Sur un texte de Catherine Cusset extrait de "une éducation catholique" Gallimard
Atelier d’écriture du 10/10/2015
La découverte de soi à travers l’amitié par PasseroseElizabeth ou plutôt Betty est mon amie depuis 60 ans. Nous nous sommes connues sur les bancs de l’Institut de la Madeleine, rue du Général Foy à Paris. Nous avons le même âge à 4 mois près. C’est l’amie de mon adolescence, la confidente et la complice de mes débuts amoureux. C’est l’amie de toute une vie car nous ne nous sommes jamais perdues de vue. Elle habitait dans le XVIe arrondissement un très bel appartement avec vue imprenable sur Paris. Son père était industriel, un homme discret qui possédait, je crois, un certain humour, physiquement il me faisait penser à André Malraux. Sa mère était accueillante, j’aimais son large sourire et ses cheveux argentés comme ceux de Maman. Je ne sais pas laquelle de nous deux influençait l’autre. Je me souviens d’une amie fidèle, généreuse et authentique. J’étais plus coquette qu’elle, j’ai toujours fait très et peut-être trop attention à mon apparence et à celle des autres. Ses parents avaient une maison de campagne à Saint-Martin-des-Champs à l’Ouest de Paris. Je me souviens du carrelage noir et blanc de la pièce principale. Je me souviens de Mozart que nous écoutions, plus exactement un morceau où la flûte se détachait avec une pureté qui me bouleversait. Cette musique que je reconnaîtrais si je l’entendais à nouveau, venait de la maison lorsque nous étions dans le jardin ; elle résonnait pleinement et semblait sortir des feuillages et des massifs de fleurs, elle se mêlait aux chants des oiseaux et s’accordait parfaitement avec eux ; j’ai toujours aimé la musique dans la nature, je trouve que c’est le cadre qui lui convient le mieux. Cette musique nous enveloppait, nous purifiait, nous entraînait vers des sommets comme seule la musique peut le faire.
C’est dans cette maison qu’eut lieu un évènement très important de ma vie survenu de ma propre initiative mais échafaudé par Betty et moi.
Très important, oui, puisqu’il s’agit de mon identité ! Je décidais de changer de prénom, sans bien me rendre compte des conséquences que cela pouvait avoir !
Depuis des années je ne supportais pas mon prénom donné par mes parents : Micheline. Je pense que mon père qui désirait intensément un garçon l’aurait appelé Michel qui est devenu Micheline étant donné mon sexe féminin. Passons ! D’ailleurs, dans la famille, personne ne m’appelait Micheline mais Michou !
Deux causes de mon rejet pour ce prénom : la grande industrie de pneumatiques Michelin venait de sortir des pneus spéciaux pour des trains que l’on a appelé Micheline ; est-ce cela qui a séduit mes parents pour le choix de mon prénom, je ne sais pas ! Car Michel aurait pu devenir Michèle tout simplement ! Micheline permit à mes camarades de classe de m’appeler « le train », ce que je trouvais de très mauvais goût. La deuxième cause était qu’il y avait, une année, dans ma classe une autre fille affublée du même prénom , et moi, déjà sensible aux apparences comme je l’ai dit plus haut, il s’est avéré que cette pauvre fille était très laide, boutonneuse et portant des lunettes avec des verres loupes, le résultat était navrant. La compassion n’étant pas encore ma spécialité, je m’identifiais à cette autre Micheline et j’étais complexée.
Tout cela paraît maintenant un peu puéril comme raisonnement mais c’est ainsi que je vivais cela à l’époque.
Je traînais donc ce prénom avec moi jusqu’à ce fameux jour où je décidais purement et simplement d’en changer avec les conseils de mon amie de cœur, Betty. Je pense que l’élément déclencheur de cette démarche fut notre prochain voyage à Rimini pour l’été à venir. Nous avions décidé de partir toutes les deux une dizaine de jours en Italie avec la bénédiction de nos parents respectifs. J’allais avoir 18 ans. Quelle aventure ! Deux oies blanches catapultées au milieu des mâles italiens….quelle insouciance de la part de nos parents, mais quelle confiance aussi, ils devaient sûrement être persuadés de la bonne éducation qu’ils nous avaient donné, mais tout de même !
