Am stram gram,
Petit boutd’ailleurs
Ersatz de coquillage ciselé de vase
Sculpté par les vagues
Pic et pic et colégram
Petit cœur brulé
Couleur caramel
Rongé par le sel
Frêle caravelle gorgée de soleil
Petit cœur zébré
D’écume marine
Arraché à l’onde et au goémon
Bour et bour et ratatam,
Petit cœur volage
Au bouquet iodé
Péché sur le sable
Au gré du rivage
Petit cœur de femme
Posé sur ma paume
Bientôt sur la plage,
Ricochet dans l’eau,
Tu iras braver au secret des flots
La houle des amants et de leurs sirènes.
Am stram gram
Là-bas
Ici les vagues brodent des dentelles et le sable roux déteint sur les rochers
Ici les brisants explosent en mille paillettes d’argent
Ici la mer est une princesse lumineuse aux robes d’azur perlées
Ici le vent iodé valse avec les nuages redondants
Ici la pluie est comme un miracle, violente et souveraine
Ici les orages noient le pont des bateaux et les pas sur le sable
Ici le soleil tanne la peau et déchire les yeux
Ici les fougères sont caressantes et les genêts parfumés
Ici les sentiers s’inclinent devant l’océan
Et les arbres découpent les paysages
Ici les goélands volent dans un ciel sauvage
Ici les chiens sont heureux et les enfants sont libres
Ici sont mes souvenirs et ceux des générations à venir
Le bonheur est ici et pas ailleurs.
Magali aime Amédée. Magali et Amédée sont français d’Algérie, tous deux nés de parents déjà installés sur cette terre ensoleillée. Amédée est un homme influent, maire de la jolie ville de Boufarik. Il s’est ruiné pour acheter une vaste propriété, le Domaine Saint-Charles. Il y verra grandir ses trois filles dans ce pays de rêve qui est le sien et le seul qu’il connaisse.Amédée est un soldat, un courageux pilote d’avion qui a été descendu pendant la première guerre mais qui s’en est sorti comme toujours. Magalie est heureuse, toujours gaie et pleine de vie. Le soleil d’Algérie brille dans ses yeux car elle vit au paradis. Elle aime et aimera toujours les gens d’ici. Pourtant elle sait qu’Amédée trouve son plaisir dans d’autres couches.Elle sait aussi que le bonheur est infiniment fragile. Elle a perdu sa sœur jumelle à 20 ans et une adorable petite fille de trois ans. Le temps a passé, la famille s’est agrandie, les petits enfants ont égayé la maison de leurs rires et même si les finances ne sont pas au beau fixe, le soleil et la chaleur humaine font que la vie est belle dans les colonies pour ceux venus d’ailleurs et ceux qui les aiment. Trop belle, peut-être.
Un jour c’est arrivé brutalement, insidieusement, la révolte, la violence, la peur, la haine après l’amour. Et toutes ces familles et leurs bonheurs tranquilles perdues au milieu du désastre, ces familles qui se côtoyaient dans la paix et la bonne humeur. La guerre dans toute son horreur, les pires exactions, l’inimaginable.
Amédée sera assassiné froidement devant l’une de ses filles et nous ne saurons jamais qui a commandité ce meurtre. La période est trouble et désespérée.Les pieds noirs se battent mais les décisions sont politiques et la sécurité prime. Et le moment viendra où il faudra choisir : partir ou mourir. Merci Charlot.
Comme les autres, Magali a tout quitté avec sa famille. Elle est montée sur le bateau en sachant qu’elle ne reviendrait jamais. Ecrasée contre le bastingage, le coeur brisé, elle a vu s’éloigner Alger la blanche et son soleil. Elle n’oubliera jamais. Ils n’oublieront jamais.
Dans la métropole, personne ne les attend ces français d’ailleurs qui ont tout perdu. Les enfants s’installeront dans le sud, là où le soleil brille aussi, là où les gens ont un accent chantant comme eux, même s’ils parlent moins fort.
Magali s’installera dans la capitale avec sa fidèle Marie dans un minuscule deux pièces, tout près de sa seule fille déjà métropolitaine qui lui avait tant manqué. A Paris tout est gris mais Magali la joyeuse ne perdra ni son optimisme, ni sa bonne humeur. Elle deviendra Mamou, gourmande de vie et de sucreries malgré son diabète. Mamou qui traverse les rues parisiennes en levant sa canne comme là-bas et advienne que pourra. Mamou la courageuse qui ne se plaint jamais, qui est sourde quand ça l’arrange et qui fait tomber sa canne sur les pieds des enquiquineurs. Mamou que j’ai eu la chance de connaitre étant l’ainée de ses arrière-petits-enfants et avec qui j’ai partagé tant de fou-rires et de petits fours interdits.Mamou qui sera un rayon de soleil jusqu’à son dernier jour.
On la retrouvera sur son petit lit un beau matin du printemps de ses 92 ans, partie dans son sommeil en souriant à la mort comme à la vie. Elle avait déjà connu l’ailleurs et n’en avait pas peur.
Ailleurs plus loin
Seule allongée dans l’herbe fraîche quelque-part sous les étoiles et la lune pâle, dans le silence magnétique du bruissement de la nature, je m’abandonne. Je plonge du regard dans ce ciel pailleté si proche de la notion d’éternel qui me fascine et me terrifie depuis l’enfance.
Infiniment légère, éthérée, je sens mon corps se détacher jusqu’à toucher le firmament, jouissance ultime de flirter avecles étoiles.Bienheureuse déportation que l’esprit refuse cramponné au sol et à ces multiples questions auxquelles même les progrès fulgurants de la science ne peuvent répondre.
Image affolante de ce cosmonaute qui se détache de sa capsule et part en tourbillonnant au cœur des constellations pour une éternité de temps.Le temps cette notion première, fondamentale n’est plus qu’un leurre face à l’immensité et à l’inconnu. Le plus troublant peut-être.
Fascination absolue, gorge serrée face au trou noir omnipotent des cieux qui aspire la lumière unique des étoiles, ces météores familiers et envoûtants scintillant dans la nuit profonde.
Les comètes nous frôlent, attractions fatales, astres tournoyants,emportées dans un carrousel éternel, lointaines et proches à la fois dans cet univers sans repères.
Corps minuscule, minuscules âmes, minuscule notre terre maltraitée dans cet impossible monde sans fin, comme mon âme qui flotte soudain apaisée dans une sorte de bien être universel avec ce sentiment étrange d’être à la fois si proche et si loin de la vérité.
Peu importe demain quand on est déjà ailleurs.