la tête.
Tu as également une peur maladive des araignées qui ne manquent pas dans la vieille maison décorée de glycines. Un jour, tu lis bien sagement dans ta chambre et ta sœur t’appelle pour venir dîner. Tu ranges ton livre et t’apprêtes à descendre dans la salle à manger, au moment de franchir la porte, tu aperçois une énorme araignée noire avec des pattes immenses posée sur le carrelage blanc. Tu es tétanisée, impossible de bouger. Ta sœur ne te voyant pas descendre renouvelle son appel, tu ne peux pas répondre, tu crains que le son de ta voix ne fasse quelque effet sur l’araignée, tu ne peux détacher ton regard de la bestiole, tu es hypnotisée. Finalement, ta sœur monte pour voir ce qui se passe, elle te trouve prostrée fixant l’araignée. Elle se moque de toi, tue l’araignée avec son pied et t’entraîne au rez de chaussée. Ce soir là tu manques d’appétit.
Tu as un petit copain de ton âge, fils du fermier voisin, il s’appelle Fiotte ; il vient grimper avec toi dans les tilleuls du jardin. Derrière les troènes, devant la salle de bains des parents, vous jouez « au docteur » tous les deux ; avec des feuilles de troènes, tu lui appliques avec beaucoup de précaution des pansements sur le zizi, ce qui semble le soulager merveilleusement d’un mal encore inconnu, ça s’arrête là !
Le dénommé Fiotte excelle dans un jeu cruel que tu n’apprécies pas énormément, il s’agit de l’écartèlement des petits oisillons tombés du nid. Cela te met mal à l’aise et tu dis à tes parents que tu ne veux plus le voir.
Tu aimes particulièrement le couple de gardiens de la maison qui habitent au dernier étage : Germaine et Albert. Germaine est le sosie d’Olive, la femme de Poppeye – grande et maigre avec des lunettes en fer, elle est si gentille ; son mari, Albert qui entretient le jardin, te fabrique une grande ferme en bois et tu joues des journées entières à la fermière ; tu y mets du foin, de la paille, des petits animaux en bois qu’il a fait de ses mains. Ils ont une belle chatte tigrée gris et blanc qui met bas 5 petits chatons. Pour toi, c’est un bonheur immense, de là viendra ton amour immodéré pour les animaux qui te poursuivra toute ta vie.
Passerose