Proposition d'écriture : "inventaire des chambres de votre vie", il était également possible d'en choisir certaines et de développer le récit des souvenirs s'y rattachant. S de B
Les chambres de vie
J’ai toujours aimé les chambres petites et sombres, celles où l’on peut se reposer les paupières entre ouvertes. Empreinte de mon enfance certainement. Je me souviens de cette alcôve au dernier étage de la grande maison familiale en Bretagne. De longues étagères couvertes de livres d’enfants, un étroit velux pour regarder passer les mouettes et deux petits lits au ras du sol presque collés pour se tenir la main, un repaire idéal pour les bavardages, les confidences et les fou-rires jusqu’à ce que les adultes frappent à la paroi et nous fassent chuchoter.
Un peu plus vaste mais jamais envahie de soleil, ma chambre d’adolescente à Deauville. L’été, c’était un haut lieu de la chasse aux moustiques qui passaient à loisir sous la fenêtre tout comme les courants d’air l’hiver. Les soirs frileux, je faisais grimper en douce mon labrador sur le lit comme une tendre bassinoire. Je revois mon bureau bien rangé dédié à ces longues heures d’écriture sur mes passions et mes rêves d’adolescente. Derrière les rideaux rouges et les volets trop courts, la toiture du petit appentis sous ma fenêtre me servait à faire le mur à l’occasion. Cette chambre où je fus sage en rêvant de ne plus l’être, celle d’avant l’après….
Enfin mon studio, mon premier vrai chez moi.J’adorais la vue miroitante sur tout Paris depuis un douzième étage qui me faisait fantasmer la nuit au rythme and blues de mes vieux 33 tours et me donnait une furieuse envie de sortir mes ailes aux premiers rayons du soleil. Mon lit était trop étroit et les murs couverts de simples posters mais c’était un petit nid d’amour et une porte ouverte à l’amitié.
Il y eut aussi ces chambres de passage qui ont marqué ma mémoire.
Ce fastueux séminaire à hôtel du Palais de Biarritz, à la belle époque de l’industrie pharmaceutique. Je n’oublierai jamais le frisson de plaisir absolu qui m’a traversée quand, au bout d’un long couloir scintillant,après avoir traversé un vestibule digne d’un château de Touraine, j’ai pénétré dans cette immense chambre illuminée qu’on m’avait probablement attribuée par erreur. Elle était dotée d’unvaste lit à baldaquin vermillon et derrière les hautes fenêtres battues par le vent d’unevue indescriptible sur la mer démontée, les surfeurs funambules et les vagues déchainées explosant sur la plage. Un des rares instants de ma vie peut-êtreoù le luxe a su me toucher au cœur.
J’ose à peine évoquer ces folles vacances sous le soleil varois, ce balcon à la vue inoubliable sur la Méditerranée et le lit rond au matelas gonflé d’eau qui tournait lentement toute la nuit et m’étourdissait autant que tous les excès. Eté de plaisir et de séduction sous un plafond couvert de petits anges roses. Ces moments interdits de liberté absolue dont on se souvient en secret.
Mais j’ai aimé tout autant la petite chambre vieillotte aux volets rouillés de Bonifacio, en dépit de la chaleur étouffante, du lit branlant et du vieux matelas à ressorts si inconfortable sur lequel je passais des nuits erratiques. Pourtant le matin au réveil, j’oubliais tout devant la vue éblouissante sur le Rocher de Bonifacio et la Sardaigne dans le lointain et le balcon perché sur la petite place préférée des joueurs de pétanques autochtones où j’apercevais d’ailleurs souvent Victor Lanoux et Marie-José Nat.
Puis vinrent à mon cœur les jours et les nuits de La Villedieu, lieu sacré. Ces weekends amoureux au cœur d’une maison de famille pleine de charme, de celles qui ont une âme, qui craquent et transpirent les souvenirs. Cette chambre tellement virile, imprégnée de son propriétaire, cette sainte odeur de bois et de savon, ce grand lit creux pour mieux glisser l’un vers l’autre ou bien l’un sur l’autre et le petit cabinet de toilette derrière son rideau blanc. Cocon de plaisirs éphémères avant ces séparationsdouloureuses juste quand nous commencions à être si bien ensemble. C’est cette chambre-là, refuge de nos amours d’hier,que nous avons abandonné pour notre nouvelle vie paisible et percheronne. Une longue aventure sans regrets qui m’a conduite à ce moment d’écriture avec vous.
Coco