23 septembre 2016, écrire avec Boccace
Une dernière fois par Véronique Meneghini
Après sa mort, nous appréhendions tous de nous retrouver dans cette jolie maison qui lui venait de son père. Nous, la bande, Sa bande, les copains de longue date, ceux avec qui il pouvait comme il disait « se lâcher ». C’est dans cette maison, dans nos bras, qu’il était mort d’une hémorragie foudroyante qui l’emporta en une demie heure. A chaque fois que date était prise, l’un de nous trouvait toujours une bonne raison de différer l’invitation .Bien sûr, j’en faisais partie tout comme les autres mais il fallut bien se résoudre à accepter . Il aurait été partant….pour le repas totémique ; ah, oui, je le voyais bien dire cela !
Et le week-end a démarré de façon atone, sans désir d’en être, sans plaisir, avec appréhension et douleur.
Et puis, au milieu d’un repas, l’une de nous pouffe de rire et dit :
« Vous vous rappelez comme il aimait nous piquer en nous disant des sottises !
Il m’a dit : « tu as des grosses fesses de juive, comme ma mère. ». Cette phrase, à chaque fois, me faisait bondir, d’une part parce-que j’ai des rondeurs qui me complexent quelque peu, et que sa mère et moi, cela faisait surgir de suite une incompatibilité de structure.
Elle était antipathique, toujours en train de critiquer ; bref, je ne voulais aucun commerce avec elle !
Tout d’un coup, son rire frais , plein de ses mots à lui, le firent revivre, le temps d’un instant.
Comment parler de lui avec joie, alors que ce meilleur ami à qui j’avais tenu la main dans ce passage, m’avait laissé dans la colère puis le chagrin .Après ce traumatisme il me laissait orpheline de nos échanges, de ses excès et de sa générosité. Et me revint ce qu’il me disait toujours à un moment ou à un autre : « Véro, petite fille narcissique et rêveuse, une part de toi ne veux pas grandir ».
Ça me mettait en colère systématiquement alors que désormais, résonnait autrement cette litanie.
Pourquoi ces discours se retournaient-ils de cette façon, comme si sa mort avait changé le ton de l’anecdote. Ce qui paraissait un défaut me donnait de la fraîcheur à exploiter, de la culpabilité en moins.
Bernard, au début, ne plaisanta pas. Il parla avec aigreur de cette phrase qu’il jugeait assassine : « Tu es capable du pire comme du meilleur ! ».Bien évidement, dit-il, je ne voyais que le pire !
Sa mort aidant, le meilleur surgissait et je me vois maintenant comme quelqu’un qui peut faire de grandes choses ! Sa mort agissait comme un pivot et de fil en aiguille, ce qu’il avait dit à chacun faisait un quart de tour .Le bi-face de ses expressions retournait la critique acerbe en plaisanterie joyeuse !
Ce qui m’interroge encore aujourd’hui, c’est comment ce cher disparu avait réussi à faire de la vie.