Après la lecture de "Exercice de style" de Queneau...
I
ndifférence par Dominique
Les faits.
En fin d'après-midi, la rue piétonne atteint son apogée de perfection. Le soleil couchant donne une nouvelle couleur ocre aux pavés de granit rigoureusement alignés. Les vitrines s'illuminent derrière de grandes affiches criantes de promotions à coup de pourcentages les plus extraordinaires. La sonorisation faite de tubes des années soixante-dix offre une chaude ambiance de galerie commerciale.
Un homme plus très jeune, déambulant hébété devant tant d'exotisme, s'étonne de voir tous ces badauds, ou plutôt clients de dernière minute, sembler ne plus savoir où ils se trouvent avec précision.
Marchant maintenant presque à reculons, il s'avance dangereusement vers un bac en béton empli de fleurs multicolores importées des îles les plus lointaines. Soudain, fasciné, il observe arriver, se dandinant entre les piétons, un cycliste du type grand dadet de plus de un mètre quatre vingt dix, couvert d'un casque rouge et jaune, la chemise à carreaux grande ouverte flottant à sa poursuite. Se redresse alors un chien jusque là allongé à côté de son maître SDF, à peine concerné par l'absence de pièces sur son petit carton déclamant sa faim.
Le cycliste s'écarte brutalement pour éviter l'animal. L'homme martien sursaute en arrière, se vautre dans le bac à fleurs. Personne ne bouge. Le chien se recouche, le cycliste s'échappe, les clients entrent dans les magasins. Seules les fleurs exotiques restent effondrées et pleurent en voyant l'homme se sortir de là meurtri de toutes parts.
Le jardinier.
Moi j'aime mon boulot. Je suis employé comme jardinier par la mairie. L'entretien des bacs à fleurs de la zone piétonne, c'est moi. J'adore bichonner toutes ces variétés, même si il faut dire que tous ces gens n'y font pas tellement attention, à part les enfants peut-être. Et puis il y a de la musique dans la rue, c'est sympa, en plus c'est des tubes de ma jeunesse.
Bon, il faut faire gaffe quand même. Il y a les SDF. Ils sont pas cons mais c'est leurs chiens qui viennent pisser contre les bacs, ça laisse des traces et c'est dégueulasse. L'autre jour j'étais vraiment en colère. Vl'a un cinglé de cycliste, déjà ils n'ont pas le droit de circuler ici, qui fonce entre tous ces gens. Il essaie d'éviter un des chiens, mais il n'en fait pas autant avec un mec complètement à l'ouest qui ne marche pas droit. Vl'a mon bonhomme qui se viande sur mes pauvres fleurs. Mes calathéa, mes billbergia, mes mentzélia, il faut vite les sauver ! Je venais juste de finir ma journée. Je l'ai engueulé, il s'est excusé, c'est quand même la moindre des choses. Bon, il est reparti en boitant mais c'est quand même moi qui va me retaper tout le travail.
La femme.
Je n'ai pas fini de faire les courses mais ce n'est pas facile avec mon gaudiche de mari. Exceptionnellement, il a voulu m'accompagner. Les magasins vont bientôt fermer, c'est gentil de sa part mais ce n'est pas vraiment une bonne idée. Il traîne partout. On a l'impression qu'il est là pour faire des découvertes. Une rue piétonne c'est quand même pas sorcier, c'est les mêmes partout. En plus, je ne vois pas ce qui peut tant l'intéresser, il ne regarde aucune vitrine. Je veux lui montrer des chaussures, il n'en a rien à faire. Il préfère lire la pancarte mal écrite aux pieds d'un SDF assis contre son chien. Mon mari est toujours un peu dans la lune, mais là il fait fort. Il ne fait même pas attention au cycliste qui déboule. Et hop, le voilà couché au milieu d'un bac à fleurs, une chance qu'il n'y a pas de cactus. Il me fait honte. Je n'ai rien vu, cette boutique de fringue fait des choses extraordinaires.
Dominique P.
Evènement dont j'ai été témoin par Dep
Bloquée en voiture derrière un camion de déménagement rue de Bourgogne un après-midi ensoleillé devant la vitrine d'un magasin d'antiquités, pas d'autre choix que regarder et observer.
Tout d'abord les objets présentés, petite argenterie décorative, bibelots de porcelaine rococo et diverses petites curiosités reflétant bien le style des habitants de l'arrondissement.
Entre un monsieur au physique agréable et élégant. La jeune femme présente dans la boutique s'avance sourire commercial aux lèvres, vite transformé en sourire charmeur devant son séduisant client. Après un échange de quelques minutes, elle repart au fond du magasin. L'homme resté seul de dos, s'empare subrepticement et avec une célérité incroyable digne d'un prestidigitateur, d'une petite pièce d'argenterie disposée sur une table et le fait disparaitre dans sa poche, retrouvant instantanément sa position initiale bras croisés dans le dos attendant calmement le retour de la jeune femme. De la voiture tout ceci parait irréel car si rapide ! Le monsieur ressortit et lança vers les passants et voitures immobilisés, un regard provocateur, amusé, satisfait.
Aurait-il fallu l'interpeller ?Aurait-il fallu intervenir, alerter la vendeuse ? Les coups de klaxon retentirent et si ce n'était pour les battements fous de mon coeur cet incident se serait dissous dans le bruit et la chaleur de la rue. Mais ce qui fixe un événement dans la mémoire est la réaction qu'il déclenche en nous. Mon coeur se souvient encore de ce chambardement !
