"Ce que vous inspire une photographie..."
Carte postale - Saint Enogat 1967 par Corinne Olga Bunzl
Comme tous les ans en juillet les vacanciers migrent vers les cotes. Les journées sont longues, on les passe à la plage.
Les trente glorieuses, une plage en Bretagne, les mêmes parasols qu’on trouve aussi sur tout le pourtour méditerranéen dans ces années la.
La détente, le ‘far niente’, des couples, des familles, des enfants, espace et soleil l’été.
Le soir après la douche, on se tartine de crème et on met des vêtements propres pour aller dîner au village ou le plus souvent, simplement manger une glace.
Sur cette plage, elle voit sa famille, récemment arrivée de la ville avec la vieille voiture verte chargée de bagages pour passer un mois à la mer. Le enfants tous anémiques, ont besoin d’iode. La vieille pension de famille, la même tous les ans, les accueille avec bonhomie et confort.
On s’installe et on entame le rituel vacancier: plage le matin, retour à l’hôtel à midi, sieste, plage à nouveau de 15h à 18h30, puis soirée au village à glaner en savourant une glace avec un halte chez le marchand de journaux, étape obligée pour avoir de quoi lire le lendemain.
Les journées se succèdent.
Cette année là, elle a quatre ans et demi. Assise dans le sable à coté des chaises longues, elle joue et regarde autour d’elle en espérant trouver un camarade de jeux. Au bout d’un long moment elle se lève, maman lit, la bonne est partie faire une balade avec les petits frères, personne ne lui prête attention.
Elle marche parmi les parasols et les gens allongés, il fait chaud, le soleil tape et une sorte de torpeur s’est emparée de la plage.
Elle marche sans but, juste parce qu’elle peut le faire et ses petites jambes agiles s’aventurent de plus en plus loin.
Sur la gauche elle voit une cabane en bois aux portes grand ouvertes. Elle se dirige vers elle et regarde à l’intérieur. Des chaises et des ombrelles s’amoncellent en désordre, elle voit des bouées et des cordes, la curiosité la gagne et elle entre.
A l’intérieur un jeune homme est en train de ranger, il lève le regard et la voit. Il lui sourit et avec lenteur, baisse son caleçon puis il lui fait signe de s’approcher.
Elle a quatre ans mais elle reconnaît le danger par un nœud qui se forme au creux de son petit estomac, une peur violente qui la fait se retourner et courir de toutes ses forces dans la direction d’où elle est venue.
Maman est toujours allongée, toujours en train de lire. En enfant confiante, elle raconte ce qu’elle vient de voir, ou peut-être pas tout à fait vu, mais ressenti fortement.
On alerte la direction de la plage, on se rend dans la remise mais il n’y a plus personne.
Pendant de longues années la peur la gardera clouée, obéissante et prudente dans le giron somme toute rassurant de la famille. La violence se déclenchera beaucoup plus tard et cette fois, elle en sera submergée.
Corinne Olga Bunzl
Ce soir-là, par Valérie Weber- Ce soir-là, je les ai vus. Quand j’ai déclenché, ils ne m’ont pas entendu. Je suis encore restée quelques instants. Aucun d’entre eux ne m’a vu partir.
- Et ensuite ?
- J’ai fait développer la pellicule et je l’ai apporté au commissariat.
- Qu’est-ce qui vous a fait penser que c’était eux qui avaient fait le coup.
- Regardez la photo, ils ne bougent pas. Les gens brûlent là-bas et eux, ils regardent, les mains dans les poches. Et puis, c’est leur mode opératoire.
- Ça pouvait être des badauds...
- Y’avait pas de badauds ce soir-là.
- Et vous ?
- Moi, j’étais là pour le journal.
- Vous n’avez pas participé au sauvetage ?
- Y’avait des professionnels, j’avais rien à faire de plus.
- Vous auriez pu vous préoccuper des rescapés ?
- Y’avait déjà beaucoup de monde pour eux.
- Bon, je n’ai plus de question.
La parole est à la défense.
- Mademoiselle Bertini, vous travaillez pour le journal Ici-Patch.
- Oui.
- C’est un peu le fond de commerce de votre journal, les faits divers.
- Oui.
- Et plus c’est horrible, plus grand est le tirage.
- Oui.
- Vous auriez pu vous-même provoquer cet incendie.
- Suis-je accusée ?
- Des pratiques criminelles de ce genre, votre journal en est assez souvent soupçonné.
- Je ne vois pas le rapport.
- Pas de rapport, en effet. Parce que vous poursuiviez ce soir-là, un but personnel.
- De quoi parlez-vous ?
- Il est quand même assez rare que vos photos développées, vous les apportiez directement à la police.
- ....
- D’habitude, elles finissent d’abord au journal, en première page.
- ...
- D’ailleurs, regardez votre patron, il en est encore furibard !
- ...
- En réalité, vous suiviez cet homme, là, celui avec des lunettes.
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- Plutôt de qui !
- Je ne comprends pas, je ne connaissais aucun de ces hommes.
- Vous les connaissiez quand même...
- Je savais quand même qu’ils étaient révolutionnaires anarchistes et prêts à tout.
- Vous saviez autre chose.
- Rien de plus.
- Cet homme avec des lunettes, vous ne le connaissez pas ?
- Non !
- Et vous avez raison, jusqu’à peu, vous ne l’aviez jamais vu.
- Ah, vous voyez !
- Mais vous l’avez cherché toute votre vie. Même si on vous avait fait croire qu’il était mort.
- C’est un mensonge !
- Mais pourtant, vous saviez que c’était votre père !
- Non ! non ! non !
- Depuis peu...
- Non.
- Vous vouliez vous venger, vous vouliez le perdre et vous l’avez suivi.
- Non.
- Vous avez pris la photo, il ne s’est douté de rien.
- Non.
- Et il a été arrêté.
- Oui.
- Il a été mis en prison, en attendant son procès et il ne l’a pas supporté.
- Oui.
- Il s’est pendu.
- Oui.
- De sorte que vous ne saurez jamais ?
- Oui.
- Il vous reste la photo.
- Oui.
- Et ce procès.
- Oui.
- Mademoiselle Bertini, ce soir-là, avez-vous déclenché l’incendie pour lequel vous l’avez fait accuser ?
- Oui.
Valérie Weber