Les sept étoiles par Corinne L.N.
Le jour de ses sept ans Léa découvrit qu’elle était une fée.
Nous étions le sept juillet et sa maman venait de lui dire de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler puis elle l’avait envoyé réfléchir un peu dans sa chambre, le jour même de son anniversaire.
Pourtant tout avait bien commencé.
C’était une belle journée ensoleillée et toute la famille était réunie pour fêter l’anniversaire de Léa, les sept oncles et tantes et tous les cousins chéris. La maison et le jardin étaient décorés de ballons de toutes les couleurs, les tables étaient couvertes de bonbons et de petits gâteaux délicieux en forme de sept et Léa attendait avec impatience l’heure des cadeaux pour ouvrir tous les beaux paquets enveloppés de papiers dorés et multicolores.
Les enfants étaient tous déguisés. Les garçons étaient arrivés en chantant « Aie hi, aie ho, on rentre du boulot » comme les sept nains avec leurs bonnets rouges, leurs culottes courtes tenues par des bretelles et leurs petites bottes jaunes. Quant aux filles, elles paradaient en belles aux bois dormant vêtues de longues robes roses aux manches bouffantes et de jolies perruques blondes ornées d’un diadème.
Léa, quant à elle, arborait fièrement son déguisement préféré, celui de la fée clochette, robe bleue ciel et chapeau pointu orné d’un long voile blanc qui dévoilait ses jolies boucles brunes. Mais malgré tous ses efforts, elle n’avait pas retrouvé sa baguette magique ornée d’une belle étoile dorée et ça l’avait beaucoup contrariée. Elle avait même accusé son petit frère Pierre de l’avoir cassée.
Alors que les adultes finissaient de déjeuner, les enfants s’étaient éparpillés dans le jardin et c’est là que Léa énervée avait avoué à son petit frère que Raminagrobis, son gros chat roux qu’il croyait parti courir le guilledou, avait en fait été renversé par la voiture des voisins sept jours plus tôt avant d’être enterré discrètement au fond du jardin.
Pourtant sept ans c’est censé être l’âge de raison mais les mots étaient sortis trop vite de la jolie petite bouche de Léa et elle les regretta immédiatement en voyant le visage décomposé du petit Pierre mais il était trop tard. Evidemment le petit garçon avait fondu en larmes et Léa et les cousins avaient vainement tenté de le consoler avant que les adultes ne sortent prendre le café sur la terrasse.
Puis maman s’était fâchée très fort et maintenant c’est Léa qui sanglotait roulée en boule sur son lit avec son beau déguisement de fée tout froissé. Après avoir pleuré toute les larmes de son corps, Léa décida d’aller embrasser son petit frère et de lui demander pardon. Elle se faufila jusqu’à la salle de bain pour mettre un peu d’eau fraiche sur ses yeux rougis et ses joues cramoisies. Mais quand elle releva la tête, elle fit un bond en arrière.
Dans le miroir une autre fée bleue la regardait en souriant tendrement. Ce n'était pas son petit visage chiffonné qu’elle voyait mais bel et bien une autre fée, plus âgée, ravissante et délicieusement pâle. Curieusement Léa n’avait pas vraiment peur, elle se sentait même en confiance, à peine surprise de ce qu’elle voyait. La fée du miroir tenait à la main une baguette qui ressemblait fort à celle que Léa avait perdu sauf qu’elle était ornée non pas d’une mais de sept étoiles dorées.
La fée bleue ouvrit sa jolie bouche et dit ces mots d’une voix mélodieuse :
« Petite Léa, les fées se sont penchées sur ton berceau et elles ont décidé que tu pourrais exaucer sept vœux comme les sept étoiles de cette baguette, sept et pas un de plus. Sept fois tu pourras te servir de cette baguette pour ton plaisir ou bien pour aider, réparer, guérir les maux des personnes que tu aimes. Tâche de t’en servir à bon escient, petite Léa, et bonne chance ».
Puis à travers le miroir elle lui tendit en souriant la jolie baguette aux sept étoiles que Léa attrapa d’une main un peu tremblante.
Soudain Léa entendit papa qui l’appelait dans le jardin : « Allez viens Léa, tu es pardonnée, c’est ton anniversaire ». Elle tourna la tête un instant vers la fenêtre et quand elle regarda à nouveau dans le miroir, elle ne vit plus que ses joues rougies et son chapeau pointu tout de travers.