La vendeuse
Quel vacarme !
Et puis quelle idée ce déménagement en plein après midi... Voila qui n'arrangera pas les affaires ! J'en profiterais bien pour m'avancer dans les déclarations et autres paperasseries... Quelqu'un ?!...
Bonne surprise, un homme séduisant. Sa voix est douce, il s'avère un collectionneur de petits sujets de porcelaine en vue de décorer un centre de table, je vais lui chercher notre catalogue. En revenant j'ai bien senti que son intérêt avait diminué et mes propositions ne lui semblent pas si interessantes.
Nous échangeons nos coordonnées en vue d'un futur achat... Peut être et nous quittons à regrets pour ma part. Je retourne à ma paperasserie après avoir refermé la porte sur le concert de klaxons éxaspérés.
Le démenageur
Mais c'est pas vrrraaaiiiii ! Mais quelle gourde celle la, c'est pas croyable... Une vraie tâche la blondasse. Non mais elle a même pas capté c'qui s'passait ! Aveuglée par le charme du mec ...
C'est pas possible la couche qu'elle tient... Ah la la ! Elle mérite qu'on lui vide son étal la gourdasse ! Qu'est ce que j'en ai à cirer moi de tout ça, c'est pas mes oignons. Mais quand même les nanas...
C'est quèque chose !
Le voleur
Pas mal la blondinette... Une cerise sur le gâteau de mon petit exploit quotidien, comment se monter une collection d'argenterie décorative à moindre frais ! Il suffit d'envoyer LE sourire qui promet, LA petite hésitation simulant un peu de cette surprise éblouie que les femmes adorent voir briller au coin des yeux des hommes... Et l'affaire est dans le sac, si j'ose dire ! Je pense que tout ce petit rituel commence aussi à me lasser. Trouver autre chose pour meubler mes après midi oisifs. La fille dans la voiture a tout vu, c'est évident elle est cramoisie. Elle serait pas mal si elle retrouvait sa couleur d'origine. Mais en attendant le sourire que je lui décoche la fera sûrement rêver à des histoires de nobles voleurs de riches au profit des pauvres... Elle a une tête à croire à ces légendes.
Ciao les amis, il se fait tard, je rentre retrouver ma petite vie bien rangée après ce petit intermède.
Dep
Réponse aux Yeux des pauvres de Baudelaire
par Dep
Petits poèmes en prose
De l'imperméabilité féminine...
Oui, cher amour j'aurais tant aimé comprendre ce qui causa en vous ce soudain changement...
Votre tendresse jusque là si palpable se transformant en une haine glaciale, j'ose ce mot implacable car les femmes pressentent ces fluctuations.
Tenter de vous expliquer le sentiment de total abandon qui s'empara de mon être à cet instant serait vain, il est des états d'âme si subtils que nul mot n'en saisirait la finesse ! Vous aviez déjà hélas érigé entre nous ce mur étincelant de froide incompréhension.
La journée fut belle et me semblait-il de plaisirs partagés, de ces promesses amoureuses de toujours nous communiquer nos pensées, d'unir à jamais nos âmes !
Un rêve certes, que nous partageons avec tous les amoureux à l'enthousiasme utopique des débuts grisants de l'amour.
Pour laisser la fraicheur bienvenue du soir nous apaiser, et savourer un frais breuvage exquis, nous avons inauguré la luxueuse terrasse de ce nouveau Temple de la goinfrerie émergeant à peine de ses gravats et autres imperfections perceptibles encore à ceux qui solitaires et peut être amers ne sont enveloppés et distraits par l'enchantement d'une présence amie. Laissons donc ces détails aux malheureux et grisons nous ... De nous !
Mais non ! Il vous fallut me présenter un profil absorbé par ce qui se déroulait par delà l'immense baie de cristal nous séparant de cette marée humaine déferlant sur les boulevards à la recherche de quelque fraicheur, d'espace et peut être enfin de liberté.
Il vous a fallu vous absorber dans la contemplation de ces badauds et négliger la présence de celle qui toute la journée passée a vous suivre, n'attendait que cet instant d'aparté sereine pour qu'enfin vous la regardiez !
Mais vos doux yeux emplis de tendre commisération ne voyaient que cette famille de miséreux bouches bées devant ce monument du bien être scintillant de ses dorures fraîches surchargées de nymphes replètes et autres divinités dansant une farandole mythologique célébrant la gourmandise.
Que ne me regardiez vous à cet instant mon aimé !
Si dans les yeux de ces pauvres hères vous déceliez l'extase et la tristesse mélangés, dans les miens dont vous dites tant aimer le vert profond vous auriez découvert les milles facettes de l'amour étincelant rien que pour et par vous !
Cher amour si maladroit, vous me fîtes tant de mal à cet instant.
Ce chapeau neuf que j'avais posé de façon mutine afin de capter votre regard que vous ne vîtes même pas...
L'absolu de ce moment pouvant enfanter une éternité d'amour partagé...le nôtre, vous ne le ressentîtes pas...
Non, il vous a fallu une fois de plus ignorer tout de moi, et me laisser lire sur vos traits ce sentiment glacial qui me conforte hélas dans ma triste conclusion qu'entre homme et femme aussi aimants soient-ils, la pensée est incommunicable et oh combien il est difficile de se déchiffrer et de s'entendre !
Dep