Objet "pongiens*", objet de mémoire, vrai objet pour un faux souvenir, soit le travail de l'atelier du 20 février.
L'Huître
L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos.... Francis Ponge*
Dep
L'objet de Fredaine
Autour d’une broderie
Le moment de la cueillette des mûres était revenu, les enfants le lui avaient rappelé ce matin. Il marchait donc en bordure des fourrés pour voir par lui-même ce qu’il en était.
Les objets de Biaun galet
Galet des plages bretonnes, lisse et soyeux grâce à l’érosion continue. Gris fer avec une inexplicable luminosité. Oblong, un doigt dur, un index noueux, cabossé à la première phalange, doigt de vieux, doigt raide, pointé sans direction dans un espace donné.
Pesant, posé là, seul rescapé entouré de vide. Sec, orphelin pris de la plage matrice, baigné par les marées, par le rythme immuable des cycles lunaires. Forme propice à être attrapé, de la même longueur qu’une paume de main, humble trésor d’une cueillette rêveuse. Posé là parmi d’autres pour former une étendue bigarrée, mouvante et dure, ouverte, immobile.
Une boite de plumes d’écolier
Le passage devant la papeterie est le meilleur moment du trajet qui mène de la maison à l’école.
La longue rue droite traverse une place avant d’arriver à la vieille bâtisse sombre et imposante. Elle sera démolie et reconstruite dans les années 70 perdant ainsi son charme ancien.
Mais on n’en est pas là. La petite main à encore besoin d’être tenue fermement par la femme sèche au visage toujours fermé dont la douceur n’est pas apparente.
Jour après jour, année après année, deux fois par jours en période scolaire, elles suivent le même parcours.
Pourquoi sont-elles seules, où sont les garçons ? Pas de souvenir.
Elles s’arrêtent souvent devant la papeterie et ce sont les plumes qui la fascinent le plus et dont elle choisit la forme avec un plaisir toujours renouvelé. Elle doit forcer sur les pointes en écrivant car il faut les remplacer souvent. Longues et pointues, couleur acier, ou larges aux bords travaillés en métal doré, chacune donne un effet diffèrent et même si elle écrit avec la main gauche - dont le bord externe posé sur le papier laisse des trainés sur les lettre juste écrites - elle aime s’atteler à cette tache de précision.
Elle écrit bien, de belles lettres rondes qui font l’admiration de la maitresse, qui durant ces premières années l’aime encore. Le temps des mensonges où elle sera montrée du doigt n’est pas encore arrivé.
Du petit banc en bois émane une odeur d’encre, l’encrier est incorporé sur la droite, une difficulté à surmonter.
Assise elle écoute avec attention.
Une statuette d’éléphant en ivoire
Ganapati Bappa Maurya! Au cris syncopé et aigu de la foule compacte, la statue sacrée de « Lord Ganesha » le dieu éléphant cher aux hindous, est amenée sur des épaule musclées jusqu’à la plage de Chaupaty où on l’immerge dans les eaux grises de l’océan indien.
La foule psalmodie les hymnes encore et encore, des voulûtes de fumée aux odeurs acres d’encens et de ganja, le contact des corps, la sueur, les cris des enfants et les rires gras des hommes enivrés et donc dangereux m’effraient.
Il n’y a plus d’individu mais une masse informe, délivrée de toute limite.
Je me fraie un chemin dans la foule pour pouvoir moi aussi, amener mon Ganesh protecteur des artistes et de tout entreprise, vers les eaux purificatrices où mes rêves vont s’accomplir.
Bia
L'objet de Mamlair, de la ficelle
Mamlair
Les Objets de ValérieLe pendule D’abord, c’est une pointe de laiton mat suivie d’une citrouille vernie et lisse de métal froid. Fondue dans la tête, une vis de cuivre aux mailles lâches s’accroche à une chaînette perlée. Le pendule solitaire sur une table montre vite son impatience à faire des pointes sur le bois immobile. Prenez-le par la perle et le voilà fou ! Il se dandine et tintinnabule. Derviche tourneur sous son turban pointu, il cabriole et caracole. Reposé dans la main, il pique encore puis retrouve des objets un peu sombres, la lourdeur inutile de l’inanimé. Avenir dérobéC’était en 1962, mon père était un voleur. C’était du moins ce que les bonnes gens criaient quand nous passions à pied dans les rues des villages de l’Orne. Voleur ! Voleur ! Je regardais mon père, il se dressait, le menton droit, le regard fixe, il était fier.
A cinq ans, moi j’voulais être comme mon père : voleur. Il était si grand, sa main mangeait la mienne. Parfois, il disparaissait quelques jours, il me manquait.
Le matin de mes six ans, je pus enfin l’accompagner, j’étais un homme maintenant ! Il faisait encore sombre, mais mon père savait où il allait. Couvert de sacs en toile de jute qui lui battaient les flancs, il avançait vers la première maison d’un petit hameau. La porte s’ouvrit au premier coup de sonnette. Je me réfugiais dans ses jambes, il marmonna une demande où il était question de ferraille. Un gros chien noir sortit derrière l’habitant qui fit un geste vague vers une dépendance. Le chien nous suivit en silence tandis que la porte de la maison claquait dans le petit matin. Devant la grange, une grande bassine de fer blanc contenait des bouts de chaînes rouillées, des clous, des vis, des fils électriques et bien d’autres trésors que mon père se mit à collecter dans ses sacs.
Le chien assis nous regardait en grondant. Je m’enhardis tout de même et vins moi aussi fouiller autour de la bassine. Dans la lumière de l’aube, j’aperçus l’éclat d’un métal lisse et je ramassais l’objet, mon père avait le dos tourné. Je ne lui parlais pas de ma trouvaille, c’était à moi. A première vue, cette boule de métal lourd montée sur une pointe, le tout accroché à une chaînette terminée par une perle, était peut-être un bijou de fille.
Quelques années passèrent, je gardais l’objet au secret dans le fond de ma poche. Jana l’a pourtant trouvé. Jana attend notre petit. Selon la tradition, j’ai enlevé Jana à sa famille et on se cache, les siens doivent s’apaiser avant que nous rejoignons le clan. Jana fait des paniers comme sa mère, comme ma mère. Ce soir, Jana alourdie par l’enfant à venir, s’ennuie. Elle glisse sa main dans ma poche, prend l’objet. Elle connait son usage et le tient au dessus de son ventre. Elle a les yeux qui brillent. Pendule, qui va venir ? A-t-elle demandé. La chaîne bouge et la sphère de métal se met à tourner. C’est une fille, dit Jana. Moi, j’voulais un garçon, mais je n’dis rien et je rempoche le « pendule ». La prochaine fois, c’est moi qui pose les questions.
Le dé vert
Corinne a fermé les yeux et plongé la main dans une boîte. Elle en a sorti un dé, a souri et me l’a donné. Qu’il était laid avec le vert criard de ses faces, les angles usés à force de jouer le destin des hommes. Les points étaient partiellement effacés. Quand je l’ai posé, il montrait un six triomphant. Mais oui, le six, c’est toujours ce qui vous permet de rejouer ! Alors, j’ai dit à Corinne que j’avais gagné : elle devait me donner son éléphant en ivoire. Corinne a pleuré, elle ne voulait pas céder.
J’ai donc lancé le dé. Il s’est échappé par la fenêtre ouverte, il a traversé la rue. J’ai couru pour le rattraper. Le camion ne m’a pas vu. Il paraît que dans ma main raidie, on a trouvé le dé. Il avait rougi.
Valérie Weber