C’est alors qu’un grand sourire illumina son petit visage tandis qu’elle redressait son chapeau et défroissait sa jolie robe. Léa serra bien fort sa nouvelle baguette magique, elle savait quel serait son premier vœu.
Le soir venu, alors que la maison s’était finalement vidée de toute la joyeuse famille et que Léa et le petit Pierre allaient monter se coucher, soudain on entendit gratter sept fois à la porte. Le cœur battant, Léa vit son papa d’abord inquiet puis ébahi ouvrir au chat Raminagrobis en pleine forme. Le gros matou se précipita en ronronnant dans les jambes du petit Pierre fou de joie puis il se dirigea vers la cuisine comme d’habitude pour réclamer bruyamment sa pâtée.
Léa regarda avec gratitude sa baguette qu’elle avait refusé de lâcher tout l’après-midi et c’est alors qu’elle s’aperçut qu’elle n’avait plus que six étoiles dorées. Elle sourit d’un air entendu et bénit les fées qui avaient eu la bonne idée de se pencher sur son berceau. Léa se promit de dépenser toutes ses étoiles avec autant de générosité et de garder à jamais ce beau secret que personne ne pourrait comprendre, comme personne n’a d’ailleurs jamais compris comment le gros Raminagrobis avait pu ressusciter et sortir tout seul de son trou au fond du jardin. Mais voilà, tout le monde sait que les chats ont sept vies surtout quand les baguettes ont sept étoiles.
Corinne L.N.
21 grammes par Valérie Weber
La vie et la mort se disputaient depuis quatre cent millions d’années les 21 grammes attribués à l’âme humaine.
Combien de grammes pour la haine ?
Un gramme sera largement suffisant. D’ailleurs, il me faut 10g pour l’amour, minauda la vie.
Certainement pas, dit la camarde, sinon je vais m’ennuyer à mourir.
Dans le silence, elles réfléchissaient.
La mort se drapa dans son manteau d’ombre et exigea 4 g pour la peur, susurrant à l’oreille de l’autre qu’il s’agissait d’une question de survie.
Dans une pirouette de lumière, la vie demanda 5g Pour la générosité et le goût du partage !
La longue silhouette appuyée sur sa faux pensa vomir, se ressaisit, sûre de son bon droit.
Reprenons. Comment va-t-on caler l’hypocrisie, la mesquinerie, le cynisme, l’égoïsme, le racisme, l’envie de tuer et l’abus de pouvoir dans le gramme qui reste ?
Et moi ? Et moi ? il m’en faut aussi, rétorqua la vie dans un scintillement stellaire. Je dois caser l’abnégation, le sens artistique, l’humanisme, la joie, le bonheur, le rire, la conscience, l’éducation, la connaissance.
Elle tapa du pied.
Tu dois me céder ce gramme !
Trois milliards d’années s’écoulèrent encore, les hommes n’étaient toujours pas prêts à faire leur entrée.
J’ai une idée, si on en fabriquait un, on pourrait peut-être lui poser la question ?
La vie n’était pas peu fière de son idée.
Voilà le premier homme debout dans le rien.
A peine arrivé, le voilà qui se plaint du manque de place.
La mort s’énerve dans un grand big bang. La vie rattrape les morceaux comme elle peut et les jette dans toutes les directions.
Les systèmes solaires se mettent en place, les planètes commencent leurs révolutions, les confins de l’univers s’éloignent à grande vitesse.
J’ai comme l’impression que je me suis fait avoir, pleura la mort en s’asseyant lourdement sur un volcan en formation.
Meuh non, s’amusa l’autre, d’ailleurs je te propose qu’en échange du gramme restant, tu aies le droit d’exaucer le prochain désir de notre rejeton impatient.
La mort sourit sous sa capuche, elle n’en attendait pas moins de la généreuse vie.
Eh là-haut, cria l’homme du fin fond de la forêt primaire. Il me faut quelqu’un à qui parler.
Et c’est ainsi que la mort créa la femme infiniment complexe.
(fin alternative et optimiste : pour compenser cette monumentale erreur de négociation, la vie s’installa pour toujours dans la chaleur du ventre de la nouvelle arrivée...)
Valérie Weber