Par conséquent, un soir, dans la chambre que nous partagions, nous en avons parlé et nous avons établi une liste de prénoms correspondant mieux , selon nous, à la jeune personne que j’étais. Nous avons, après maintes réflexions et hésitations, jeté notre dévolu sur PASCALE.
Adieu Micheline dite Michou……Pascale est née…..
Car il s’agit bien d’une naissance ou d’une re-naissance. Ce n’est pas rien de changer de prénom. Car c’est Micheline qui figure sur mon état civil et pas Pascale. J’ai bien essayé de tricher ou de profiter de la distraction de certains fonctionnaires mais cela m’a joué des tours avec mes papiers d’identité, mes comptes bancaires etc….mais bon, il faut savoir ce que l’on veut. Les premiers problèmes rencontrés furent au sein de ma famille ! Mes parents n’acceptaient pas et ne comprenaient pas cette fantaisie capricieuse d’enfant gâté. J’avais beau leur expliquer que étant donné qu’ils ne m’appelaient jamais Micheline mais Michou et que à mon âge ce diminutif devenait un peu désuet, quant à changer les habitudes, il valait mieux changer complètement mon prénom. Rien n’y faisait, mon raisonnement que je trouvais tout à fait logique ne les convainquait pas du tout. Ce fut long et lorsque des amis téléphonaient à la maison et demandaient de parler à Pascale, Maman avait toujours une hésitation dans la voix avant de dire : « oui, je vais vous la passer ! ». Mais il faut laisser du temps au temps et tout s’est arrangé !
Pascale a vécu et survécu…
Mais cette démarche est intéressante à analyser maintenant que les années se sont écoulées. Changer de prénom, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est bien plus qu’un caprice d’adolescente. C’est une révolte purement et simplement.
C’est un refus de ce qui a été imposé car on ne choisit pas son prénom . Micheline, c’est un prénom fabriqué, c’est un produit industriel. Il n’y a pas de sainte Micheline que je sache. Le prénom reflète la personne socialement et moi j’avais envie d’exister autrement. J’avais envie d’avoir une autre image que celle qui correspondait à ce prénom. Je voulais me différencier de ce que l’on m’avait imposé. Je dis d’ailleurs souvent à qui veut l’entendre que Pascale est mon nom d’actrice dans la vie puisque nous sommes tous les acteurs de notre vie en jouant des rôles multiples. Un psychanalyste serait sûrement friand de cet état de fait et trouverait des explications palpitantes, à savoir le besoin peut-être de se fabriquer personnellement une identité propre différente avec le souhait d’être reconnue comme telle. Une espèce de tatouage ou de piercing psychologique actuel correspondant à la révolte de l’adolescence vis-à-vis des parents et de la société.
La question du prénom était donc réglée, et c’est Pascale qui est partie à Rimini avec Betty. Ce fut idyllique au sens propre du terme. Nous avons eu toutes les deux nos amoureux. J’ai idéalisé le mien pendant des années jusqu’à mon mariage, il a même pratiquement déterminé ma vie de femme amoureuse. L’importance d’un premier amour est considérable. Pour Betty, ce fut, je pense mais n’en suis pas sûre, une amourette de vacances. Elle a suivi mes péripéties amoureuses avec beaucoup d’attention et de patience. Nous sommes parties à Saas Fee aux sports d’hiver pour revoir nos italiens, mais le sien n’est pas venu !
Je me suis mariée avant elle – elle était mon témoin. Elle s’est mariée plus tard avec un médecin pédiâtre. Ils sont allés s’installer près de Dreux et ils y sont toujours.
