LES JARDINS DE CATHERINE Par cette belle matinée automnale, nous allons savourer la nature. Les jardins polychromes de Catherine seront un parfait écrin pour cette promenade sensuelle et intemporelle. D’abord, la vigne pourpre ruisselle sur le mur de la maison comme un vin de Toscane. L’air est suave et capiteux. Entrons à pas de loup dans le jardin carré avec une folle envie de plonger tête la première dans cette densité végétale aux dégradés de verts profonds. Des sentes étroites se faufilent entre les parterres feuillus et fleuris.Un arc en ciel a barbouillé la nature et les yeux papillonnent du bleu électrique des asters au jaune paille des hydrangeas, aux violines et aux roses délicat de fleurs dont je ne tenterai pas de retenir les noms. Bronze cuivré des sculptures primitives, çà et là un totem fièrement érigé nous rappelle que nous sommes dans le jardin d’une artiste. De gracieux éventails lilliputiens trônent sur des bambous. Une gloriette et sa clématite décoiffée rêvent de fiançailles.
Plus loin une porte tressée d’acacias ouvre sur un pré diamantaire en pente douce.Absinthe, ivresse des prairies mentholées. Trois chênes majestueux aux ramures enlacées ploient sous la voûte de leur dense feuillage et de leurs glands ventrus.
Un banc haut perché offre une pause contemplative et une plongée indigo sur le clocher chantant de Saint-Victor et les vallons rayonnants de la Commeauche. De longues silhouettes chamarrées errent dans l’herbe humide et le soleil matinal comme un tableau vivant.
Ocre palette d’herbes licencieuses, une jachère paisible borde le mur du cimetière.
Retour par le verger. Au pied des pommiers alourdis nous ramassons des fruits dorés que nous croquons à pleines dents avant de regagner à petits pas radieux et détrempés la chaleur des murs et notre chère table d’écriture.
Merci Catherine.
Corinne L.N.
TARDEVENT
Il se mérite le lac de Tardevent.
C’est à lui que je rêvais allongée sur mon lit une jambe en l’air et le bras en écharpe avec comme une peur lancinante de ne jamais plus le toucher des yeux.
C’est qu’il faut arpenter les alpages au son des clarines, grimper trois bonnes heures sur des chemins caillouteux, affronter rochers et pierriers, avant de le découvrir enfin au détour d’une ultime pente herbeuse.
Parfois, au cœur de l’été, il flirte encore avec un névé.
Solitaire, perché au creux des montagnes, il accueille les randonneurs et leurs pieds endoloris pour un moment de repos compensateur.
Sa surface minérale ne reflète aucun arbre ni bosquet mais il a avalé les cimes pentues et leurs sommets enneigés qui s’abiment dans ses eaux scintillantes comme dans un miroir. Il a la couleur émeraude du vieux génépi et cache quelques poissons égarés dans une végétation parcimonieuse.
Sa beauté silencieuse est à peine troublée par le bourdonnement des insectes et le cri des choucas que l’écho nous renvoie comme un appel de la montagne.
Autour, l’herbe jaunie piétinée par moutons et bouquetins, déteint parfois sur l’ardoise des rochers sur lesquels nous nous posons le souffle court pour le contempler. Il déroule une vue aérienne sur les sommets et les vallées qui donne envie de toucher les nuages. Ici, on peut oublier le reste du monde et frôler le divin.
Pour moi, il a le parfum des myrtilles, la pureté cristalline des neiges éternelles et le goût enivrant de la victoire.
Corinne L.N.
LETTRE A DEP
Chère Diana,
Si tu savais combien ta présence chaleureuse et tes envolées lyriques nous ont manqué pendant ce weekend d’écriture en pleine nature. Dommage que des raisons que j’ignore t’aient gardée loin de notre joyeuse bande d’écrivaines et de ces somptueuses balades ensoleillées de début d’automne.
Comme nous n’avons pas eu le plaisir de partager ces moments avec toi, je vais tenter de te raconter pas à pas notre promenade d’aujourd’hui, les somptueuses lumières, les méandres des chemins percherons, les trésors des bosquets et nos belles rencontres en ce radieux mais pourtant triste jour d’ouverture de la chasse.
Par ce beau temps frais et humide encore de la rosée du matin, doudounes et écharpes sont de rigueur, c’est donc bien couvertes et bien chaussées que nous partons d’un pas léger. Même notre Pascale est rayonnante malgré l’heure matinale,rose de pied en cape dans de parfaits coordonnés comme d’habitude. Appareils photos, blocs et crayons sont du voyage pour soutenir nos mémoires défaillantes. L’heure est venue de mettre tous nos sens en éveil. Neuf pipelettes vont tenter une marche silencieuse et Bunzelina fera de son mieux.
