Un paysage à emporter en exil
Les paysages, fêtes mouvantes pouvant être emportés en photos, dessins, coupures de magazines, encadrés ou secrètement tus et enfouis dans un livre ou la mémoire.
Tels un visage aimé dont chaque vibration nous bouleverse, dans le regard duquel on se noie, paysage d'amour polymorphe et sensuel, éphémère et changeant, les lieux de nos vies successives se superposent, s'enrichissent mutuellement et finissent par ne faire qu'un car leur dénominateur commun est notre attachement envers eux.
Une chaine de sentiments contradictoires physiquement certes, si proches pourtant par l'essence que nous en extrayons, telle une huile essentielle, essentielle à notre survie parfois lorsque la route est trop longue, la nuit trop solitaire et notre vie crie silencieusement notre désespoir.
Nous ressortons alors ce petit cadre terni et regardons sur fond de maison de famille ou de macadam urbain, des silhouettes aimées d'humains ou des coins de rues d'où émanent encore parfois jusqu'à l'arôme de pain frais de la boulangerie du coin, que nous regardons avec attendrissement.
C'est en effet une photo de mon enfant ressortant de cette boulangerie, un pain au chocolat à demi dévoré à la main, qui me ressource lors de mes pluies d'équinoxes sentimentales, lorsque le monde réel parait hors de portée, lorsque la réalité n'a plus de corps, lorsque la vie semble perdre parfum et saveur.
Elle est vieillie hélas cette petite photo, que j'ai fait agrandir par la suite pour pouvoir savourer les contours des lèvres gourmandes et chocolatées d'un petit garçon voluptueux et confiant dont le regard me suit tandis que je lui survis.
Elle me suivra certainement le jour où j'aurai enfin le bonheur de partir vers l'exil qui me mènera à sa rencontre, paysage trop tôt effacé, à moins que je ne me laisse guider par l'odeur du pain frais ...
Dep