Ecrire avec Boccace
par Dep
La cérémonie fut telle qu’il l’aurait souhaitée, bucolique, simple, fleurie et pourtant si cruelle par la lumière et beauté impitoyable de cette Nature qui pour l’honorer s’était faite étincelante.
Il fut incinéré pour nourrir les futurs éclats de ce monde qu’il aimait tant, les nourrir à jamais, muter, renaitre et mourir encore et encore et toujours.
Sa mort, à cet instant, nous parût d’autant plus absurde qu’il disparut brutalement, sans avertissement, sans nous donner, à nous ses amis, le temps de voiler nos coeurs de noir, de ternir l’éclat de nos espoirs et de la confiance arrogante que nous ressentions à l’égard de notre avenir.
Il nous mit brusquement le nez sur notre finalité, notre fragilité, sur notre volatilité et fit de nous en un instant, des êtres apeurés, des êtres sans repères n’ayant pas encore décidé si rire ou pleurer conviendrait le mieux à cette cérémonie.
Notre petit groupe, notre famille ainsi que nous aimions à nous définir, se retrouva désorienté, en perte d’azimuths sous un soleil radieux d’où s’échappaient, non pas des rayons glorieux, mais une menace de brûlure.
Aucun de nous n’avait envie de revenir sur ses pas et retourner vers sa maison, son quartier, sa vie antérieure ou même vers d’autres êtres aimés.
Nous décidâmes de mettre nos pas et nos sentiments en accord et nous nous retrouvâmes à l’une des tables de son auberge favorite, au milieu de cette forêt qu’il savait si bien apprivoiser, parmi les essences innombrables qu’il considérait amies et les animaux dont il reconnaissait jusqu’aux souffles et bruissements.
Combien, déjà par le silence et la solitude qu’il nous avait légués, nous nous sentions perdus et réunis à la fois;
Pour conjurer une absence
Pour éloigner la peur
Pour tout simplement vivre, que fallait-t’il envisager, vers quelle rive inconnue aurions nous pu nous diriger ?
Vers quelle bouée de sauvetage ?
Certaines ethnies antiques lançaient, en se séparant de leurs morts, des insultes, des menaces, des mots lourds d’une douleur déguisée pour conjurer la peur paralysante et dévorante, la peur … nous n’en fûmes pas capables.
D’un commun accord, nous nous sommes mis à chanter et réciter des vers, ceux qu’il aimait, ceux qu’il avait écrits, nous nous sommes retrouvés étonnés d’avoir si naturellement mémorisé l’essence même de sa personnalité : le verbe, l’écrit, cette mémoire vivante qui coule d’une veine d’encre et tâche parfois autant que le sang d’une hémorragie de vie.
Le sang purifie, vide et vous laisse exsangue, mais régénère et créée une réalité autre.
La mort par hémorragie est douce, violemment douce, indolore et anesthésiante et c’est ce que nous étions tous, anesthésiés.
Libations, larmes, rires et ce regard nouveau que nous portions tout à coup les uns sur les autres.
A-t’il laissé des volontés ?
Quel fut son dernier désir ?
Qu’attend t’il de nous ?
Au cours de cette journée, nous avons tout envisagé, pourvu que nous puissions rester unis, accrochés, aimantés aux derniers pans de sa vie.
Nous savions qu’une fois dispersés, notre vie sans lui commencerait et de cela nous ne pouvions vouloir car inconcevable.
Pourtant en chacun de nous, nous découvrions une parcelle de lui qui nous bouleversait.
Ce petit moment hors du temps, hors de la vie, hors de sa vie, nous le vécues intensément.
Son testament, son message, son merveilleux message était en chacun de nous.
Une étincelle de son esprit, un battement de son coeur, le coin de son sourire, l’espoir reconstruit et multiplié.
Sa mort avait fait de nous des êtres intensément vivants car il avait compris qu’avec son absence nous allions devoir trouver en nous sa force.
Qui parle de séparation ?
Qui imagine une désintégration ?
Le rite anthropophage est aussi spirituel que charnel !
Nous le dévorâmes.