Avant de quitter Saint-Victor nous échangeons quand-même quelques amabilités avec un troupeau de jeunes veaux charolais qui tentaient de faire la sieste sous un vieux chêne. Dans cette campagne vallonnée encore verdoyante et bordée de forêts chevelues, je remarque un vieux pui croquignolet perdu au milieu d’un champ. La lumière est magique, tu aurais adoré.
Nous franchissons l’un des nombreux ponts qui enjambent la rivière aux cailloux bleus des enfants de Sybille. Une route tranquille bordée de mûriers, d’acacias et de noisetiers nous conduit aux Echigneux, un paisible hameau que tu as sans doute déjà traversé. Nous faisons une pause devant une longère percheronne dans son jus mais à l’agonie. Nous prions pour que son toit de tuile à demi effondré et ses vieilles pierres déchaussées trouvent un généreux mécène.
Les coups de feu et les trompes en folie des chasseurs sanguinaires dans la forêt voisine nous font sursauter.
Nous faisons demi-tour pour obliquer très vite sur un étroit chemin de terre en devisant gaiement en dépit des consignes. Les filles grappillent à droite et à gauche quelques mûres un peu passées.C’est aussi une balade olfactive et je me laisse enivrer par les effluves de sauge et de menthe poivréesur le chemin herbeux encore humide.Nous y croisons de jeunes gens souriant qui nourrissent de pommes pourries un cochon noir déjà bien grassouillet et confortablement installé dans un parc grillagé avec sa chèvre voisine. Cet endroit respire la joie de vivre.
Nous quittons le plus heureux des cochons pour entrer dans un bosquet qui aspire brutalement la lumière du soleil comme un grand chapeau de paille ajouré. Nous voilà parties pour une bonne grimpette dans un chemin caillouteux longeant un haut talus planté d’arbres équilibristes presque déracinés. J’entends souffler un peu certaines écrivaines.
Petit à petit, le chemin forestier devient frontière entre la vallée de la Commeauche balayée par le soleil matinal et une colline pentue boisée de chênes, de hêtres, de charmes et de bien d’autres essences.J’imagine une horde de sangliers dévalant les talus à la tombée de la nuit pour aller se désaltérer dans la rivière et se gaver de châtaignes et de pommes dans les vergers.
Nous marchons sur un tapis de feuilles multicolores, de bogues vertes, de glands et de branchages écrasés. Les fougères abondantes réchauffent çà et là une amanite défraîchie. Hélas, pas le temps d’aller ramasser les gros cèpes joufflus qui se cachent certainement au creux des souches et des épineux. Dommage, tu serais peut-être venue partager notre récolte.
Parfois je devine le museau d’un renardeau dans la tache orangée des nombreux terriers dont la terre sableuse rappelle les enduits de nos maisons percheronnes. Soudain le chemin creux se pare d’une haie de bouleau qui éclaircit cette nature sombre mais protectrice. Nous réveillons un chœur de vaches blanches assoupies. Nous sommes si bien sous cette voûte ombragée.
Pourtant des salves dans le lointain brisent le cri des oiseaux.
A l’orée du bois, la lumière nous éblouit et une brise légère nous caresse le visage.Nous approchons du « salon » de Sybille, ce coin de campagne où elle vient en voiture admirer les couchers de soleil hivernaux et écrire la nature à son tour.
Nous traversons deux petits ponts qui nous enchantent de leur musique guillerette .Le moulin n’est pas loin, majestueux. Sa grande roue en bois ne tourne plus depuis longtemps mais l’eau coule à plaisir. Une maison seigneuriale nous offre son blason. Nous apprenons que ce petit paradis est entretenu gracieusement par un propriétaire voisin amoureux de ce coin de nature. Tu aurais certainement eu envie de t’y poser aussi mais la balade n’est pas finie et nos crayons nous attendent.
Sur une route étroite nous croisons timidement deux chevaux tenus à la longe dont un magnifique et impressionnant percheron à la robe argentée.Un peu plus loin, nous n’oublierons pas de prendre quelques photos pour immortaliser cette belle matinée avec une pensée pour toi.
Retour fleuri dans le village de Saint-Victor par la croix blanches du calvaire niché dans ses canas et les parterres de dahlias, de sauges et d’hibiscus. Les cloches de l’église nous appellent à la messe dominicale mais nous n’irons pas, trop pressées d’échanger, d’écrire et de nous poser.
Tu nous as bien manqué, chère Diana, et j’espère avoir réussi à te faire partager cette somptueuse promenade bien à l’abri dans ma poche kangourou en attendant notre prochain atelier entre fou rires et recueillement.
Je t’embrasse bien fort, du fond du cœur.
Corinne L. N.