J’ai eu mes trois enfants, elle a eu beaucoup de mal à avoir les deux siens.
Nous avons toujours continué à nous voir pas très souvent mais régulièrement. Elle me connaît par cœur.
Passerose
Une amitié d’enfance
Il s’appelle Jean-Bernard. Nous avons tous les deux 5 ou 6 ans. Nos parents se connaissent, plus exactement son père est associé avec le mien dans la société d’édition de tissus d’ameublement de mon père. Nos parents se reçoivent régulièrement chez les uns ou chez les autres : rue Saint Placide ou boulevard de Courcelles, ou en Touraine ; nous partons même en vacances tous ensemble à l’île d’Oléron.
Une complicité enfantine s’installe naturellement entre nous correspondant probablement à celle adulte de nos parents respectifs.
C’est un petit garçon, fils unique, très mince, châtain avec des yeux marron en amande ; il est sautillant, sûrement énervant pour les grandes personnes mais il est gentil. Nous sommes contents de nous retrouver en dehors des grandes personnes dans une pièce à côté ou dans un jardin. Nous inventons des jeux de guerre. Nous inventons surtout un mot à nous qui ne veut strictement rien dire mais c’est notre mot : « schumanann », le mot magique, c’est le mot clé des moments que nous passons ensemble ; rien que le fait de le prononcer nous propulse dans une excitation de joie immense et inexplicable. Les adultes ne comprennent évidemment pas cette effervescence du monde enfantin si loin derrière eux ! en fait cela ne les intéresse absolument pas.
Vers 12 ou 13 ans les jeux changent ; l’enfance s’achemine vers l’adolescence en toute innocence avec la découverte de soi et de l’autre. En vacances à Trouville, Tantine nous encourage même à faire une sieste sur le divan du salon pendant qu’elle fait la sienne dans sa chambre ; ce ne sont pas encore des jeux interdits mais des petits chahuts chatouilleux et tendres. Il y eut même un premier baiser chaste et unique. Indiscutablement le jeune garçon s’intéressait bien sûr au sexe opposé et je découpais pour lui dans les magazines des photos de femmes fatales d’une beauté vertigineuse. Il était très content.
Puis il vint un moment où nos deux associés de pères ne s’entendirent plus du tout. S’ensuit une double séparation professionnelle et amicale. Les parents ne se voient plus et les enfants non plus. Le temps passe.
C’est en Angleterre, l’été de mes 15 ans, lors d’un séjour linguistique à Torquay, que nous nous sommes revus. Nous nous sommes reconnus, contents de se retrouver, lui jeune homme et moi jeune fille. Nous avons décidé de nous revoir à Paris mais nos pères fâchés en ont décidé autrement ; nous n’avons même pas cherché à désobéir !
C’est 22 ans plus tard que nous nous sommes revus dans le Morbihan. J’habitais La Baule à l’époque. Nos parents s’étaient intelligemment réconciliés et se revoyaient. Jean-Bernard est marié, comme moi, il a une petite fille, moi j’ai mes trois fils. Il est antiquaire à Rochefort-en-Terre. Ses parents ont une maison au bord de la Vilaine.
J’organise un dîner pour lui faire connaître mon mari. Nos deux couples se revoient plusieurs fois. Nous passons un réveillon ensemble et là….il se passe quelque chose qui a mis fin à ces retrouvailles…au cours d’une danse un peu lente ( !) Jean-Bernard me dit qu’il continuerait bien ce que nous avions commencé lorsque nous avions 12-13 ans.
Certes l’occasion d’une aventure se proposait à moi mais je n’étais pas prête et je n’en avais aucune envie. Le petit copain de mes jeunes années ne me séduisait guère dans sa maturité. Sa femme et sa fille m’énervaient ainsi que ses amis que je trouvais ordinaires. Les relations se sont terminées très rapidement et sans regret en ce qui me concerne.
Passerose